Producteurs, Editeurs, Distributeurs, agrégateur OTT : un maillon de trop ?
Nonce Paolini
Président Directeur général de TF1
Sur le rachat de Newen
Nonce Paolini n’a pas souhaité se prononcer sur les détails de l’opération puisque celle-ci est en cours de négociation. Le projet sera « évidemment » étudié par l’Autorité de la concurrence. En revanche, le président explique l’importance d’ajouter un métier de création, non nécessairement soumis aux aléas de la publicité, et qui permettrait de tourner davantage le groupe TF1 vers l’international. Le système de la production étant éclaté en France, le fait qu’un diffuseur investisse dans une société de production n’est pas nécessairement pour faire de « l’intégration verticale », a-t-il rappelé, ajoutant : « avoir une société de production avec une ligne éditoriale différente de TF1 est un atout majeur pour se développer à l’international ». Enfin, le président rappelle que tous les grands diffuseurs européens ont des sociétés de production. C’est donc un tournant important et incontournable pour TF1. Sur le calendrier de l’opération, Nonce Paolini répond qu’il ne peut préjuger en rien de la fin des négociations avec Newen mais il espère que l’accord pourra aboutir d’ici la fin de l’année.
Sur la création d’une nouvelle plateforme numérique
Interrogé sur le « bruit d’un Netflix à la française », Nonce Paolini rappelle que TF1 est présent dans la télévision de rattrapage avec MyTF1 qui réalise plus de 41 % des parts d’audience, mais aussi dans la VOD et la SVOD avec TFOU max. Le président indique réfléchir à la création d’une autre plateforme mais « le modèle économique est difficile », notamment eu égard aux coûts des droits et à la taxation que le groupe pourrait subir. Il précise que le dossier serait plutôt du côté d’une plateforme payante car TF1 dispose déjà d’une plateforme gratuite. Il ajoute : « la question pour le futur est de savoir comment commercialiser à la fois le linéaire et le délinéarisé ».
En outre, interviewé sur la personnalisation de la publicité, Nonce Paolini répond que « la meilleure personnalisation est de s’adresser au plus grand nombre ». TF1 s’inscrira « dans le sens de l’histoire » sur ce sujet, ajoute-t-il.
Enfin, sur son expérience en tant que président de TF1, Nonce Paolini dévoile que sa plus grande fierté a été de travailler avec des équipes exceptionnelles : « nous avons beaucoup entrepris », a-t-il-dit. Quant à son plus grand regret : ne plus être là dans le cas où la chaîne LCI passerait en clair.
Hervé Rony
Directeur général de la SCAM
Le droit d’auteur à l’ère du numérique
Hervé Rony est revenu sur la position de l’auteur dans la chaîne de production audiovisuelle, au sein de laquelle tous les acteurs sont interdépendants. Selon lui, les auteurs sont par définition isolés, raison pour laquelle ils se tournent vers la gestion collective. Concernant la réforme européenne en cours du droit d’auteur, Hervé Rony a soutenu que croire qu’une modernisation à travers un marché unique règlerait tous les problèmes est « un leurre ». Il estime qu’il y a « une plasticité dans l’exercice du droit d’auteur qui fait que le numérique n’est pas un obstacle, et inversement ». Pour développer une Europe de la culture, Hervé Rony propose plutôt de s’attaquer à la concurrence écrasante à laquelle font face les producteurs et diffuseurs, venant souvent d’outre-Atlantique. Sur la question de l’évolution des formats et la réduction de la durée des œuvres à l’ère du numérique, Hervé Rony a tenu à souligner que les sociétés d’auteurs luttent contre le formatage et l’uniformisation des œuvres.
Un problème de disponibilité des œuvres
D’après Hervé Rony, la disponibilité des œuvres est un réel problème de fond. Il plaide pour une fluidification du marché et un travail continu sur les questions des droits et de l’exploitation permanente des œuvres. Si certains diffuseurs bloquent la disponibilité d’œuvres, les œuvres sont piratées. Pour M. Rony, « l’exploitation légale des œuvres est la réponse à la question de la piraterie », une question qui doit être réglée par le marché plutôt que le législatif.
Jean-François Boyer
Président de Tetra Media Studio
« Ne pas reproduire le succès de la veille »
Jean-François Boyer s’est attardé sur le rôle du producteur dans la chaîne de valeur. Selon lui, le projet de rachat de Newen par TF1 prouve que « la valeur est du côté du contenu ». C’est au producteur de garantir cette valeur et la bonne fin économique et artistique de l’œuvre à son client diffuseur, tout en ayant une « responsabilité sociale et culturelle » sur les fictions et séries, et en anticipant les mouvements sociaux.
En effet, pour Jean-François Boyer, la base du métier de producteur est « de ne pas reproduire le succès de la veille ». Une œuvre est donc le résultat d’une discussion entre le diffuseur, qui veut reproduire ce succès et minimiser sa prise de risques, et le producteur qui regarde vers le futur.
La névrose de l’auteur est celle de raconter une histoire, et Jean-François Boyer insiste sur le fait que le producteur doit donner ce pouvoir à l’auteur, et ainsi prendre un rôle central d’éditeur, d’accompagnateur, presque de sociologue, et veiller à ce que l’alchimie prenne entre les différents acteurs.
Aller du « mainstream » au point de vue d’auteur
Jean-François Boyer rappelle que le métier de producteur va changer avec la société de l’omnimédia, et qu’il faudra repenser le partage des profits entre producteurs, diffuseurs et auteurs. Avec l’explosion de la concurrence entre chaînes, on quitte le modèle de l’industrie de la commande pour se « rapprocher d’une industrie de l’offre ». Les chaînes cherchent ainsi un regain de qualité de contenu afin d’attirer une audience fragmentée.
Sur ce regain de qualité, Jean-François Boyer a d’abord abordé la question de la langue, en affirmant que les histoires locales doivent être tournées dans leurs langues d’origine. Il estime que la France « s’est assoupie sur le mainstream », la recherche du prime-time, et qu’il faut au contraire que les œuvres à fort point de vue d’auteur puissent s’industrialiser pour sortir de la moyenne gamme.
Dans cette optique, il plaide pour une réinvention des moyens de diffusion, en citant l’exemple de Studio+ qui prépare des séries digitales pour les 15-35 ans sur téléphone portable. D’après lui, « un monde se meurt et un âge d’or des séries commence ». Enfin, il a pointé du doigt le manque de pilotes, de « centres de formation », dans l’industrie de la création française, alors que cette pratique se développe partout ailleurs, selon lui.
Jean-Paul Philippot
Administrateur général de la RTBF
Un nouvel environnement numérique
Les acteurs publics sont des facilitateurs de lien social. Ils créent aujourd’hui « la nouvelle Agora ». Leur rôle n’a jamais été aussi important pour former les citoyens, les guider dans un monde où Internet représente à la fois « le mieux et le pire, la profusion et la pauvreté ». C’est particulièrement vrai en matière d’informations où Internet pose clairement la question de sa fiabilité et de sa pertinence. Internet pose également la question du financement des contenus. Il n’y a jamais eu autant d’argent dans le secteur de l’audiovisuel mais en proportion, les investissements dans la création n’ont jamais été aussi faibles selon Jean-Paul Philippot.
Le contexte est donc compliqué et pour assumer leur rôle, les médias de service public doivent s’adapter. Tony Hall, Directeur Général de la BBC résume à merveille la situation en expliquant que les médias doivent monter deux chevaux en même temps… le linéaire et le digital. « C’est inconfortable mais absolument obligatoire ».
C’est obligatoire car la question même de la survie est posée. Les acteurs publics évoluent désormais dans un marché global. En plus des géants du web, le secteur de l’audiovisuel se structure autour de nouveaux géants intégrés. La France n’en a sans-doute pas la perception car son écosystème est beaucoup plus protégé qu’ailleurs. Jean-Paul Philippot a noté que Nonce Paolini assurait que TF1 ne s’intégrait pas verticalement en achetant un producteur (Newen). « Cela porte à sourire ». Il n’y a pourtant rien d’injurieux et c’est ce qui est en train de se passer partout ailleurs. Les acteurs s’intègrent verticalement.
En Belgique, Liberty Global adopte un modèle d’intégration verticale. Il a racheté Discovery lequel a racheté Eurosport au groupe TF1, qui dispose des droits de retransmissions des prochains jeux olympiques en Europe. Il y a donc intégration verticale. Le modèle est identique au Royaume-Uni avec Sky. Les acteurs en croissance sur le marché européen sont des acteurs intégrés. Et le phénomène a des impacts sur la création. La valeur échappe aux créateurs et reste concentrée chez les distributeurs. L’exemple britannique est éloquent et montre le recul des producteurs indépendants : 44% de la production britannique est désormais aux mains de sociétés américaines. Il y a seulement 5 ans, c’était entre 5 et 10%.
Les quatre piliers de la transformation et de la modernisation de la RTBF
Pour s’adapter au nouvel univers numérique, la RTBF organise sa transformation autour de quatre dimensions : la nécessité d’être créatif pour produire et détenir des droits sur l’ensemble des plates-formes ; la nécessité d’avoir des structures agiles, réactives et compétitives en termes de coûts ; la nécessité d’entretenir une relation aux citoyens plus humble et plus attentive avec un nouveau marketing des offres sur les réseaux sociaux où ils se trouvent désormais.
- L’éditorial
La question du contenu, de l’originalité du contenu et des droits acquis sur le contenu est essentielle. L’avenir d’une chaîne de télévision n’est pas l’agrégation de contenus tiers mais la production de contenus originaux et l’acquisition de droits d’exploitation numériques. Les contenus doivent être déclinés sur toutes les plates-formes, dans tous les formats et doivent pouvoir être exploités dans le temps à différents moments. Jean-Paul Philippot rappelle que certaines séries de la RTBF sont inexploitables sur le numérique parce que le groupe public ne possède pas les droits numériques pour la musique du générique. De même, en Allemagne, alors que la ZDF possède toutes les images de la chute du mur de Berlin, elle ne peut en exploiter qu’à peine la moitié sur le numérique. Il y a quelques années seulement, les contenus étaient inscrits dans les charges des groupes audiovisuels lors des bilans financiers, ils sont maintenant considérés comme des actifs. La transformation est profonde. Au-delà de la question des droits, la RTBF travaille sur deux axes forts en matière de productions. D’abord, elle accompagne des jeunes auteurs sur des projets innovants et multi plates-formes. Les contenus de création originaux représentent l’avenir et des Master classes permettent de repérer des nouveaux talents. Ensuite, la RTBF est engagée dans un processus de réduction des coûts sur les programmes de flux.
- Des nouveaux processus
Les processus d’hier étaient dédicacés à un support particulier : la TV, la radio, le Web. L’enjeu aujourd’hui est de les faire converger. Tous les processus d’un média doivent être « numérisés, simplifiés et hybridés ». La RTBF utilise par exemple ses studios de radio pour filmer certaines matinales TV. Le modèle de production radiophonique permet de réduire les coûts par quatre ou cinq et donc de produire plus de contenus dont la RTBF est propriétaire pour les faire vivre sur le numérique et « occuper le terrain ». Le processus est vertueux.
- Le marketing des offres
Quand il y avait peu de concurrence les marques médias étaient très fortes et avaient peu ou pas besoin du marketing pour se faire connaitre ou faire connaître leurs programmes. Cela n’est plus possible dans un monde de concurrence mondialisée et il faut inventer des nouvelles formes de marketing. Avec deux axes : remplacer un marketing orienté sur la marque chaîne pour passer à un marketing des marques programmes, devenu nécessaire avec la délinéarisation des usages. Ensuite, adapter son marketing à toutes les plates-formes avec de la cross-fertilisation.
- L’écoute des citoyens
Les usagers entretiennent de nouveaux rapports avec leurs médias. Le service public doit s’y adapter avec humilité. Les usagers sont maintenant à la fois des acteurs, des commentateurs et des consommateurs. Il faut intégrer les réseaux sociaux dans la stratégie des médias. En Belgique, 30% de la population francophone est abonné au compte Facebook de la RTBF. Il faut en tirer des conséquences en termes de contenus en développant des formats spécialement adaptés à cette plate-forme. Enfin, pour exister face aux nouveaux concurrents globalisés, les médias de service public doivent apprendre à travailler la donnée, à maitriser la data et les algorithmes. C’est un impératif pour pouvoir faire de la recommandation et proposer des contenus plus personnalisés. La stratégie data de Channel 4 au Royaume-Uni montre que c’est possible.
Pierre Louette
Directeur général adjoint d’Orange
Le Directeur général adjoint d’Orange a rappelé que le secteur avait fait l’objet de nombreux changements : 83% de la population est désormais connectée à Internet ; plus de 4 foyers sur 10 ont accès à l’ADSL (contre 10% en 2008) ; on est passé d’une offre restreinte à une profusion de chaînes, du linéaire au non linéaire, d’un sous-équipement des foyers à 5/6 écrans par foyer.
L’importance du distributeur se renforce
Pierre Louette a dressé le constat suivant : on est passé de 300 millions de personnes connectées dans le monde en 2000 à 3 milliards aujourd’hui. Selon lui, une telle augmentation du nombre de clients multiplie les comportements et les usages. Le client exige aujourd’hui une qualité de service irréprochable et seuls les opérateurs qui investissent dans les réseaux sont capables de répondre à leurs besoins. Or, les opérateurs doivent faire face à la concurrence des acteurs OTT (comme en témoignent les difficultés par les câblo-opérateurs américains) et aux différentes règlementations nationales en droit de la concurrence, et ce au sein même de l’Europe. Ainsi, le récent rachat de Canal+ Espagne par Telefonica, approuvé par l’autorité espagnole de la concurrence ou l’achat de droits sportifs exclusifs par British Telecom au Royaume-Uni n’auraient certainement pas été possibles en France.
Orange, partenaire du secteur culturel
Le Directeur général adjoint d’Orange relève ensuite différentes initiatives menées ces dernières années par le Groupe, renforçant ses partenariats avec le secteur culturel :
- Investissement dans Afrostream, plateforme de vidéo à la demande spécialisée dans les séries télévisées et le cinéma africains ;
- Création de ses propres chaînes à l’instar d’OCS ;
- Distribution des catalogues « plus difficiles » sur les services de VOD d’Orange.
Au final, « 400 à 450 millions d’euros sont injectés » de manière subie ou non par le Groupe dans la culture.
Le distributeur est peut-être le maillon le plus faible de cette chaîne
Les distributeurs doivent faire face à des groupes mondiaux tout en respectant un certain nombre d’obligations réglementaires (obligations de must carry, règles en matière de protection du jeune public, etc.). Pierre Louette évoque également l’asymétrie fiscale existant entre les acteurs, nationaux et étrangers. Or, selon lui, le risque de ces asymétries est que l’on affaiblisse à terme les ressources financières des distributeurs et donc, leurs contributions à la culture. Pour conclure, Pierre Louette estime que la concurrence dans les médias « est une bonne nouvelle » qui va permettre de faire émerger des productions de qualité. Pour autant, il convient de définir des règles souples qui s’appliqueront à tous et de mener des études d’impacts préalables à l’adoption d’une nouvelle réglementation.