En l’absence de Netflix bridé par le protectionnisme national, les services OTT chinois font le plein. LeTV ou iQuiyi se distinguent avec la production des séries originales populaires comme Go Princess Go et The Lost Tomb, deux succès à gros budget qui se mesurent en milliards de vues.
Le marché de l’OTT chinois décolle
Dans un contexte où le nombre d’internautes chinois a été multiplié par 10 en 10 ans, le marché de la vidéo en ligne décolle et attire de plus en plus les investisseurs. Profitant de l’absence des américains (Amazon, Netflix ou Disney n’ont pas le droit de s’y installer seuls), les services locaux nommés Letv, iQiyi, Youku, Tudou, Sohu ou AliBaba remportent un succès croissant.
Particularité chinoise, ces plates-formes OTT hybrident plusieurs modèles, mélangeant en une seule plate-forme Yahoo (pour l’information), YouTube (pour les vidéos gratuites humoristiques), Facebook (pour la participation sociale), Hulu (pour le replay des chaînes TV) et Netflix (pour la SVOD). Autrement dit, ces plates-formes proposent à la fois un volet gratuit et un volet payant, par abonnement.
Si le succès des volets gratuits est acquis de longue date (financés par la publicité, avec des accords avec les chaînes TV historiques), le succès des volets payants est plus récent. Alors que le piratage a longtemps été un problème crucial, les bonds d’abonnements enregistrés l’été dernier par iQuiyi et cet hiver par LeTV, attribués à la diffusion de séries originales qui séduisent les jeunes, prouvent qu’un nouveau modèle économique est en train d’éclore.
Plus d’un milliard de visionnages en 5 jours, pour The Lost Tomb
Imitant la stratégie de production des séries originales de Netflix, la plate-forme iQuiyi (appartenant à Baidu, le Google chinois) a produit la série The Lost Tomb pour un budget record de 760 000$/épisode. A peine 5 minutes après sa mise en ligne, le service a mesuré plus de 160 millions de clics vers le programme, et enregistré plus d’un milliard de visionnages en 5 jours. Comme Netflix, l’accès à l’intégralité des épisodes a été proposé de manière simultanée.
Pour séduire les publics du reste de l’Asie ou encore la diaspora chinoise dans le monde, le programme a été également proposé sur la plate-forme japonaise Viki. Ce service OTT édité dans de nombreuses langues (dont le français) diffuse beaucoup de programmes TV coréens, taïwanais, indiens, chinois et latino-américains. Originalité de ce service, qui se définit comme une « TV mondiale » : son fonctionnement est calqué sur les logiques des réseaux sociaux et des pratiques du piratage : les internautes travaillent bénévolement aux sous-titrages des séries et chaque programme est organisé sous forme de page communautaire (logique d’abonnement, de commentaires, de partages…). Comme pour les services OTT chinois, on peut à la fois lire les programmes TV gratuitement (basse qualité, publicité) ou payer un abonnement mensuel (3,99$).
2,4 milliards de vues pour Go Princess Go
Bien moins financée (environ 5 fois moins d’argent que The Lost Tomb), la websérie humoristique Go Princess Go a également remporté un succès exceptionnel en fin d’année 2015 sur le service LeTV. C’est la première fois en Chine qu’un web-programme générait 2,4 milliards de vues en seulement 40 jours de diffusion (un épisode par jour était diffusé sur le site, regardé en moyenne par 10 millions d’internautes au moment de la mise en ligne). Weibo (l’équivalent chinois de Twitter) a indiqué que, parallèlement, la série avait généré plus de 2 milliards de clics sur son réseau.
Comme Netflix aux Etats-Unis, LeTV affiche désormais de grandes ambitions en matière de productions audiovisuelles et cinématographiques : le groupe dispose pour l’année 2016 d’un budget cinéma de plus de 200 millions d’euros.
La TV dépassée par le web pour les jeunes chinois
Malgré des qualités de production très inférieures à celles des séries Netflix, et même des séries TV chinoises, les productions webnatives des acteurs de l’OTT sont en train de rebattre les cartes de la TV chinoise en raison de leurs succès. Produites par de grands groupes du web et des nouvelles technologies (LeTV est aussi un constructeur de téléphones mobiles), ces séries changent du cadre habituel de la TV chinoise. Signe que ces programmes dérangent également le pouvoir, elles ont toutes deux été interdites de diffusion a posteriori par la censure, et ce malgré leur succès (essentiellement pour des motifs de falsifications historiques).
Pour séduire les jeunes, ces deux programmes présentent des caractères novateurs en associant des sujets en vogue auprès de la cible (éléments fantastiques, effets spéciaux, musiques pop, costumes extravagants, personnage transgenre dans Go princess Go) et en leur permettant de communiquer en direct entre eux sur les réseaux (commentaires en direct directement depuis la plate-forme OTT).
Même si ces webséries à succès sont principalement destinées aux adolescents, le renforcement croissant des services OTT devrait annoncer une montée en gamme prochaine des productions chinoises. Au-delà de leurs formes, il est intéressant de noter que la pratique de la Social TV est encore plus incontournable pour les jeunes chinois que pour les Américains ou les Français. Ce type de plates-formes hybrides mélangeant contenus gratuits et contenus payants, avec des fonctionnalités sociales très avancées, pourrait aussi être une source d’inspiration pour les plates-formes OTT de la TV en France.