Bernard Marchant est l’administrateur-délégué du groupe de presse belge ROSSEL depuis septembre 2001.
Le groupe ROSSEL, qui a dégagé lors du dernier exercice un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros, est implanté sur un territoire très local, la Belgique francophone, son pays d’origine, mais également le nord de la France (groupe La Voix avec son vaisseau amiral La Voix du Nord, L’Union, L’Ardennais, Libération Champagne, L’Est Eclair). Le groupe se définit comme un média d’information qui, malgré une diversification dans l’audiovisuel (chaînes WEO en France par exemple ainsi que de nombreuse stations de radio) ou sur le numérique, conserve un ADN basé sur la presse écrite. ROSSEL reste une entreprise familiale.
Bernard Marchant a placé l’enjeu macroéconomique de la transformation digitale des médias au cœur de son intervention. Le premier métier de ROSSEL est de transformer des médias traditionnels en médias du futur. C’est une mission passionnante mais qui nécessite du temps. Cela ne peut se faire que sur du long terme, d’où l’importance de rester un groupe familiale quand les entreprises cotées en bourse sont dépendantes du court terme. ROSSEL investit lui sur du très long terme et crée de la valeur ajoutée au niveau local, à la fois fiscale, sociale et économique.
Mais pour conserver et développer cette valeur ajoutée, il faut des ressources. Les ressources qui permettent à un média d’information de vivre sont issues de la diffusion, de la publicité et des financements publics. Ces derniers ne représentent que 0,5% des revenus de ROSSEL en France, ce dont le groupe se félicite car il n’est pas sain de dépendre de l’argent public. Si dans le sud de l’Europe les pouvoirs publics ont choisi d’apporter des aides directes à la presse écrite, dans le nord de l’Europe, le système est différent puisque si les aides n’existent pas, les pouvoirs publics sont en revanche les premiers annonceurs, donc les premiers clients. C’est un moyen plus dynamique de soutenir une industrie essentielle pour le développement local, la culture et l’identité d’un pays.
L’industrie des médias d’information n’a pas été impactée par la globalisation du XXème siècle mais directement par l’arrivée de nouveaux entrants numériques qui bouleversent son écosystème à tous les niveaux. L’industrie est d’abord impactée au niveau de la distribution avec la perte de contrôle des nouveaux canaux de distribution. Mais le numérique est également une opportunité car cela permet d’être en contact permanent avec les lecteurs et plus seulement une seule fois par jour comme auparavant. De plus, sur le numérique les coûts de distribution sont moins élevés. L’impact des nouveaux entrants est également financier avec un nouvel écosystème et la disparition de certains revenus comme les petites annonces. Mais l’impact le plus important est celui du temps disponible. C’est aujourd’hui le principal défi de l’industrie. Il faut trouver du temps disponible pour que les gens aient encore envie de s’informer.
Les médias d’information sont des opérateurs de contenus en concurrence avec les GAFA qui sont eux des opérateurs de technologie. Les deux offres convergent notamment en matière publicitaire. Il est nécessaire désormais d’être beaucoup plus offensif que défensif comme cela a été le cas jusqu’à présent tant du côté des médias que des annonceurs et de leurs agences mais également des pouvoirs publics. Il faut rétablir un rapport de force favorable. L’Europe doit gérer ce rapport de force et les pouvoirs publics doivent définir un cadre concurrentiel efficace. Il y a une prise de conscience. Google News n’a ainsi jamais pu se lancer en Belgique car les médias ont réussi à créer un rapport de force favorable. La nécessité pour les groupes médias européens est donc de gérer ce nouveau rapport de force de manière extrêmement dynamique.
Le premier enjeu dans ce nouvel environnement est celui de la transformation des entreprises de presse. La transformation a été engagée il y a vingt ans et désormais tous les groupes sont « triple play » puisque les marques ont été développées à la fois sur l’information gratuite, sur la presse papier et sur des plateformes digitales payantes. Le premier travail de développement de l’audience a donc été mené à bien. Les marques de presse sont aujourd’hui des marques leader sur l’information en termes d’audience. Et le numérique leur a permis de rajeunir cette audience de dix ans. C’est un point essentiel. La presse a donc non seulement progressé en cumul sur le nombre de personnes touchées mais ces personnes sont touchées plusieurs fois par jour et en plus les audiences ont été rajeunies. Autre signe de la transformation des entreprises, le recul du Syndicat du Livre. Le personnel ouvrier ne représente plus que 7% des salariés du groupe ROSSEL en France.
Une fois la transformation effectuée, l’objectif est désormais de développer des médias de masse capable d’assurer leur indépendance par leur capacité à monétiser leurs audiences. Le gratuit doit permettre d’attirer une partie des lecteurs vers le payant mais il faut adapter les offres en fonction des différents marchés locaux. Si le New-York Times peut miser sur un modèle uniquement payant étant donné la taille de son marché, c’est en revanche illusoire pour un titre comme Le Soir en Belgique. Le financement sans publicité n’existera pas sur un marché de la taille de celui de la Belgique. Ceci étant la presse doit réussir à conserver un nombre suffisant de lecteurs payants. Le défi est de faire en sorte que les jeunes continuent à payer pour l’information. Si la presse y parvient, elle conservera un écosystème particulier au sein de l’industrie des médias. Si elle n’y parvient pas, alors elle risque d’être diluée dans un modèle intégré avec une convergence probable à moyen terme entre les opérateurs télécoms et les éditeurs. C’est ce que l’on observe dans l’audiovisuel avec Altice en France par exemple.
Le papier (ou son réplica) continue de jouer un rôle essentiel. Le chemin de fer d’un journal offre une valeur ajoutée par rapport au numérique. Il symbolise la mise en perspective éditoriale et la synthèse. C’est donc un actif, une différenciation fondamentale pour un média d’information. Si l’on se projette sur les dix prochaines années, on constate qu’il n’y a pas de modèle unique. Tout dépend du type de presse et de la taille des marchés sur lesquels les groupes opèrent.
Outre la monétisation, les médias d’information doivent maîtriser et agréger toutes les nouvelles technologies qui sont au cœur des offres de leurs concurrents. Les entreprises de technologie ont largement « pillé » les contenus des médias, ceux-ci doivent à leur tour piller leurs technologies. La presse maîtrisait hier la technologie qui lui permettait de se distribuer, la rotative, elle doit aujourd’hui retrouver la maîtrise des nouveaux outils de distribution. La technologie, c’est également la data. Mais face au modèle des entreprises technologiques, le modèle de la contextualisation portée par la presse est un atout pour les annonceurs. Il n’y a pas de meilleur moyen de s’adresser au public que par la presse d’information puisque l’on touche un public qui lit et qui s’informe. La contextualisation est plus efficace que le retargeting tel que pratiqué par les plateformes numériques.
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