L'édito de Philippe Bailly

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Mondialisation, Muscle, Montée en débit, Moment de vérité : les mots clé de 2018.

L’année 2016 s’était achevée sur un signal de mondialisation croissante des offres de contenus, avec la réplique d’Amazon à Netflix, et l’extension à 200 nouveaux territoires du service Amazon Vidéo ; 2017 a prolongé la trajectoire, avec une internationalisation progressive des offres portée par l’OTT (Sky en Espagne et en Suisse, HBO en Europe centrale, CBS All Access… et plus de 100 services présents en France, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni et Scandinavie) ; et 2018 devrait confirmer le cap, avec l’entrée en vigueur du Règlement « Portabilité » au 1er janvier et, plus globalement, l’objectif de Marché unique numérique poursuivi avec persistance par la Commission européenne. La finalisation de la nouvelle Directive SMA ou celle du Règlement Câble – Sat 2 en seront les prochaines étapes, autour desquelles continueront à ferrailler partisans d’une circulation totalement sans contrainte des contenus et tenant du maintien de territorialité des droits.

La perspective n’est pas indifférente à la réforme de la législation française, annoncée par la ministre de la Culture comme un « très grand virage (placé) au cœur du projet présidentiel ». Si l’attention s’est d’abord portée sur les intentions du gouvernement pour l’audiovisuel public, Françoise Nyssen confirmait le 5 décembre que le projet portait sur « réforme d’ensemble de la régulation audiovisuelle et notamment du socle qu’est la loi de 1986 ». Donc également sur le cadre applicable aux acteurs privés. Le gouvernement a d’ores et déjà conduit une consultation publique sur l’assouplissement possible de la réglementation de la publicité à la télévision et, s’agissant de l’exploitation des films de cinéma, Dominique d’Hinnin devra conclure d’ici au début du printemps la mission de médiation que le gouvernement lui a confié sur l’évolution de la Chronologie des médias. Mais selon les termes de la « feuille de route » fixée le 9 août par le Premier Ministre, la réforme devra s’attacher au-delà à « intégrer les géants du numérique dans l’écosystème vertueux du financement du cinéma et de l’audiovisuel, (…) à adapter un cadre réglementaire devenu trop complexe et déconnecté des évolutions technologiques et de marché (ou encore) à rechercher les possibilités de développer les ressources du secteur » ; dix ans plus tôt, presque jour pour jour, le Président de la République Nicolas Sarkozy prescrivait à sa ministre Christine Albanel « une remise à plat des dispositions législatives et réglementaires qui s’appliquent au secteur de l’audiovisuel (en vue de) supprimer les incohérences croissantes de la législation actuelle et de permettre l’émergence de groupes de communication audiovisuelle français de premier plan ». D’une législature à l’autre, l’objectif est bien, toujours, de faire émerger des « champions nationaux » et, plus globalement, de donner du muscle aux acteurs français. L’accélération de l’ouverture des marchés et l’intensification de la concurrence ne lui donnent que plus d’actualité.

D’autant plus d’urgence, même, que la montée en puissance des infrastructures très haut débit rend de plus en plus limité le gain que la distribution via des réseaux managés procurait en termes de qualité de service. A fin septembre, un foyer français sur quatre bénéficiait d’un débit au moins équivalent à 30 Mbps pour sa connexion fixe ; ils étaient moins d’un sur cinq un an plus tôt et, dans la même période, le nombre des foyers connectables est passé de 15,4 à 17,1 millions, pour un objectif gouvernemental confirmé de couverture à 100% de la population d’ici à la fin 2022 ; gouvernement, ARCEP et opérateurs continueront sans doute à polémiquer en 2018 sur les voies et moyens (niveau d’investissement, répartition des territoires à « fibrer »…) permettant de tenir l’échéance ; pour les éditeurs et distributeurs, cette généralisation de la montée en débit est synonyme de facilité accrue à desservir le client final, pour les acteurs OTT.

Avec la mise aux enchères attendues des droits de la Ligue 1 et de la Ligue 2 à partir de 2020, l’année qui s’ouvre devrait également agir comme moment de vérité sur la stratégie de convergence poursuivie par Altice. Confirmée comme compétition reine par l’étude Sport Index, et bénéficiant à plein dans ses audiences de l’effet Neymar / Mbappé, la Ligue 1 pourrait arithmétiquement voir son prix atteindre 1,2 Md€/an (sur la base des évolutions des 4 autres grands championnats européens), voire dépasser les 1,5 Md€ (compte tenu du montant déboursé par Altice pour acquérir Champions League et Europa League). Y renoncer marquerait pour Altice une inflexion sensible par rapport à l’equity story déclinée depuis l’achat des droits de la Premier League. « On n’est pas pressé, mais le moment venu on regardera », confirmait fin novembre Alain Weill. Compte tenu de la valeur stratégique de la Ligue 1 pour Canal+ et pour beIN Sports (« Le foot français reste au cœur de notre stratégie », confirmait au Figaro son président pour la France Yousef al-Obaidly) et des ambitions croissantes des plateformes numériques dans le sport (il y a quelques semaines, Rakuten a déboursé 225 M$ pour les droits de la NBA au Japon, et Facebook a proposé 600 M$ pour ceux du championnat indien de cricket), la compétition autour du championnat s’annonce rude.

 

Si le sport demeure le contenu roi pour garantir aux éditeurs de fortes audiences live, la consommation à la demande devrait continuer à monter en puissance en 2018, qu’il s’agisse de replay ou de SVoD. S’agissant du premier, NPA Conseil relevait il y a quelques jours, dans son bilan 2017 des audiences TV, que l’audience en décalé de la série Grey’s Anatomy avait représenté cette saison plus de 50% de son public en live, et la proportion était de plus d’un tiers pour Fais pas ci Fais pas ça, plus de 20% pour The Voice… Au total le nombre de programmes visionnés en replay devrait approcher 8 milliards sur l’ensemble de l’année 2017. Pour demeurer à ce jour moins massive, la SVoD s’impose elle-aussi, progressivement, dans les usages audiovisuels : une première vague du Baromètre de la consommation réalisé entre le 28 août et le 10 septembre par Harris Interactive et NPA Conseil estimait à 3,7 millions le nombre de programmes visionnés quotidiennement, soit déjà 20% des usages de la télévision de rattrapage. Dès le 2 janvier, le passage en mesure quotidienne permettra à l’étude de suivre la progression d’ensemble et les principaux agrégats de ce nouveau marché (nombre et profil des SVoDistes, nombre total des programmes visionnés et Top des programmes les plus vus, part des usages des différents services, utilisation des différents écrans…).

S’il fallait un dernier mot sur les développements à surveiller en 2018, l’accord annoncé fin novembre par Amazon avec Hulu, CBS All Access, NBC, Sony PlayStation Vue, Showtime ou encore Bravo suffirait à pointer la montée en puissance de l’Intelligence artificielle dans les industries de contenus : Tous compatibles avec la technologie Alexa, ces services vedette de l’offre OTT aux Etats-Unis peuvent désormais être pilotés à la voix, via les devices commercialisés par Amazon (Echo, Amazon Fire TV…). « L’arrivée massive de l’IA et des technologies de reconnaissance vocale impactera à plusieurs niveaux les acteurs du contenu et du divertissement, indique une étude du cabinet NPA Conseil : le développement des nouvelles interfaces représente un retournement de logique complet, et est donc porteur d’un bouleversement au moins aussi important que le passage de l’annuaire de liens au moteur de recherche, dans les premiers temps du Web. Le saut va bien au-delà d’un simple gain de confort. L’intégration et la capacité de traitement de données toujours plus impressionnante conduira également au développement de systèmes de « création » automatisés, capables de remplacer certaines des tâches de production en matière de contenu ». Le 9 janvier, le CES ouvrira ses portes à Las Vegas. Gageons que les annonces qui y seront faites valideront largement ces dernières observations.