Julien Verley, Directeur du développement commercial – France Télévisions
France Télévisions a initié une réflexion il y a un an et demi sur l’opportunité de créer une plateforme française de SVoD. Le constat initial était que depuis le lancement de la télévision de rattrapage il y a dix ans, il n’y avait plus eu aucune avancée dans l’univers de la télévision. Pourtant les modes de consommation ont profondément évolué sous l’impulsion des nouvelles plateformes OTT. L’idée de FTV est de tirer les enseignements de cette transformation des usages et des modèles pour les emmener dans le monde de la TV. Les deux enseignements principaux sont la nécessité d’une offre unique et donc d’agréger les contenus sur une plateforme commune ; ensuite la nécessité d’approfondir les catalogues ce qui passe par l’élargissement des droits. FTV a travaillé sur ces deux axes et notamment sur le second qui s’est concrétisé par de nouveaux accords avec ses partenaires ayants-droit afin d’élargir son offre en OTT. Si le projet est traditionnellement présenté comme de la SVoD c’est en fait plutôt une offre de télévision enrichie.
Le groupe FTV a testé son projet auprès d’un échantillon représentatif de la population et un des constats les plus frappants a été de voir que les innovations apportées en termes d’interface, d’expérience utilisateur et de services adaptés aux nouveaux usages de consommation (éditorialisation, « binge », visionnage hors ligne….) faisaient revenir le public vers la télévision, notamment les 18-24 ans qui ont tendance à la délaisser.
Sur le volet de l’agrégation, de nouvelles discussions sont en cours avec TF1 et M6. Les trois acteurs partagent le sens de l’urgence et la conviction qu’il faut maintenant avancer. S’il n’y a pas encore de calendrier précis, le projet est de très court terme et « on y verra plus clair cet été ».
Ce type de projet réunissant différents partenaires autour d’une plateforme commune se développe partout en Europe, notamment en Espagne, en Allemagne (Discovery et ProSiebenSat.1) ou aux Pays-Bas. C’est indispensable pour rivaliser avec les financements énormes consentis par les plateformes OTT américaines, demain chinoises, qui elles s’adressent à tous les marchés pour pouvoir amortir leurs investissements. FTV se rapproche également de ses partenaires publics en Europe pour industrialiser un peu plus les collaborations. Ce modèle de rapprochements entre acteurs est sans-doute généralisable à l’échelle européenne mais devra être géré localement, pays par pays. L’offre doit forcément avoir une dimension locale.
Le fait majeur avec l’OTT c’est une nouvelle propension du public à payer. Le développement des offres de SVOD et de streaming musical ouvrent le marché. On constatait auparavant qu’un tiers des foyers environ refusait systématiquement de payer pour accéder à des contenus. Grâce au streaming, une barrière psychologique majeure a été levée. Cela ouvre de nombreux potentiels pour les éditeurs. L’avenir est au bouquet à la carte, composé de différentes offres payantes. Le référentiel de prix imposé par les plateformes pose un véritable défi aux acteurs premium et au modèle économique de la TV payante qui peut difficilement rivaliser avec des offres à 10 ou 20 €.
Gilles Fontaine, Responsable du Département Informations sur les marchés – Observatoire Européen de l’Audiovisuel
L’OTT est un fait majeur partout en Europe mais avec des situations très variables selon les pays. Le marché est très fort en Scandinavie, au Royaume-Uni ou en Allemagne mais plus faible en Europe Latine. Ceci-étant, quand on parle d’OTT, on parle en fait principalement de Netflix et Amazon qui concentrent à eux deux 75% des abonnés en Europe. Avec un acteur, Amazon, qui est un cas très particulier et très différent des autres plateformes puisque qu’il s’agit d’un modèle de grand magasin qui se pense comme un service de distribution universelle des contenus. Amazon s’adresse ainsi aux chaînes de télévision (Amazon Channels) comme aux producteurs (Amazon Prime) en leur permettant de commercialiser tout ou partie de leurs catalogues et selon le modèle économique qu’il souhaite.
La question principale est de savoir si le modèle OTT a un impact sur la TV payante. Là encore, la situation est variable selon les pays. La complémentarité entre SVoD et Pay TV varie énormément même si on constate un ralentissement un peu partout de la TV payante avec une pression particulière en Scandinavie. De toute façon la dynamique est clairement du côté de la SVoD qui représente 80% de la croissance des abonnements à une offre de vidéo payante. Les éditeurs tentent de s’adapter dans tous les pays avec des projets de rapprochements (entre acteurs d’un même pays ou entre services publics) autour de nouvelles plateformes qui permettent d’étendre la catch-up vers un modèle payant. Mais la question cruciale reste la taille critique des catalogues. Du côté des distributeurs, les partenariats avec les services SVoD cachent en fait un arbitrage très simple : conserver le client malgré des commissions de distribution plus faibles ou le voir partir intégralement en OTT.
Dans ce nouvel univers, deux facteurs contradictoires vont déterminer le potentiel de croissance : un rétrécissement de la valeur du marché avec des nouveaux tarifs plus bas en OTT (SVoD et Skinny Bundles) mais un accroissement du public avec en effet une nouvelle propension à payer pour des contenus.
Christian Bombrun, Directeur Marketing et Nouveaux Usages – Orange
Aux Etats-Unis, la vague OTT se confond presque intégralement avec la SVoD. C’est le succès de cette dernière qui explique le phénomène de « Cord-cutting », la résiliation croissante des abonnements à une offre de télévision payante, qui met à mal les câbloopérateurs et les Telcos. La situation est très différente en Europe et particulièrement en France où ce phénomène n’existe pas en raison principalement des investissements consentis par les opérateurs pour améliorer la qualité de leurs réseaux et d’une politique tarifaire très favorable pour les abonnés.
De plus les Telcos ont choisi en Europe une logique de partenariat avec Netflix qui est lui-même demandeur et a d’ailleurs commencé à répliquer ce modèle sur son marché domestique en raison de son succès. En France, Orange est le principal vendeur de Netflix mais également de la TV payante, avec les chaînes Canal + ou OCS. Orange constate d’ailleurs une certaine complémentarité entre SVoD et TV payante. Les fans de séries par exemple s’abonnent à la fois à OCS et à Netflix. Par contre c’est vrai qu’il n’y a pas de fidélité totale à ces deux marques. On passe de l’une à l’autre et le sans engagement génère un churn élevé alors que dans le même temps les prix des abonnements sont moins élevés. Donc, si la SVoD ne pose pas de problème aux distributeurs, elle modifie par contre les équilibres dans le financement des contenus.
En termes d’usages, Orange constate dans ses flux que le nombre d’heures de consommation de vidéo explose. La baisse de la consommation linéaire est une réalité même si cette dernière reste très élevée. La croissance la plus forte concerne les programmes à la demande sur le téléviseur. La SVoD se consomme majoritairement sur l’écran principal.
Il n’y a pas lieu de séparer TV payante et SVoD, il s’agit du même univers, du même marché. Et ce marché global va encore croitre en volume comme en valeur. Il y a une dizaine de points à aller chercher en termes de taux de pénétration. Mais la dynamique est clairement du côté de la SVoD et les acteurs historiques de la Pay TV sont obligés de se transformer.
Il faut absolument éviter une plateforme universelle de distribution des contenus. Il ne faut pas répéter l’erreur de la domination de Google sur le Search. Amazon à ce titre est assez inquiétant, différent de Netflix qui est un pure player des contenus, et qui creuse son segment mais sans ambition d’universalité de la distribution. L’agrégation des différentes offres des éditeurs est en effet un moyen de s’adapter au modèle de la SVoD. A ce titre, Orange supporte le projet de France Télévisions, TF1 et M6 d’une plateforme commune et est prêt à aider si besoin pour le faire avancer.
Pour l’ensemble des acteurs, chaînes de télévision comme OTT, les plateformes des distributeurs peuvent apporter beaucoup et permettre à tous d’aller chercher de la valeur additionnelle. Le distributeur a un rôle à jouer dans l’agrégation des services et le développement d’interfaces qui unifient l’expérience. Et cela va au-delà de la vidéo. Aujourd’hui les éditeurs sont organisés par thématique de contenus. On ne mélange pas les formats, vidéo, musique, livres…. Il y a pourtant des assemblages intéressants à faire. Orange qui distribue déjà de la musique avec Deezer, de la BD ou de la presse réfléchit à lancer des offres commerciales multi contenus.