Les rumeurs allaient bon train jusqu’à ce mardi 4 septembre sur l’ampleur du remaniement gouvernemental que le départ de Nicolas Hulot allait entraîner. C’est d’un ministère jamais cité par les journalistes politiques qu’est venue la deuxième surprise de cette rentrée, avec la démission de Laura Flessel et son remplacement par l’ancienne nageuse Roxana Maracineanu. Parmi les dossiers dont la nouvelle ministre des Sports aura à se saisir, monde sportif et professionnels de l’audiovisuel ne devraient pas manquer d’attirer son attention sur celui du streaming illicite des rencontres sportives. En espérant qu’elle y consacrera davantage d’énergie que ses prédécesseurs.
Une information rapportée par Les Echos illustre l’actualité du sujet. Le 25 août, YouTube (filiale de Google / Alphabet) diffusait en pay per view un match de boxe entre les youtubeurs américain Logan Paul (18,4 millions d’abonnés) et britannique KSI (19,6 millions). L’affiche pouvait prêter à sourire ? Il en coûtait en tout cas 10$ ou 8€ pour regarder en direct le combat. D’après Les Echos, les 800 000 spectateurs payants n’auraient pas suffi à rentabiliser l’opération qui se serait soldée par un « manque à gagner de 4 M$ ».
Petite erreur de jeunesse dans la stratégie de développement des géants du numérique dans le sport, et dans la volonté affichée par YouTube de développer un nouveau levier de monétisation ? Certains seront tentés d’y voir plutôt une déclinaison numérique de l’arroseur arrosé… car l’essentiel de l’audience a été réalisée via les flux pirates disponibles gratuitement, eux, sur Twitch (plus d’1,2 M de visionnage en live). Spécialisée dans la diffusion de e-gaming, la plateforme est aussi filiale… d’Amazon (le groupe l’a racheté en 2014 pour près d’1 Md$).
L’ensemble pourrait prêter à sourire s’il ne s’agissait là que d’un incident isolé. Mais les proportions prises par le streaming illégal de compétitions sportives sont susceptibles de déstabiliser l’équilibre économique du monde sportif (clubs et ligues professionnels, mais aussi clubs amateurs auxquels sont reversés une partie des droits TV), celui des groupes audiovisuels qui paient pour leur diffusion, et finalement celui du cinéma et de la production audiovisuelle (puisque la contribution à la création de Canal+ est assise sur son chiffre d’affaires). L’Association pour la Protection des Programmes Sportifs (APPS), qui regroupe l’ensemble des parties prenantes (fédérations, ligues, diffuseurs…) estime la perte de recettes liée au piratage à 300/500 M€ par an pour Canal+ et beIN SPORTS, soit 3 à 5 fois le coût des droits du Top 14 de rugby.
Illustration pratique ce dimanche 2 septembre, avec le match AS Monaco / OM. Médiamétrie a dénombré près de 1,3 M de téléspectateurs qui ont regardé la rencontre sur Canal+… Et combien en plus sur les sites pirates ? A quelques minutes du début de la rencontre, on peinait à compter sur les moteurs de recherche le nombre de promesses d’accès gratuit au match, en réponse à la requête « Monaco Marseille streaming direct ». Et bien que n’hésitant pas dans ses expressions publiques à insister sur son caractère vertueux et respectueux des droits d’auteur, le français Qwant n’avait rien à envier de ce point de vue avec Google ou Bing (Microsoft).
Mais alors que les lois DADVSI puis HADOPI se sont attachés dès 2006 à créer un cadre pour la lutte contre le piratage des films, des séries, ou encore de la musique, il aura fallu attendre mars 2017 pour que la loi Braillard sur l’éthique du sport invite « les fédérations sportives et organisateurs de manifestations sportives (…), les opérateurs de plateformes en ligne (…), les éditeurs de services de communication au public en ligne (…) les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins sur des contenus audiovisuels et les éditeurs de services de communication audiovisuelle (à s’entendre sur les) mesures (…) qu’ils s’engagent à mettre en œuvre en vue de lutter contre la promotion, l’accès et la mise à la disposition » illicite de retransmissions sportives. Aucun n’accord n’a été conclu à ce jour. De l’avis général, la ministre sortante ne s’est guère investie pour en encourager la signature.
Les pistes ne manquent pas pourtant :
- sensibilisation des licenciés et des supporters (par exemple, en substance : « en cliquant sur un lien illicite, tu limites les moyens des clubs professionnels que tu soutiens, donc leur capacité à être compétitifs au niveau européen, et tu diminue les revenus des clubs amateurs auxquels tu appartiens, donc la qualité du matériel mis à disposition par ton club, l’entretien du terrain et du vestiaire…»). Le message pourrait être imprimé sur les billets d’accès aux matches ou sur les licences sportives, repris sur des flyers, porté sur le Web et les réseaux sociaux, diffusé par les chaînes sportives (Canal+, beIN Sports, RMC Sport…) en début de retransmission…
- action pour obtenir des moteurs de recherche le déréférencement des sites pirates, doublée éventuellement d’une réflexion sur les possibilités de réprimer pénalement le maintien de ces liens,
- poursuites à l’encontre de ceux qui contribuent – moyennant rétribution généralement – à diffuser du matériel pirate (au cours de l’été, la Premier League a obtenu la condamnation à 16 mois de prison d’un internaute qui commercialisait des boitiers permettant d’accéder frauduleusement aux chaînes Sky),
- exploration, plus délicate juridiquement et techniquement, des possibilités de filtrage des sites illégaux,
- ou encore réalisation d’études économiques sur l’augmentation escomptable du nombre d’abonnés, associé à la commercialisation d’offres plus accessibles financièrement, en s’inspirant du précédent du cinéma et des séries et sur l’impact positif qu’a eu la multiplication des forfaits compris entre 10 et 15€ (l’offre 18/25 permettant de s’abonner à Canal+ pour 9,90€ par mois va dans ce sens ; on est plus sceptique sur l’intention affichée par Mediapro de commercialiser la chaîne Ligue 1 qu’il doit lancer en 2020 à 25€/mois…
Il y a juste à le faire…