On reproche trop aux responsables politiques de manquer d’écoute, d’être bardés de certitudes et de rester cantonnés dans une vision financiaro-technocratique des sujets pour ne pas saluer l’entretien accordé par Franck Riester à l’AFP, à l’occasion du lancement du Pass Culture. Le ministre de la Culture y assume ses interrogations sur la façon dont celui-ci sera utilisé par les 10 000 volontaires retenus pour la phase expérimentale, le besoin d’évaluation qui en découlera, et les « mises à jour et modifications » qui en résulteront. En d’autres termes, il endosse le mode test and learn tant célébré par les manuels de management du changement !
A ceux qui militaient pour une approche « académique » ou « protectionniste » de la culture, le ministre oppose une ouverture à l’ensemble « des offres numériques, parce que les usages de contenus audiovisuels sont de plus en plus numériques, avec notamment des plateformes d’accès à la musique, aux films, séries, jeux vidéos… (et plus largement la possibilité pour) toutes les sociétés qui sont légales en France » d’y participer. Les acteurs globaux – Spotify, Netflix… – sont donc les bienvenus.
Pour le reste, « on ne sait pas (…) comment les 500 euros seront dépensés » ni la charge qui en découlera pour l’Etat, poursuit Franck Riester. Entre le coût que verra le jeune et le coût pour l’Etat, il y aura une différence à évaluer, une fois de plus, car les jeunes n’utiliseront pas tous la totalité des 500 euros ».
Le bénéfice qu’en tireront les partenaires au terme d’une phase expérimentale pour laquelle ils ne sont pas rémunérés, autrement dit la capacité pour eux à transformer en abonnés payants les jeunes qui auront bénéficié gracieusement d’un accès temporaire à leurs services, constitue un autre élément d’incertitude. « On saura dans quelques mois si les offreurs seront toujours d’accord avec le fait de ne pas être payés ».
Pas question, pour autant, de mettre le projet en pause pendant ces travaux d’évaluation. « Une deuxième phase d’expérimentation aura lieu en mai-juin, confirme Franck Riester : il s’agira d’élargir l’application à des non-volontaires. Cela nous permettra de joindre ces publics qu’on a envie de toucher spécifiquement : ceux qui sont loin d’un parcours culturel ». La rapidité d’exécution est souvent citée comme un facteur clé de succès dans le digital. Le ministre l’a visiblement parfaitement intégré.
Au final, le Pass Culture, tel que sorti de l’ornière et (re)mis sur les rails par le nouveau ministre n’est pas sans évoquer le modèle suivi par les success story du numérique de ces dernières années : se concentrer sur la valeur d’usage et l’adoption par le public, dans une première phase ; capitaliser sur cette étape cruciale pour trouver les chemins de l’équilibre économique… voire bien plus. Rappelons-nous Google à ses débuts : aucune publicité et un graphisme hyper dépouillé pour privilégier la qualité du service rendu. Rappelons-nous Facebook, quand il ressemblait surtout à un yearbook des étudiants de l’Ivy League. Pas sûr que Mark Zuckerberg ait alors imaginé que la plateforme aurait un jour plus de 2,3 milliards d’utilisateurs mensuels.
Souhaitons au Pass Culture la même trajectoire !