L’un aborde la question par la dimension financière, l’autre par le budget temps. « Nous devons nous comparer à des Netflix, Deezer et autre Amazon qui ont des abonnements peu chers par rapport à nous qui proposons des abonnements à 18 euros/mois, voire 52€ », relève le premier, Pierre Louette, dans une interview à CB News ; « Nous rivalisons (et perdons bien plus) avec Fornite qu’avec HBO. Quand YouTube a été inaccessible partout dans le monde pendant plusieurs minutes en octobre dernier, notre audience et nos inscriptions ont explosé sur cette courte période », notait Reed Hastings fin janvier.
Pour le Pdg des Echos comme pour celui de Netflix, les choses sont claires : dans un environnement numérique qui permet de passer de manière transparente d’une occupation à l’autre, l’économie de l’attention impose de savoir lever les yeux bien au-delà de ses concurrents traditionnels, pour assurer sa compétitivité dans l’offre globale de services d’information et de divertissements.
Offrir un bon positionnement prix, en ayant en tête que le prix psychologique acceptable pour un consommateur se fonde aussi maintenant sur des comparaisons inter-univers, est la dimension la plus évidente. C’est à cette dernière que Pierre Louette fait référence. Et la nécessité est d’autant plus grande, que la marge de progression du budget loisir des Français apparaît faible, voire nulle : après un léger pic en 2016, celui-ci est revenu en 2018 à son niveau de 2015 – 660 € par an et par individu – indique le Baromètre annuel réalisé par la société Sofinscope. Il n’est pas étonnant dans ces conditions de voir fleurir les bundles qui permettent d’associer les contenus, avec un discount à la clé. Les accords passés avec LeKiosk.fr et L’Equipe ont permis à Canal+ d’aller au-delà de sa fonction traditionnelle d’agrégateur de services audiovisuels. Amazon Prime rassemble vidéo et musique. Même « combo » depuis la mi-mars, avec l’accès grâcieux à Hulu offert aux abonnés Spotify Premium. Quand AppleTV+ et Arcade auront été lancés – à l’automne –, Apple additionnera vidéo, musique, jeu vidéo et presse. Et ce type d’alliance a toutes les chances de se multiplier.
Mais si la commercialisation d’offres multi-médias permet de résoudre l’enjeu financier, d’apporter de la simplicité (logique du « one stop shopping ») et, sous réserve que l’ergonomie soit pensée de façon cohérente, d’améliorer l’expérience utilisateur, la contrainte « budget temps » apparaît, elle, intangible : une journée ne fera jamais plus de 1440 minutes, et la concurrence est d’autant plus rude pour se les accaparer qu’il faut en déduire les temps « physiologiques » (sommeil, repas) ou ceux qui sont passés à travailler.
Et à regarder les différentes composantes, la place de la SVoD (moins de 2% du « temps écran » quotidien), apparaît encore très minoritaire par rapport à celle du jeu vidéo (quatre fois plus), du surf sur le Web, les plateformes de vidéo gratuites et les réseaux sociaux (13 fois plus), ou plus encore de la télévision (25 fois moins).
Le mécanisme a été éprouvé de longue date, par les spécialistes de la télévision payante notamment : un service payant qu’on ne consomme pas suffisamment est, fatalement, un service dont on finira par se désabonner. La capacité à stimuler l’usage, donc à développer sa « part » de temps de cerveau disponible représente à moyen long terme un enjeu clé de succès, pour Netflix comme pour les autres nouveaux services OTT. Sauf à ce que l’ingestion de pilules remplace nos repas, et que nous réduisions drastiquement notre besoin de repos, ce jeu fera fatalement des perdants.