Pierre-Antoine Capton, Fondateur et Président du Directoire de Mediawan
La course aux contenus, une période assurément exceptionnelle pour les producteurs
Interrogé sur sa perception de la période faste que traverse actuellement l’univers vidéo avec, notamment, une course effrénée aux contenus et aux créations originales, Pierre-Antoine Capton analyse la situation différemment selon qu’il se place du côté producteur ou diffuseur. Avec sa casquette de créateur/producteur, le Fondateur de Mediawan juge la période actuelle « particulièrement excitante ». Alors qu’il y a encore 4 ou 5 ans un producteur de fiction faisait face à un nombre limité d’acheteurs (chaînes linéaires historiques), l’arrivée de plateformes internationales ces dernières années a permis d’élargir le champ des possibles.
D’un point de vue du financier, les projets n’ont jamais semblé si facile à produire selon lui. L’explosion de la demande et la multiplication des points de distribution ont démultiplié les sources de revenus. Alors que par le passé la décision de validation d’un projet dépendait du Directeur des Programmes d’une chaîne, l’accroissement du nombre d’acteurs (plateformes de streaming, opérateurs télécoms, chaînes linéaires payantes…) a donné la possibilité aux porteurs de projets de rebondir en cas de refus. Pierre-Antoine Capton estime qu’un projet de qualité a aujourd’hui toutes les chances de trouver un point de destination. Chose qui n’était pas garantie il y a encore quelques années.
L’arrivée des plateformes de streaming internationales, avec leur niveau d’exigence élevé pour le développement de projets exportables à l’international, fait également figure de moteur pour le Fondateur de Mediawan. L’ambition de ces acteurs dans les contenus pousse les producteurs à donner le meilleur d’eux-mêmes, d’un point de vue qualitatif comme éditorial.
S’il se place du côté diffuseur, le Président du Directoire de Mediawan reconnait volontiers la complexité de la situation à laquelle sont aujourd’hui confrontées les chaînes de télévision linéaire. L’explosion des usages numériques survenue au cours de la dernière décennie assombrit l’avenir des chaînes linéaires thématiques selon lui. Pour ces dernières, il prédit l’apparition d’un phénomène d’ultra-thématisation avec des chaînes de niche qui s’adresseront de plus en plus à des cibles très précises.
L’ouverture des contenus à l’international, une chance à saisir pour les producteurs
Pierre-Antoine Capton ne souhaite pas opposer chaînes de télévision et plateformes de streaming. Les besoins de ces deux types d’acteurs en termes de programmes sont complémentaires selon lui. Le Fondateur de Mediawan croit en « la puissance des contenus locaux ». En atteste le palmarès des 100 meilleures audiences annuelles en TV linéaire, dont moins d’une vingtaine seulement relève de productions étrangères. A l’inverse, la consommation de contenus sur les plateformes de streaming est principalement axée sur des œuvres internationales. Une complémentarité qui bénéficie à son groupe selon lui. Mediawan produit des fictions de plus en plus ambitieuses pour les chaînes traditionnelles françaises qui en sont demandeuses, et collabore en parallèle avec les plateformes de streaming globales pour développer des programmes qui s’exporteront dans le monde. Il affirme qu’il est possible de distribuer ses programmes partout dès lors qu’ils sont de qualité.
Il assure par ailleurs que ces nouvelles plateformes échangent de manière régulière avec les créateurs. Elles ont une réelle volonté de collaborer en bonne intelligence avec le tissu local. Pour lui, « les modèles évoluent et les lignes bougent ». Ces acteurs font preuve de plus de souplesse qu’il n’y paraît. Ils participent à faire émerger de nouveaux modèles de diffusion et de financement selon lui.
Sur le thème de l’ouverture des contenus à l’étranger, Pierre-Antoine Capton estime par ailleurs que l’approche internationale ne doit pas se limiter pas à l’aspect financier. Elle doit également répondre à un enjeu éditorial : « trouver les bonnes idées qui plairont à l’Europe des contenus ».
Profusion de l’offre : un écrémage naturel se fera par le haut
Pierre-Antoine Capton ne croit pas en l’existence d’une « bulle » autour de la création des contenus vidéo. Pour lui, les nouveaux usages attestent du succès mondial du média vidéo. Le temps de visionnage des programmes audiovisuels n’a jamais été aussi élevé et devrait continuer à progresser au détriment d’autres loisirs dans les années à venir. L’arrivée de nouvelles plateformes de streaming comme Disney+, Apple TV+ ou encore WarnerMedia participera à entretenir cette dynamique de création. Tous ces acteurs auront besoin de programmes pour alimenter leurs catalogues et générer des abonnements. Pierre-Antoine Capton estime néanmoins qu’un écrémage par le haut devrait se faire avec le temps. Il se dit convaincu que les projets qualitatifs n’auront aucune difficulté à trouver leur place dans le monde de demain.
Un public de séries TV de plus en plus aguerri
Sur la question du marketing des programmes, Pierre-Antoine Capton affirme que toutes les productions ne nécessitent pas de lourds investissements. Il cite en exemple La Casa de Papel, série dont les droits monde ont été achetés par Netflix après une première diffusion TV en Espagne, et qui n’avait pas été mise en avant par la plateforme au moment de sa mise en ligne. Le succès de la série est dû selon lui aux abonnés de la plateforme qui ont décelé en elle une fiction de qualité et l’ont fait émerger parmi la masse de programmes disponibles sur Netflix. Pour le Fondateur de Mediawan, « l’époque évolue, le public est davantage aguerri que par le passé ». Le public est plus éduqué aux séries TV, il se forge sa propre opinion et sait repérer par lui-même si une fiction est de qualité ou non. Le genre série TV s’est par ailleurs imposé dans le quotidien des Français. Dans les médias, il partage aujourd’hui l’affiche avec les programmes de flux et de divertissement.
Pierre-Antoine Capton estime à ce sujet que le flux reste la véritable frontière qui sépare encore univers TV traditionnel et plateformes de streaming. Le flux fait aujourd’hui la force des chaînes linéaires. S’il admet que des émissions de flux de type concours de cuisine ou talent show pourraient trouver leur place sur ces plateformes à l’avenir, il reste persuadé que des émissions comme C à Vous – qui analyse l’actualité au quotidien et la partage avec les Français – ne pourraient y trouver leur place.
Pour reboucler avec le marketing des programmes, le Président du Directoire de Mediawan estime que la meilleure façon de promouvoir une œuvre est de produire du contenu additionnel susceptible d’attirer le public de celle-ci mais aussi un public complémentaire. Pour 10% par exemple, Pierre-Antoine Capton fait part de son rêve de produire un podcast additionnel avec Dominique Besnehard autour de la série. L’idée centrale reste pour lui de décliner et d’enrichir la marque programme.
L’absence de données consommateurs, un mal pour un bien pour Mediawan
A l’exception des audiences TV, Mediawan ne dispose d’aucune donnée comportementale. « Un mal pour un bien » selon Pierre-Antoine Capton puisque cela permet à son groupe de conserver sa liberté artistique comme en témoigne le succès de 10%. La série a longtemps été refusée par Canal+ qui ne croyait pas au projet. A force de persévérance, elle a fini par remporter un franc succès sur France 2 et est aujourd’hui disponible sur Netflix. Selon lui, aucune data n’aurait permis de prédire un tel succès. Pour Pierre-Antoine Capton, c’est avant tout une « histoire de feeling ». Mediawan a cru en ce projet jusqu’au bout et a persévéré pour faire en sorte qu’il trouve sa place.
Pierre-Antoine Capton conclut cette table ronde en adressant un message de sensibilisation quant au fléau que représente le piratage massif. « Une escroquerie » qui entraîne un véritable manque à gagner pour les industries culturelles (cinéma, séries TV mais aussi évènements sportifs…). Un phénomène qui sévit encore trop facilement sur internet en dépit du temps qui passe.
Damien Bernet, Directeur Exécutif du Pôle Média d’Altice France
La transformation de l’opérateur en agrégateur au cœur de la stratégie d’Altice
Directement battue en brèche par le Directeur Exécutif de la branche Média du FAI, l’hypothèse d’une bulle autour de l’industrie des contenus est, de son avis, inenvisageable dans la mesure où la consommation de données mobiles ne cesse de grimper d’année en année. En augmentation constante de 50% par an, la consommation de data par les utilisateurs, conséquence logique de la démocratisation des contenus sur tous les écrans, justifie la stratégie d’Altice : faire converger télécoms et contenus. Au cœur de cette stratégie se trouve la volonté d’ajouter au métier d’opérateur celui d’agrégateur. Comme expliqué par Damien Bernet, Altice cherche l’exhaustivité dans la constitution de son offre de contenus. Dans un environnement hyper-abondant et peu lisible pour le consommateur, l’opérateur construit un produit complet, téléphonie, internet, et contenus, pour une seule et unique facture in fine.
Si elle peut paraître contradictoire avec cette politique, la couverture OTT très développée de RMC Sport est perçue comme une force par Altice. Damien Bernet explique que SFR est le seul lieu du marché où il est possible de profiter de l’intégralité de l’offre de contenus sportifs premium. En tant qu’agrégateur exhaustif, l’opérateur peut se permettre de proposer des contenus accessibles sur une plateforme stand-alone puisqu’elle agit quand même comme un canal d’acquisition supplémentaire pour le FAI : au lieu d’accumuler les abonnements indépendants, les clients préfèreront une facture unique. C’est le pari que fait Altice.
L’investissement dans la production de contenus est un cercle vertueux
À l’échelle du groupe Altice, les charges liées à la rémunération des contenus augmentent au fil des années. Un constat relativisé par Damien Bernet : la hausse des revenus en production audiovisuelle permet la création de contenus de meilleure qualité, donc une meilleure offre pour les agrégateurs, donc des revenus pour les FAI.
« Travailler sur les genres dans lesquels nous sommes leaders ». Résumée en une phrase par son directeur général, la stratégie de la branche Média d’Altice se concentre en effet autour de contenus très précis. L’information et le talk évidemment avec des marques très fortes comme RMC, mais aussi le documentaire.
Altice Média, par l’intermédiaire de RMC Découverte, est leader sur ce genre en termes de consommation et d’usages, mais également en termes de financement. Premier partenaire financier des producteurs de documentaires en 2017 et 2018 d’après les rapports du CNC, les apports de la chaîne au genre atteignent 25 millions d’euros. Sans se restreindre aux seuls documentaires, RMC Découverte est la chaîne qui investit le plus dans la production originale en TNT.
En plus d’être diffuseur, le groupe endosse progressivement le rôle de producteur. C’est une manière d’assurer l’aboutissement de projets de qualité. Damien Bernet cite l’exemple du documentaire Les derniers Secrets d’Égypte, dont la production aurait été impossible sans l’aide non seulement d’Altice Média, mais également de ses partenaires européens. Sans ces acteurs étrangers, impossible de concrétiser les idées, et de profiter du premier bénéfice des co-productions européennes : l’existence de contenus de qualité.
Le second bénéfice, et surement le plus litigieux, c’est celui du partage de la valeur des contenus. Interrogé à ce sujet, Damien Bernet a abordé la problématique de la propriété des catalogues co-produits. La question des droits est épineuse, et même si RMC Découverte est peu concernée par la fuite des contenus auxquels elle a participé, le directeur d’Altice Média a tenu à préciser que la création de valeur ajoutée était aussi le fait de la chaîne qui permettait l’existence du contenu.
Christian Bombrun, Directeur Marketing Divertissement et Nouveaux Usages d’Orange France
De meilleurs outils de recherche et de recommandation pour répondre à l’hyperchoix de contenus
Selon Christian Bombrun, la réponse à l’hyperchoix de contenus ne réside pas dans les dépenses marketing mais dans le développement d’outils de recherche et de recommandation perfectionnés. Il cite Netflix en exemple dont il affirme que l’essentiel des usages dépend de ses algorithmes de recommandation. Pour le Directeur Marketing Divertissement et Nouveaux Usages d’Orange France, l’expérience utilisateur et la recommandation sont la clé face la multiplication des contenus.
Sur ce même thème, Christian Bombrun estime que l’explosion de l’offre de contenus témoigne de la bonne santé du secteur. Pour lui, le développement d’un programme fort ne se fait pas nécessairement au détriment d’un autre. Game of Thrones, Le Bureau des Légendes, Au Nom de la Rose… nombreux sont les contenus de qualité à pouvoir fonctionner les uns face aux autres. S’il considère qu’il y a aujourd’hui de la place pour les différents acteurs, il concède néanmoins que des transformations s’opèreront à l’avenir chez certaines chaînes.
L’intermédiation comme solution face à la fragmentation de l’offre
Christian Bombrun admet qu’il existe un risque de lassitude pour le consommateur face à la multiplication des points d’accès aux contenus. Celui-ci ne souhaitera probablement pas cumuler les abonnements et finira par se détourner de ces offres. Néanmoins, ce phénomène de fragmentation de l’offre s’accompagne d’un nouveau besoin du point de vue de l’utilisateur : celui d’intermédiaire pour agréger les offres et les proposer dans un package unique. A l’image de ce qui se faisait dans les années 90 avec les bouquets TV, de nouveaux bouquets d’un autre type, mêlant univers linéaire et à la demande, devraient fleurir sur le marché à l’avenir. Il s’agit pour lui de la prochaine grande bataille dans les contenus. Ce rôle d’agrégateur des différentes offres sera clé. Une bataille à laquelle Orange, de par sa position de distributeur, se mêlera et qui l’amènera à être en concurrence avec des acteurs d’envergure aux ambitions similaires comme Apple notamment.
Les distributeurs, maîtres du jeu en matière de data
Sur le sujet du partage des données entre diffuseurs et producteurs, Christian Bombrun ne fait pas de mystère sur le fait qu’il s’agit d’un sujet sensible qui fait naître des tensions entre les différents acteurs. Et pour cause, l’enjeu est de taille ! Celui qui maîtrise les données comportementales dispose de l’une des clés sur les usages de demain selon lui.
Le Directeur Marketing Divertissement et Nouveaux Usages d’Orange France insiste sur le fait que la situation de la France reste singulière. Alors qu’outre-Atlantique les offres OTT direct-to-consumer occupent une place très importante, le marché français repose avant tout sur des réseaux managés. Une particularité qui a fait que Netflix s’est décidé à collaborer avec les opérateurs télécoms dès son lancement dans l’Hexagone, de même que les concurrents de la plateforme américaine sont aujourd’hui nombreux à solliciter les telcos pour être repris dans leurs box. Un modèle français qui fait des box et des réseaux des FAI des atouts considérables pour un contrôle étendu de la data. Les plateformes de streaming sont certes globales, mais tant que la distribution restera principalement locale, les opérateurs garderont la main sur la maîtrise des données selon lui.
Thierry Cammas, gérant de VIACOM et Président Directeur Général de GAME ONE
Préférer la distribution par un opérateur à un service Direct-to-Consumer
Les contenus jeunesse sont des programmes stratégiques pour les distributeurs et les éditeurs. Thierry Cammas, dans sa première prise de parole, analyse le succès de Pat’Patrouille, dont VIACOM est à l’origine. Selon lui, deux éléments sont suffisants pour comprendre l’adhésion du public à ce programme. Il a d’abord souligné l’importance de la qualité et de l’attractivité de la marque programme et de la marque chaîne. De plus en plus matures, les publics savent dorénavant identifier les contenus qualitatifs. Les audiences s’agrègent d’elles-mêmes autour des programmes attractifs. Mais pour ce faire, l’acheminement du programme jusqu’au spectateur doit être optimal. Sans modalités de distribution adéquates, difficile de faire vivre ses productions.
C’est là le deuxième élément de compréhension de l’adhésion du public : VIACOM privilégie les solutions de distribution permettant de faire naître un engagement suffisant. Dans les océans que peuvent être Google Play ou iTunes/AppStore, faire émerger sa propre plateforme et construire une relation de long terme avec le consommateur nécessite des coûts considérables. Ainsi la solution d’une plateforme D2C est délaissée par le groupe au profit d’opérateurs et distributeurs qui bénéficient déjà d’une relation client librement consentie et fidèle.
Au-delà du simple acheminement optimal des contenus au client, cette stratégie permet également à VIACOM de se défaire des dépenses de marketing et de maintenir un investissement constant dans les contenus. Il s’agit pour eux, explique Thierry Camas, de compenser le risque pris par le producteur dans la création et la concrétisation des contenus par la sûreté que peuvent offrir des canaux privilégiés comme ceux des FAI. L’auto-distribution reste une solution très coûteuse en marketing.
Vers davantage de partage de données entre éditeurs et distributeurs
Sur la question du partage de données entre éditeurs et distributeurs, Thierry Cammas estime que la pratique devrait se développer à l’avenir. Il précise que le partage de data existe d’ores et déjà à travers des actions de CRM, que ce soit en stratégie de conquête ou de fidélisation. Il arrive que des opérateurs partagent des données consommateurs avec les éditeurs pour leur permettre de toucher les fans d’une marque média ou d’une marque programme. Dans les faits, cela permet d’avertir les fans d’un programme de sa disponibilité chez un opérateur et, de la même façon, de sensibiliser les abonnés de l’opérateur à la mise en place d’opérations spéciales de la part de l’éditeur autour de ce programme. Thierry Cammas insiste sur le fait que ces données sont limitées aux seuls fans d’une marque média ou programme, chez un opérateur en particulier, et que par conséquence elles ne présentent un intérêt que pour l’éditeur et l’opérateur concernés.