Les analystes spécialisés dans les médias se rappelleront sans doute de l’automne 2019 comme étant l’un de ceux pour lesquels vacances de la Toussaint et célébrations d’Halloween avaient été durement malmenées par une avalanche d’annonces aussi nombreuses que contradictoires, ou au moins apparemment paradoxales : arrivée d’Amazon Prime (vidéo mais aussi musique et e-commerce) dans les offres de Free, de ce côté-ci de l’Atlantique ; fermeture de Playstation Vue (le skinny bundle packagé par Sony) et confirmation de la santé chancelante de AT&T TV Now (ex DirecTV now) aux Etats-Unis ; ambitions (ré) affirmées pour HBO Max (groupe AT&T / Warner)… mais output deal avec Sky révélé (non officiellement confirmé à ce stade) par le site internet spécialisé TBI Vision qui rendrait difficilement envisageable le déploiement de HBO Max en Grande-Bretagne et peut-être au-delà (Sky est aussi l’un des distributeurs leaders en Allemagne et en Italie, et il est challenger en Espagne et en Suisse), sans oublier le lancement mondial d’Apple TV+ programmé pour ce vendredi 1er novembre.
On le sait, ces premiers mouvements sont les signes avant-coureurs d’une guerre de mouvements qui verra lancements, alliances tactiques et accords stratégiques se succéder tout au long de l’année 2020. Ils ont au moins pour mérite de préciser quelques notions qui seront demain l’ordinaire de l’univers numériques et, notamment les champs respectifs de l’OTT et de la SVoD.
Le premier – et son nuage de notions avoisinantes : cord cutting…– illustre bien la tentation du monde numérique à tester les modèles de free rider. Les skinny bundles en ont constitué une remarquable (au sens propre) mise en application : moi, opérateur américain (câble, satellite ou télécom) bénéficiant dans mon « territoire » de marges très confortables et d’un revenu par abonné à faire pâlir d’envie mes homologues européens, je porte le fer sur celui de mes concurrents en y commercialisant les désormais célèbres skinny bundles, à des coûts inférieurs car « embarquant » une offre de contenus moins riche… mais aussi parce que ne supportant pas les coûts d’infrastructure. Et je crée ainsi, ou au moins j’entretiens, une guerre des prix qui tire l’ensemble du marché vers le bas.
L’arrêt annoncé de Playstation Vue mais, au-delà, l’impasse du modèle des skinny bundles qu’avait mise en évidence Gilles Pezet, vaut au-delà pour une très large part des modèles OTT : en faire le choix signifie pour l’éditeur qu’il encaisse 100% des revenus d’abonnement… mais qu’il supporte aussi 100% de charges essentielles mais impossibles à esquiver (infrastructure vidéo, gestion des abonnements, de la facturation et des recouvrements, coûts de markéting…) sans aucune possibilité de mutualisation ou de « délégation » au distributeur.
La vague SVoD est d’une autre nature. Elle prolonge et amplifie le mouvement enclenché par les premiers services de vidéo à la demande dite « transactionnelle » (il y a plus de 15 ans) et surtout par les offres de catch-up TV (plus de dix). Les premiers permettaient de regarder moyennant paiement des programmes non disponibles à la télévision – pour les films frais particulièrement ; les secondes mixaient « rattrapage » – leur vocation initiale -, volume et gratuité. La SVoD combine les promesses : amples catalogues, offre significative de productions originales / inédites, et tarif d’abonnement mensuel inférieur à la location en VoD de deux à trois films récents.
Sortir de la confusion qui a souvent régné dans la période récente entre ces deux notions rend les mouvements plus lisibles :
- Les skinny bundles ont échoué parce qu’ils se bornaient à reproduire la promesse d’avant – le linéaire – mais dans un confort d’utilisation (une « UX ») plus limité et avec un avantage tarifaire de plus en plus réduit ;
- Les services à la demande qui se multiplient épousent un basculement des usages auquel n’échappent que quelques genres de programmes, et pour des raisons presque tautologiques : ceux dont le direct est la raison d’être, sport et info en tête.
- La réorganisation de la distribution n’en est qu’à ses prémices. Comme Netflix hier, comme Amazon aujourd’hui, on peut parier que les grandes plateformes seront progressivement intégrées aux offres des distributeurs.
Il restera à ces derniers deux questions, au moins. La plus basique d’abord : sur la façon de valoriser en amont la « promesse contenu » quand le nombre de chaînes disponibles n’est plus l’étalon. La plus trapue, ensuite : sur la façon d’apporter demain une valeur ajoutée expérientielle à ces « bouquets SVoD » comparable à celle qu’a représenté hier l’EPG dans un univers de chaînes linéaires.
Philippe Bailly
@pbailly