Au moment où se déroulent les premières épreuves du bac, la réouverture du sujet chronologie des médias va soumettre les professionnels du cinéma à un intéressant problème d’arithmétique et d’art de la négociation appliqués. « Je sais que [la question] cristallise un équilibre extraordinairement subtil, relevait d’ailleurs Franck Riester, le 17 janvier, lors de l’inauguration du siège parisien de Netflix. Mais […] il serait logique que de nouveaux diffuseurs comme Netflix puissent négocier, dans cette chronologie, une fenêtre qui reflète réellement leur contribution au préfinancement des œuvres ».
Quelques rappels permettent de situer les termes de l’équation.
Le ministre de la Culture, d’abord, prévoit de soumettre les plateformes de SVoD principalement axées sur le cinéma et les séries (c’est-à-dire à peu près toutes aujourd’hui) à une contribution à la création représentant au moins 25% de leur chiffre d’affaires, et la négociation professionnelle pourrait même porter ce taux à un niveau supérieur.
S’agissant de Netflix, les revenus correspondant au chiffre de 6,7 millions d’abonnés communiqué par Reed Hastings lors de son passage à Paris peuvent être estimés à 965 M€ TTC (en valorisant l’ensemble du parc au tarif intermédiaire de 11,99€/mois), soit 770 M€ HT et, finalement, une contribution totale proche de 200 M€, conforme aux chiffres entendus dans le marché ces derniers jours.
Reste à savoir comment ce montant sera ventilé entre cinéma et production audiovisuelle.
La répartition sera effectuée « en tenant compte de la composition de l’offre et (pour les SMAD) de la consommation », a précisé le ministère, le 14 janvier, en présentant les orientations du futur « décret production » ;
En décembre 2019, le cinéma représentait 57% de l’offre de programmes des plateformes étudiées par le Baromètre SVoD NPA Conseil / Harris Interactive (ADN, Amazon Prime Video, Apple TV+, Canal+ Séries, FilmoTV, Gulli Max, Netflix, SFR Play, OCS, TFou Max, VidéoFutur), en recul de 1 point par rapport à la fin 2018. Même tendance baissière chez Netflix : 45%, au lieu de 47% un an plus tôt.
Côté consommation, le cinéma a perdu 7 points entre les mêmes périodes sur l’ensemble de la SVoD (22,7% vs 29,9%), et plus de 5 sur Netflix… (21,9% vs 27,1%).
En fonction du mode de calcul retenu, la contribution à la production cinématographique de Netflix devrait donc être théoriquement comprise entre 40 M€ (prise en compte de la seule consommation), et 85 M€ (focalisation sur l’offre).
Mais le ministère s’est d’ores et déjà autorisé à sortir de la stricte réalité arithmétique en indiquant que le cinéma bénéficierait d’un « taux plancher » qui lui garantirait donc un minimum d’apports.
Jusque-là, un aspirant bachelier devrait venir à bout sans trop de difficultés de cette succession de règles de trois… et c’est alors que les choses se compliquent.
Comment prendre en compte, d’abord, la part croissante des films qui ne sont jamais sortis en salle dans l’offre des plateformes de SVoD, et de Netflix en particulier ? D’Okja à Banlieusards, en passant par The Irishman, les productions dites Direct to Video (DTV), qu’il s’agisse d’achats ou d’Originals, représentaient en décembre 2019 60% du catalogue cinéma de Netflix. Elles ne disposent pas d’un numéro de visa, ne peuvent postuler aux aides du CNC, ne peuvent être présentés en compétition au Festival de Cannes… et ne constituent pas des films de 7e art au sens juridique du terme. Les considérer en conséquence comme des œuvres audiovisuelles, et pas de cinéma, ramènerait le financement auquel ce dernier peut prétendre dans une fourchette allant de 15 à 35 M€…
La ligne à défendre lors des (re)négociations annoncées sur la chronologie des médias constituera l’ultime casse-tête pour les professionnels du cinéma.
Avancer de manière (très) significative l’ouverture de la fenêtre dédiée à la SVoD, constituerait sans doute le moyen le mieux assuré d’amener les plateformes à se réintéresser aux films sortis en salle, de redonner ainsi des couleurs à leur offre de cinéma, d’en stimuler la consommation, et finalement d’accroître la part de financement qui lui sera affectée.
Mais Canal+ et OCS, les premiers aujourd’hui (hors DVD et VoD) à pouvoir proposer les films, huit mois après leur sortie, ne l’entendront certainement pas de la même oreille. Or, les investissements respectifs de Canal+ (114 M€), de Cine+ (18 M€) et d’OCS (27 M€) dans le cinéma totalisaient 160 M€ en 2018, soit 60% de plus que l’addition des apports de TF1, France Télévisions et M6.
Un statu quo permettant aux services français de conserver leur avantage en termes de « fraîcheur » des films proposés, d’une part, aux plateformes SVoD de continuer à creuser le sillon DTV tout en concentrant leur financement sur les séries ou les documentaires, est peut être au final le scénario le plus probable.
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