Patrie de naissance du cinéma, la France a toujours été aux avant-postes pour soutenir la création audiovisuelle, favoriser son effervescence et défendre son caractère d’exception, autour d’une conviction forte : la création ne saurait constituer un simple bien marchand, soumis aux règles générales du libre-échange. D’elle procède tout un pan de notre culture, de notre identité même. En cela, elle mérite une attention particulière.
Raison de plus pour ne pas manquer le coche de la réforme qui s’offre à nous. La transposition de la directive européenne sur les Services de médias audiovisuels (SMA) représente une occasion unique de moderniser le financement de la création française, pour l’adapter aux enjeux du monde qui se dessine.
Un monde où les investissements dans la création se démultiplient comme jamais, avec l’arrivée de nouveaux acteurs surpuissants, mais où l’argent reste concentré entre les mains d’une poignée d’acteurs américains ou chinois.
Un monde d’une créativité débridée, mais où l’indépendance et les talents peuvent désormais s’acheter via des exclusivités.
Un monde où l’accès aux contenus n’a jamais été aussi simple, pour peu que l’on ait l’envie – et les moyens – de payer pour.
Un monde, surtout, où les acteurs ne jouent pas avec les mêmes règles, selon leur pays d’origine ou de résidence fiscale.
Réinventons notre modèle en mettant de côté intérêts particuliers ou corporatistes et faisons rayonner la création française, en la dotant d’un financement renforcé et pérenne basé sur deux principes intangibles, l’équité et la coopération entre les différents acteurs.
Une condition de succès : l’équité.
L’équité, c’est avant tout corriger l’asymétrie fiscale et les obligations d’investissement avec ces géants mondiaux, comme Netflix, Amazon, Apple ou Disney.
C’est faire en sorte que chaque acteur – producteur, diffuseur …- puisse trouver une juste contrepartie aux risques qu’il prend. La production indépendante est la force de notre exception culturelle. Mais à l’heure où les trois grands diffuseurs nationaux (francetélévisions, M6 et TF1) ambitionnent de lancer leur propre plateforme vidéo par abonnement, SALTO, l’extension des droits est un sujet central. Là où les acteurs internationaux auraient la possibilité d’exploiter les droits « monde » de leurs contenus, les diffuseurs locaux devraient logiquement avoir un accès facilité aux mandats de vente internationaux des programmes qu’ils financent. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. L’équité implique impérativement la défense de la production indépendante, sans déposséder les chaines d’une partie essentielle de leurs droits, ce qui mettrait à mal leur compétitivité dans le nouveau monde numérique.
C’est aussi redonner de la vigueur à la capacité de financement des acteurs locaux, en continuant notamment à assouplir l’accès à la publicité pour les secteurs interdits, comme la promotion pour la grande distribution, et en veillant à limiter les impacts qu’une application sans discernement des propositions de la Convention Citoyenne ne manquerait pas de causer à l’ensemble de notre secteur. La question n’est pas « comment taxer plus », mais comment accroitre la contribution commune, en tenant compte des enjeux et des modèles éditoriaux propres à chacun.
L’équité, c’est enfin reconnaître qu’entre la fenêtre de visibilité offerte par les chaînes de télévision en clair et l’intégration dans un catalogue SVOD, il y a un monde. La présence dans une bibliothèque numérique n’a rien de comparable avec l’exposition d’une diffusion en prime time. La télévision, par sa faculté unique à toucher instantanément un public très large, crée une valeur sans égale pour la suite de l’exploitation d’une œuvre qu’il est indispensable de prendre en compte.
Un objectif : la coopération.
La création a besoin de partenaires locaux solides, capables d’apporter un accompagnement de proximité. Elle peut gagner en envergure en s’adossant à des partenaires internationaux. C’est un nouveau modèle de coopération avec ces acteurs que nous pouvons dessiner. Un modèle qui n’épuise, ni ne lisse les idées et les cultures, mais qui s’appuie sur la richesse de notre terreau créatif et lui donne les moyens de s’exprimer à plus grande échelle. Avec à la clef des œuvres audiovisuelles accessibles en France au plus grand nombre grâce aux diffuseurs locaux, mais qui, mieux financées et s’appuyant sur la puissance des acteurs mondiaux, élargiront leur audience internationale et le « soft power » français.
En posant les bases d’un modèle rénové, plus équitable, qui dépasse les oppositions d’arrière-garde, la transposition de la directive européenne peut renforcer la capacité d’investissement de tout notre écosystème, mais aussi favoriser l’émergence d’une coopération nouvelle entre acteurs locaux et internationaux, où chacun trouve une place à la juste hauteur de son financement et de l’exposition qu’il apporte.
Pour ce faire, il est urgent de passer d’une logique encore trop largement punitive à un système plus souple et incitatif. Il est juste que les plateformes soient soumises à une obligation d’investissement, à l’instar des chaînes de télévision.
Dans le cadre de cette transposition, pourquoi ne pas aller plus loin et mettre en place des mécanismes accélérateurs pour encourager toute association entre un diffuseur national et une plateforme internationale dans un projet commun ?
Tous ceux qui souhaitent un modèle d’avenir pour la création française trouveront en nous, un interlocuteur ouvert et constructif avec une vision ambitieuse, qui bénéficie à l’ensemble des métiers et des acteurs de notre écosystème.
Gilles Pélisson
PdG Groupe TF1