Signe de l’importance majeure que le sujet représente pour le groupe, l’ouverture de Netflix à la publicité a été accompagnée d’une communication millimétrée et soigneusement fractionnée. Des premiers éléments dévoilés le 1er septembre par le Wall Street Journal (voir INSIGHT NPA #1053) aux annonces du jeudi 13 octobre, l’audiovisuel a passé six semaines au rythme des rumeurs concernant la nouvelle offre du streamer, tandis que le groupe assurait de pouvoir affiner au fur et à mesure ses messages au gré des réactions à ces « ballons sonde ». En attendant la présentation des résultats trimestriels, le 18 octobre, et la publication annoncée des prévisions de chiffre d’affaires publicitaire, deux points-clé émergent d’ores et déjà de la prise de parole du groupe : l’ampleur du mouvement, puisque les 12 pays retenus concentrent plus de 70 % des abonnés du groupe, d’une part, l’importance du différentiel de prix entre forfaits avec ou sans publicité, de l’autre. Il repositionne – presque – partout Netflix comme le mieux disant tarifaire et permet de parier sur un fort mouvement de (re)prises d’abonnements. S’agissant du potentiel de recettes de l’offre avec publicité, précision de la mesure d’audience et niveau d’adéquation du catalogue représentent en revanche deux incertitudes majeures.
Le 13 octobre, Netflix a dévoilé la liste des 12 pays retenus pour le lancement de son offre intégrant de la publicité – Australie, Brésil, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Mexique, Corée du Sud, Espagne, Royaume-Uni et Etats-Unis – et les tarifs auxquels le forfait “Essentiel avec publicité” sera accessible localement.
Un lancement XL et une position de mieux disant tarifaire retrouvée
Si la remise est, partout, substantielle, elle oscille néanmoins de -20 % (au Japon) à -42 % (Corée du Sud), et il n’est pas même possible de trouver une convergence entre marchés géographiquement voisins : -40 % au Canada, mais -30 % aux Etats-Unis ; -29 % au Royaume-Uni, et presque dix points de mieux (-38 %) en Allemagne.
Price of the Essential plan, with or without advertising, gap, and Netflix penetration in the 12 selected countries |
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Country | Australia | Brazil | Canada | France | Germany | Italy | Japan | Mexico | South Korea | Spain | UK | USA |
Penetration* | 65 % | 22 % | 48 % | 29 % | 24 % | 12 % | 11 % | 23 % | 23 % | 26 % | 57 % | 53 % |
Basic no ads | $10,99 | R$ 25,90 | $9,99 | € 8,99 | € 7,99 | € 7,99 | ¥990 | $139 | ₩9 500 | € 7,99 | £6,99 | $9,99 |
Basic with ads | $6,99 | R$ 18,90 | $5,99 | € 5,99 | € 4,99 | € 5,49 | ¥790 | $99 | ₩5 500 | € 5,49 | £4,99 | $6,99 |
Gap | -36 % | -27 % | -40 % | -33 % | -38 % | -31 % | -20 % | -29 % | -42 % | -31 % | -29 % | -30 % |
*: Dataxis estimates Source: NPA Conseil
Et la recherche de relations fondées sur les niveaux de pénétration atteints dans ces différents pays n’est pas plus fructueuse : le coefficient de corrélation entre taux de pénétration locaux et écart entre le prix des forfaits Essentiel avec ou sans publicité est négatif (-0,3).
On peut noter, en revanche, que Netflix a choisi un lancement à grande échelle pour sa nouvelle offre : avec environ une offre accessible à 160 millions d’abonnés cumulés, selon les estimations de Dataxis, les 12 marchés concernés représentent plus de 70 % de la base totale de clients du streamer.
Quant au différentiel de prix retenu, c’est sans doute l’observation des contexte concurrentiels locaux qui en fournit la meilleure explication.
Au gré des augmentations de prix qu’il avait pratiqué ces dernières années, d’une part, des positionnements agressifs retenus lors de leur lancement par des concurrents locaux ou globaux, Netflix avait progressivement perdu l’attractivité tarifaire qui avait été l’un des fondements de sa réussite au cours de la décennie 2010.
Dans chacun des douze marchés retenus, ou presque [1], sa nouvelle option lui permet d’afficher à nouveau l’offre de SVoD la moins onéreuse (seul ou à égalité). Au-delà de l’ouverture à une nouvelle source de revenus, la formule avec publicité représente donc pour Netflix une forme de retour aux bases de son marketing mix originel. Et une façon de gêner ses concurrents dans leur tentation potentielle de relever leur prix pour répondre aux messages insistants sur l’amélioration de la rentabilité que leur adressent les marchés depuis le début de l’année.
Mais la voie choisie – créer une quatrième façon de s’abonner à Netflix – plutôt que substituer la formule avec publicité à l’actuel forfait Basic (Essentiel), comme l’a choisi Disney+ [2] – sera source de plus grande complexité dans la gestion des abonnements. Elle le prive aussi de la possibilité de constituer dès le premier jour une base de contacts significative à apporter aux annonceurs, en basculant l’ensemble des abonnés Basic vers la nouvelle formule.
Cheapest plan available locally, for each service | ||||||||
Australie | Canada | France | Germany | Italy | Spain | UK | USA | |
Currency | AUS$ | CAN$ | Euro | Euro | Euro | Euro | Pounds | US$ |
Netflix Basic | $10,99 | $9,99 | € 8,99 | € 7,99 | € 7,99 | € 7,99 | £6,99 | $9,99 |
Netflix Basic with ads | $6,99 | $5,99 | € 5,99 | € 4,99 | € 5,49 | € 5,49 | £4,99 | $6,99 |
Prime Video | $6,99 | $7,99 | € 6,99 | € 8,99 | € 4,99 | € 4,99 | £8,99 | 14,99 |
Disney+ | $11,99 | $11,99 | € 8,99 | € 8,99 | € 8,99 | € 8,99 | £7,99 | 7,99 |
HBO Max | NA | $9,99 | NA | NA | NA | € 4,49 | NA | 9,99 |
Peacock | NA | NA | NA | NA3 | NA3 | NA | NA3 | 4,99 |
Paramount+ | $8,99 | $5,99 | € 7,992 | € 7,99 | € 7,99 | £6,99 | 4,99 | |
Hulu | $6,99 | $9,99 | NA | NA | NA | NA | NA | 7,99 |
Main local player1 | $10,00 | $9,99 | € 6,99 | € 4,99 | NA | € 4,99 | £5,00 | NA |
1 Australie : Stan; Canada : Crave ; France : Salto ; Allemagne : RTL+ ; Espagne : Atresplayer ; UK : Now TV
2 : NPA Conseil estimate
3 Bunddled with Sky Offers but not available stand alone
Source: NPA Conseil
Les marchés apparaissent à ce stade dans l’expectative sur les vertus de cette agressivité retrouvée : l’action Netflix a perdu 1,08 % vendredi 14, à mi-chemin ou presque entre WBD (-0,56 %) et Comcast (-0,60 %), d’une part, Walt Disney (-1,78 %) et Paramount (-1,98 %), de l’autre. La « big picture » présentée le 18 octobre à l’occasion de la publication des résultats trimestriels – et notamment les prévisions de recettes attendues de la publicité – pourrait conduire à des écarts plus significatifs.
Trois millions d’abonnés français à Netflix avec publicité à fin 2023 : une hypothèse vraisemblable
Lors de sa présentation à la presse du 13 octobre, Netflix a indiqué avoir déjà séduit une centaine d’annonceurs, qui auraient réservé l’ensemble des espaces proposés à la vente. A ce stade, le volume de cet inventaire est purement hypothétique, dès lors que la commercialisation de la nouvelle formule n’a pas débuté.
D’après Variety, les prévisions évoquées par Netflix pour cette nouvelle option semblent en tout cas modestes, à très court terme (4,4 millions d’utilisateurs au niveau mondial, à fin 2022, soit 2,5 à 3 % de la base éligible). A l’horizon de la fin 2023, le groupe « aurait indiqué à des acteurs du marché publicitaire en France, tabler sur 2,8 millions de visiteurs uniques par jour », indique Les Echos.
La prévision apparait vraisemblable si l’on entend par « visiteur unique » abonné à la nouvelle option : interrogés au début du printemps dans le cadre du Baromètre OTT NPA Conseil Harris Interactive, 17 % des Français non-clients du streamer se déclaraient « intéressés » par « une offre à prix réduit intégrant de la publicité », soit environ 3 millions. Sans compter avec ceux qui y étaient déjà abonnés et décideront de changer de formule.
La notion sera toutefois à préciser, dans sa définition même autant que dans la capacité de Netflix à la mesurer, en France en tout cas. A la différence de ses homologues américaines ou britanniques, la filiale française n’a pas rallié l’étude de mesure de référence locale (Nielsen aux Etats-Unis ou BARB au Royaume-Uni), pour lui préférer des partenariats spécifiques avec Integral Ad Science et Double Verify.
Il ne bénéficiera donc pas de la capacité des premiers à décompter grâce à leurs panels le nombre de spectateurs suivant le même visionnage, dans un foyer donné. Cela rendra plus aléatoire le calcul de son reach, et compliquera son intégration aux logiciels de media planning.
Deux points clé, devront, enfin, être clarifiés.
Sur le profil des annonceurs recherchés, et du type de campagne qu’ils souhaiteront conduire via Netflix, d’abord.
Ainsi que l’INSIGHT NPA #1058 l’avait anticipé, les quelques noms dévoilés le 13 octobre (L’Oreal, General Motors…), comme le contexte dans lequel elles se sont engagées (à l’aveugle sur la montée en puissance de la base adressable, donc sur la durée de la campagne permettant de servir le nombre de contacts achetés), suggèrent plus des opérations d’image, conduites par des marques du haut de gamme que des campagnes centrées sur le ROI et les retombées commerciales immédiates. Être l’un des participants au – probablement – plus grand événement publicitaire mondial de l’année mérite sans doute cette part d’incertitude.
Une cohérence à préciser concernant le profil d’annonceurs recherché
Mais demain ? Le pricing retenu par Netflix pour son forfait avec publicité suggère davantage le recrutement d’abonnés mainstream que d’une clientèle upper class (déjà largement embarquée par ailleurs : +4 points de pénétration sur les CSP+, en France, par exemple, d’après le Baromètre OTT NPA Conseil Harris Interactive). Il n’est pas sûr que les responsables du marketing de produits de grandes consommation (FMCG) qui en constituent la contrepartie naturelle trouvent leur compte dans les possibilités de ciblage limitées aujourd’hui proposées par Netflix, et dans les tarifs – toujours officieusement – évoqués.
Le potentiel commercial se trouverait en tout cas sensiblement réduit si Netflix devait se limiter au rôle de vitrine pour annonceurs du luxe…
La part du catalogue commercialisable et effectivement commercialisée représente l’autre inconnue.
Netflix a indiqué qu’il n’intégrerait pas de publicité dans les programmes destinés à la jeunesse. Ces derniers représentent environ 10 % du catalogue.
Pour des raisons de titularité des droits, « 5 % à 10 % » des titres disponibles dans les abonnements sans publicité, ne devraient pas être accessibles aux clients des forfaits avec publicité.
Surtout, « les annonceurs pourront également choisir que leurs publicités n’apparaissent pas sur des contenus pour adultes « qui pourraient être incompatibles avec leur marque », a indiqué le COO et Chief Product Officer de Netflix Greg Peters, cité par Variety. Les acheteurs pourront par exemple refuser que leurs publicités apparaissent dans des programmes contenant du sexe, de la nudité ou de la violence ».
Parmi les 10 séries les plus regardées sur Netflix au cours de la semaine du 3 au 9 octobre, l’histoire du serial killer Jeffrey Dahmer se classe de très loin première (205 millions d’heures de visionnage dans le monde). série figure en deuxième position (31 millions d’heures vues), The Midnight Club (fantastique) est quatrième (19 millions), Fate: The Winx Saga (fantastique ; 15 millions) sixième, la saison 4 de Stranger Things (horreur et fantastique ; 9,5 millions) neuvième, et la mini-série documentaire sur un autre serial killer, John Wayne Gacy, conclut le Top10 (9 millions).
Convaincre les annonceurs de la bonne adéquation entre ces programmes et l’image qu’ils souhaitent développer ne sera peut-être pas la moindre des difficultés.
[1] Espagne et Etats-Unis exceptés
[2] Aux Etats-Unis, le forfait avec publicité sera commercialisé à $7,99, prix actuel de la formule sans publicité. Il en coûtera désormais $10,99 pour accéder à cette dernière. Les modalités proposées en dehors des Etats-Unis n’ont pas été indiqués à ce stade.