L'édito de Philippe Bailly

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TNT française, TNT anglaise : deux trajectoires différentes

Alors que l’ARCEP s’interroge sur l’avenir de la TNT en France, le Royaume-Uni semble connaître des jours meilleurs. Loin d’être « à bout de souffle » comme son pendant français, la plateforme Freeview affiche une progression de 7% du nombre de foyers utilisateurs. La TNT suit donc deux trajectoires différentes de part et d’autre de la Manche. En enrichissant son offre, Freeview a su s’adapter à l’évolution des usages.

Freeview a été créé en 2002 sous la forme d’un consortium formé d’abord par la BBC, Sky UK, et Arqiva, auxquels se sont ajoutés ITV et Channel 4. La diffusion a commencé la  même année, grâce aux brevets obtenus après la faillite de l’opérateur de télévision numérique terrestre payante ITV Digital, actif depuis déjà 4 ans. Freeview se matérialise par la diffusion gratuite d’un bouquet de chaînes complétant les cinq canaux analogiques classiques : BBC One, BBC Two, ITV, Channel 4, et Five. Comme en France, sa réception s’est d’abord effectuée grâce à un décodeur TNT branché directement sur le poste, pour ensuite s’intégrer directement dans les téléviseurs comme source par défaut. Freeview a donc été un des principaux acteurs de l’extinction de l’analogique au Royaume-Uni.

En 2014, le projet de dispositif de réception enrichie YouView, dans lequel plaçaient énormément d’espoirs les éditeurs de chaînes gratuites, déçoit. Ce qui devait améliorer l’expérience des téléspectateurs s’est finalement transformé en set-top-box pour distribuer les offres des chaînes de télévision payantes britanniques. Le dispositif dont le développement devait remplacer Freeview a donc fini par être abandonné par la BBC, Channel 4, ITV, et Channel 5. Suite à ce différend, les investissements vers Freeview ont été rétablis permettant notamment à Digital UK, la société incarnant le consortium, d’annoncer dès 2014 le lancement de Freeview Play.

Freeview Play correspond peu ou prou à ce qui aurait pu être en France une application TNT associant le direct et le rattrapage des chaînes gratuites : une interface unique pour le stream des chaînes linéaires ainsi que l’accès direct à leurs catalogues de replay (BBC iPlayer, itv Hub, All 4, Demand 5, ainsi que UKTV Play. L’application étant intégrée nativement sur les téléviseurs connectés de la plupart des marques de premier plan (huit marques, dont LG, JVC, Philips ou Sony mais pas le leader Samsung), ou dans un décodeur enregistreur Humax, Panasonic… Freeview Play, contrairement au projet Salto en France, ne nécessite aucune dépense sinon celle du matériel. En revanche le multi-écrans est absent puisque Freeview Play est cantonné au téléviseur. À la fin de l’été 2018, près de 4 millions de terminaux (TV ou boîtier) auront été vendus selon les estimations de Digital UK[1].

Dans une étude prospective publiée en 2014[2] par l’OFCOM et menée par le cabinet britannique Mediatique, l’avenir de la TNT au Royaume-Uni était pourtant vu sous de mauvais augures. Le rapport mettait en lumière les défis d’adaptation aux nouveaux usages qu’auraient à relever les opérateurs de Freeview dans un futur proche : développement d’une plateforme, délinéarisation et accords avec les chaînes, prise en charge de la haute-définition. Force est de constater que Freeview, notamment grâce à Freeview Play, a réussi cette adaptation. Sa part de marché a été défendue, et même accrue en bénéficiant à plein du phénomène de cord-cutting auquel ont dû faire face dans le même temps les acteurs de la Pay-TV.

Le rapport annuel de Digital UK publié en juin 2018 appuie ce constat : Freeview est depuis 2016 la seule plateforme de diffusion en croissance. En deux ans, le nombre de foyers utilisant la TNT britannique a augmenté de 7%. Sur la même période, Virgin stagne, Sky perd 4%, tout comme FreeSat. Les Britanniques privilégient de plus en plus le pick-and-mix : Freeview combiné à un ou plusieurs services SVOD. Pour le premier trimestre 2018, le BARB publie les chiffres suivant : en tout, ce sont 66,6 % des foyers qui déclarent privilégier la TNT comme moyen de réception principal, complétée (25,69 %) ou non (40,95 %) par un service de Pay-TV par câble ou satellite. Mais surtout, si de 2010 à 2014, les offres complémentaires de TV par câble ou satellite ont cru alors que la TNT stagnait, on observe depuis 2016 un phénomène réel de désabonnements qui profite à Freeview.

Freeview Play a réussi à accompagner ce phénomène en complétant Freeview pour répondre aux nouvelles formes de consommation.  En acceptant de figurer aux côtés des plateformes de SVoD dans les interfaces de ses partenaires distributeurs, elle a misé sur la complémentarité avec des acteurs comme Netflix ou Amazon.

% de foyers britanniques privilégiant la TNT comme principal moyen de réception – Q1 2010 à Q1 2018

NPA Conseil sur données BARB[3]

 

En France, malgré les efforts de modernisation de la plateforme TNT, celle-ci n’a jamais réussi à profiter du standard HbbTV pour proposer une plateforme commune pour le direct et le rattrapage des chaînes gratuites. Et sur IPTV, aucun service équivalent à Freeview Play n’a encore vu le jour. Le projet Salto se rapproche de cette philosophie à la différence majeure que Freeview Play reste gratuit, contrairement au service français. Reste à savoir si la progression de la SVoD dans l’hexagone conduira elle-aussi à un phénomène de désabonnement aux offres de télévision payante capables de bénéficier à la réception hertzienne.

[1] Digital UK Update 2018, Digital UK, Juin 2018

[2] The development of free-to-view television in the UK by 2024, Mediatique pour l’OFCOM, Mai 2014

[3] BARB Establishment Survey Annual Data Report : Total Network, BARB, IPSOS Connect, Q1 2010 à Q1 2018

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