Amazon a posté la semaine dernière plusieurs offres d’emplois dont une concernant un responsable des opérations, afin de développer une offre de billetterie électronique en Asie, en Europe et aux Etats-Unis. D’après la teneur de ces annonces l’objectif est ambitieux puisqu’il s’agit « de positionner Amazon Tickets comme la première destination mondiale pour la vente de tickets en ligne. » Avec un enjeu, celui de « révolutionner toute l’expérience du spectacle vivant [Live Entertainment]» en positionnant Amazon comme un acteur incontournable « avant, pendant et après le spectacle ». Une annonce qui illustre la convergence croissante entre numérique et physique dans le secteur du divertissement.
Amazon Tickets ne sera pas une création ex nihilo. Le service existe déjà, mais pour l’instant uniquement au Royaume-Uni où il a été officiellement lancé en septembre 2015 pour remplacer un premier service expérimental, Amazon Local. La première année d’exploitation a été essentiellement consacrée à signer certains ayants-droit et à construire l’ensemble du « middleware » de la billetterie en partenariat avec le spécialiste Ingresso Group (qui travaille également avec Disney Tickets ou Cirque du Soleil). Amazon Tickets reste un service encore relativement limité. Géographiquement d’abord puisque l’essentiel des spectacles proposés (festivals, théâtre, concerts) se concentrent sur la zone du West End à Londres, une aire urbaine située à l’ouest de la capitale qui regroupe l’essentiel des lieux de divertissement (une cinquantaine de spectacles). La montée en puissance est néanmoins rapide, et outre le British Summer Time festival à Hyde Park dont Amazon est partenaire officiel pour les préventes, Tickets s’étend rapidement à d’autres spectacles sur le reste du territoire. De même, alors que le service initial, Amazon Local était centré sur le discount avec un nombre de billets limité et à prix cassé, Tickets est beaucoup plus qualitatif. Il propose pour chaque spectacle l’ensemble des catégories disponibles, Amazon ayant désormais accès à tous les sièges. Le service est également très éditorialisé avec la mise en avant de spectacles recommandés par Amazon, qui changent tous les mois. Concernant les prix, outre une politique promotionnelle récurrente, Amazon communique sur la transparence de son service avec l’affichage d’un prix « tout compris » et pour chaque spectacle et chaque catégorie de billet un détail sur la structure du prix (Face Value et Booking Fee). Enfin, 10 billets maximum peuvent être achetés par une même personne et le service n’est accessible qu’avec un compte Amazon britannique. La prochaine expansion internationale prouve dans tous les cas que les retours au Royaume-Uni ont été suffisamment convaincants pour que le géant mondial du commerce électronique décide de prolonger et de développer l’expérience.
• la billetterie électronique comme prolongement du streaming
L’intégration d’une billetterie électronique au sein de la plateforme Amazon s’inscrit pleinement dans la stratégie de la firme de Seattle de se positionner sur le divertissement global et d’utiliser la richesse des données liées à ses utilisateurs pour tisser des liens profonds avec tous les aspects du monde physique. L’abonnement premium Prime joue ici un rôle essentiel. Et ce n’est pas un hasard si les premières informations sur Amazon Tickets laissent à penser que le nouveau service fera partie intégrante de Prime avec une offre baptisée Prime Tickets accordant certains avantages (qui restent encore à déterminer) pour les abonnés. Jeff Bezos résumait parfaitement la philosophie de Prime l’été dernier à l’occasion de la conférence Recode en indiquant que le service permettait de connecter le numérique et le monde réel : « Prime has become a physical digital hybrid membership program that is unlike anything else ». La billetterie électronique prend donc tout son sens et permet d’envisager de multiples synergies avec le reste de l’écosystème Amazon.
La première d’entre elle sera sans nul doute à chercher du côté des services de streaming Prime Music (2 millions de morceaux pour les abonnés Prime) et Amazon Music Unlimited (plusieurs dizaines de millions de titres accessibles moyennant un abonnement mensuel à 10$). Si Tickets couvrira l’ensemble du spectacle vivant, les concerts ou les festivals de musique prolongeront naturellement l’expérience du streaming comme pourra le faire le théâtre pour les utilisateurs de Prime Instant Video ou de la bibliothèque numérique du Kindle. D’autant que l’ergonomie du service et qui représente déjà un des points forts de Tickets au Royaume-Uni sera utilement enrichie par l’assistant vocal intelligent Amazon Alexa.
En intégrant la billetterie électronique, Amazon va donc pouvoir prolonger le streaming comme le font déjà certains des principaux acteurs qui intègrent cette dimension dans leur activité afin de trouver des relais de croissance. Le streaming musical est logiquement en pointe avec une convergence croissante vers la billetterie et les expériences Live. Pandora a ouvert la voie en rachetant le spécialiste Ticketfly pour 450 M$ en 2015. Ce dernier, qui fourni ses services de billetterie en ligne à plus de 1000 salles et événements de petite et moyenne jauge a innové avec des outils analytiques et des services de marketing permettant aux salles d’exploiter au mieux les données collectées grâce à la billetterie en ligne. Les synergies sont évidentes avec Pandora qui possède également de précieuses données sur les goûts musicaux de plus de 80 millions d’auditeurs mensuels, qui sont en plus géolocalisés. Le mouvement est similaire chez le leader mondial Spotify, qui recommande désormais des concerts à ses abonnés en fonction de leurs habitudes sur le site et a noué un partenariat avec le géant Ticketmaster (propriété de LiveNation) pour prolonger la recommandation par des ventes réelles. Ainsi, si l’exploitation des données analytiques est depuis longtemps une des spécialités des sites de streaming, la billetterie électronique est en train de devenir un nouveau pilier des big data musicales au côté des habitudes d’écoute et des interactions sociales autour des artistes. Les services qui intègrent cette activité sont donc en capacité de se transformer pour devenir de véritables plates-formes de découverte et de diffusion qui intègrent toute les dimensions de la musique dont la scène qui représente aujourd’hui l’essentiel des revenus de l’industrie musicale (1).
• La nouvelle offensive des GAFA
En prolongeant cette logique au-delà du seul streaming musical, Amazon devrait prendre une longueur d’avance sur les autres plates-formes numériques globales, Facebook, Google, Apple, qui n’ont pas encore intégré la billetterie électronique comme un prolongement naturel de la consommation de biens culturels ou de divertissement dématérialisés. Elles devraient néanmoins se positionner rapidement. Le mouvement est amorcé chez Facebook qui a testé en décembre 2015 sur la zone de San Francisco l’intégration d’un « BUY BUTTON » directement dans les pages « événement ». Une expérience limitée à quelques producteurs et quelques salles indépendantes et sans gestion directe des inventaires par Facebook mais qui montre les velléités du réseau social qui peut ainsi proposer directement l’achat de billets dans son interface, sans rediriger les utilisateurs vers une billetterie extérieure. Google possède également des atouts déterminants quand on sait que 70% des acheteurs de billets de spectacle utilise un moteur de recherche dans leur parcours client. De plus, les outils permettant des synergies avec le Live sont nombreux, de YouTube, plate-forme de promotion et de diffusion en passant par Google Maps ou Google Wallet comme moyen de paiement. Il est important de noter également que les géants du web chinois sont sur ce sujet très en avance. Alibaba pour ne prendre qu’un seul exemple développe via sa division dédiée au divertissement, Alibaba Pictures Group, un service de réservation et d’achat de billets de cinéma en ligne, Taobao Movie. Le service a levé en mai 2015 260 M$ pour attaquer sous un nouveau nom (Tao Piaopiao ou “chasseur de billets”) d’autres marchés que celui du cinéma avec comme objectif de devenir « la principale plate-forme de marketing dédiée au divertissement » en Chine.
L’annonce du développement et de la prochaine expansion internationale d’Amazon Tickets montre une nouvelle fois la puissance et la richesse des données massives à la disposition des GAFA qui leur permettent de prendre des positions sur une multitude de nouveaux marchés, comme désormais celui de la billetterie en ligne. Avec un risque évident pour tous les acteurs positionnés sur la chaîne de valeur du spectacle et du divertissement, artistes, producteurs, gestionnaires de salles, réseaux de vente… de perdre le contrôle du lien direct avec le public. Les stratégies d’intégration verticale des géants du secteur (LiveNation, Vivendi, Lagardère, Fimalac / webedia, ou Vente Privée pour la France) associées à des opérations de rachat ou des partenariats avec les réseaux de vente montre néanmoins que le que le marché de la billetterie et du spectacle n’a pas dit son dernier mot.
(1) Les revenus de la musique Live (concerts de toutes dimensions, festivals…) sont estimés autour de 25 milliards de dollars dans le monde en 2015 (chiffres convergents pour IBISworld et PwC (Global entertainment and media outlook 2015–2019) contre 15 milliards $ pour les revenus de la musique enregistrée (physique et numérique et droits adjacents) selon l’IFPI.