L’édition 2017 du CinemaCon s’est déroulée du 27 au 30 mars dernier à Las Vegas. Sur la scène du théâtre du Caesars Palace acteurs, producteurs et réalisateurs se sont succédés pour présenter aux exploitants de plus de 90 pays les dernières images exclusives de certains des films les plus attendus de l’année. En coulisses, la convention a été une nouvelle fois l’occasion pour les professionnels du secteur d’échanger sur les dossiers brûlants du moment, au premier rang desquels la Premium VOD.
Premium VOD, les négociations se poursuivent en coulisses
Destiné aux propriétaires de salles, le CinemaCon vient de connaître une nouvelle édition 2017 record avec la présence de dix studios[1] pour honorer les professionnels du secteur. Sur la scène du théâtre Colosseum, les studios, accompagnés pour l’occasion de nombreuses célébrités, ont chacun à leur tour présenté les derniers extraits, bandes-annonces ou premières images de leurs superproductions à venir pour aiguiser, si besoin, l’appétit des exploitants présents dans la salle. Côté coulisses, l’intérêt de cette nouvelle édition du CinemaCon résidait dans le fait de voir les poids lourds de l’industrie réunis en un même endroit et donc à même d’avancer sur l’un des sujets les plus discutés de ces derniers mois[2], celui de la Premium VOD et du possible raccourcissement de la fenêtre d’exploitation exclusive octroyée aux salles de cinéma (90 jours actuellement).
Dès l’ouverture du CinemaCon, le mot d’ordre était donné par John Fithian, président-directeur général de l’association des propriétaires de salles nord-américains (NATO) : « Studios et exploitants ne parlerons pas publiquement […] les parties impliquées dans les négociations doivent s’entretenir à huit clos pour espérer parvenir à un accord profitable à tous qui sera ensuite rendu public ». De fait, devant les milliers de professionnels venus assister à leurs présentations, les différents studios ont adopté un discours unanime, ne cessant de rappeler l’importance de l’exploitation en salle, en insistant sur l’aspect sacré du grand écran et de son expérience incomparable, et la nécessité de maintenir des conditions favorables au développement du box-office. En public, seul un studio, Warner Bros., s’est risqué à prendre position sur le sujet à travers sa directrice marketing et distribution Sue Kroll : « Là où il y a de la demande, quelqu’un va intervenir et combler ce vide. Nous devons être novateurs et nous diriger ensemble vers un futur qui sera meilleur et bénéfique pour nous tous ». Pour autant, loin des lumières du théâtre Colosseum, tous ont conscience de devoir faire évoluer le modèle de distribution traditionnel avec l’instauration d’une nouvelle fenêtre à même de dynamiser un marché du Home Entertainment en déclin depuis plus d’une décennie (-7% en 2016, hors activité SVoD) mais aussi un box-office dont les récents résultats record masquent une réalité plus contrastée. Sa croissance de 2% aux États-Unis/Canada en 2016 tenait davantage d’une hausse du prix moyen du ticket de cinéma (+3% en un an) que d’une progression de la fréquentation qui s’avère stable d’une année sur l’autre. Le box-office chinois a quant à lui connu un premier recul en 2016 (-1%) après des années de croissance continue, impactant de fait l’ensemble des résultats du box-office international. Une situation qui, si elle est encore loin d’être alarmante, interroge l’ensemble de l’industrie, exploitants y compris qui voient dans l’arrivée de la Premium VOD et le partage des futures recettes une opportunité unique de faire grossir leurs revenus.
Si la majorité des studios, à l’exception notable de Disney, s’accordent sur la nécessité de développer un nouveau mode d’exploitation parallèle à la salle pour attirer un public qui ne va pas ou plus au cinéma, les modalités du projet continuent de soulever de nombreuses interrogations[3]. Six des sept studios les plus importants d’Hollywood poussent auprès des exploitants pour que la Premium VOD voit le jour d’ici à la fin d’année aux États-Unis. Mais les négociations menées séparément avec les réseaux de salles (en respect des lois anti-trust du pays) semblent prendre des directions différentes. Si tous partagent le principe général, les notions de prix de l’acte locatif et de délai d’exclusivité accordé à la salle divisent. Universal afficherait la position la plus agressive sur le sujet avec une location fixée à 40$/séance, 10 jours seulement après la sortie en salles des œuvres. Avec une approche similaire, Warner Bros. souhaiterait proposer les films en PVOD 17 jours après leur sortie sur grand écran, à un tarif unitaire de 50$. Fox, mais aussi les studios Sony, Lionsgate et Paramount, feraient preuve quant à eux d’une plus grande souplesse avec l’ouverture d’une fenêtre PVOD environ 45 jours après la salle et un prix plus abordable pour le grand public situé autour de 30$/film. Sur la nature des films à exploiter en PVOD, Universal serait le studio le moins flexible et souhaiterait proposer l’ensemble de ses sorties sur la nouvelle fenêtre. Si toutes les positions ne sont pas encore connues, Fox et Warner Bros. s’orienteraient vers une sélection de films uniquement. Les blockbusters profiteraient ainsi d’une exploitation maximale sur grand écran et seuls les films dotés de budgets moyens seraient concernés par la PVOD. A date, seul Disney, fort du succès de ses films d’animation et de ses licences Marvel, Pirates des Caraïbes et Star Wars, refuserait d’amorcer toute négociation avec les exploitants. Studio le plus rentable ces trois dernières années[4], Disney peut en effet compter sur des superproductions avec une durée de vie supérieure à la moyenne des autres studios en salles.
Le chemin à parcourir pour voir émerger un nouveau modèle de distribution reste encore long. A la multiplication des modèles proposés s’ajoute une certaine instabilité de l’exécutif avec des mouvements d’importance survenus au cours des derniers mois. En septembre 2016, Stacey Snider a ainsi succédé à Jim Gianopulos à la tête de Fox, qui vient à son tour de prendre la direction de la Paramount. Du côté de Warner Bros., Toby Emmerich, ancien président de New Line Cinema, a été nommé président et directeur de la production du studio de Burbank fin 2016. Sony Pictures est également en proie au doute après le départ de son PDG Michael Lynton en janvier 2017. Un ensemble de mouvements qui pourraient avoir un impact sur les futures négociations autour du projet de Premium VOD.
Une barrière prix qui destine la Premium VOD à un public de niche
En marge de l’ouverture du CinemaCon, l’institut de recherche CivicScience a publié une étude[5] commandée par Variety sur le rapport du public nord-américain à la Premium VOD, en particulier sur son acceptation des tarifs proposés pour la location d’un film le jour même de sa sortie sur grand écran. Sensible à la variable prix, l’écrasante majorité des répondants déclare ne pas être prête à payer 25$ pour accéder à un film en PVOD avec 64% de « non » exprimés en raison d’un prix jugé trop élevé. Une proportion qui grimpe à 78% quand le prix proposé s’établit à 50$/film. John Dick, fondateur et directeur de CivicScience, tempère néanmoins ces résultats en insistant sur le fait que selon lui « de nombreux sondés ont tendance à répondre par la négative aux questions relatives au prix de biens et services […] mais cela ne reflète pas nécessairement leur comportement dans la vie réelle ». Il ajoute que si « les consommateurs prennent le temps de calculer le coût de revient d’une sortie en famille au cinéma, en y incluant les dépenses en collations, ils pourraient alors reconsidérer la question ».
Seriez-vous prêts à payer … $ pour voir un film en VOD depuis chez vous le jour même de sa sortie en salles ?
Source : NPA sur données CivicScience
En dépit d’une réticence certaine à l’égard des deux prix proposés, il n’en reste pas moins qu’une partie des individus interrogés se dit assurément prête à payer pour accéder à un tel service. Si cette partie semble infime, respectivement 9% et 5% pour un film proposé en PVOD à 25$ puis 50$, rapportée à la taille des États-Unis, elle constitue un marché potentiel non négligeable. Avec près de 260 millions d’Américains âgés de 13 ans et plus, la part d’individus acceptant de payer 25$ pour bénéficier d’un film en PVOD équivaudrait à environ 23 millions de clients potentiels, 13 millions dans le cas d’une œuvre proposée à 50$. Des chiffres qui destinent la Premium VOD à un marché de niche à l’échelle des États-Unis et en comparaison du marché du cinéma (246 millions d’individus nord-américains âgés de 2 ans et plus se sont rendus au moins une fois au cinéma en 2016) mais qui devraient conforter les studios dans l’existence d’un besoin qu’ils comptent bien combler en faisant émerger un modèle de distribution complémentaire à la salle.
[1] 20th Century Fox, Amazon Studios, Focus Features, Lionsgate, Paramount Pictures, Sony Pictures, STX Films, Universal Pictures, Walt Disney Studios, Warner Bros.
[2] Début 2016, The Screening Room, le projet de Premium VOD de Sean Parker, créateur de Napster, faisait l’actualité et animait déjà les débats de la précédente édition du CinemaCon (cf. Flash #790 « The Screening Room, un nouveau modèle de distribution qui divise Hollywood »)
[3] Cf. Flash #827 « Day & Date : un accord entre studios et exploitants de salles se précise aux Etats-Unis »
[4] The Hollywood Reporter : Studio-by-studio profitability ranking: Disney surges, Sony sputters
[5] Étude réalisée en ligne sur un échantillon représentatif de 1 863 individus âgés de 13 ans et plus