Développer du capital de marque via le brand content tout en optimisant la transformation via le programmatique. Complémentaire ou contradictoire ?
Guillaume Belmas : « nous sommes le Google Analytics de la publicité TV »
Guillaume Belmas est le CEO de la start-up Realytics. Son domaine d’intervention est la data et son utilisation pour fournir des KPIs valorisables pour les marques. Il propose une solution permettant de mesurer le ROI d’une campagne TV sur l’ensemble de son écosystème digital (site Internet, réseaux sociaux & mobile).
Pour G. Belmas, « quand on est e-commerçant, la mesure du ROI est i ntégrée dans son ADN avec une capacité d’estimer et auditer les dépenses et le ROI de manière très précise ». Toutefois, lorsqu’on intègre la dimension offline l’exercice est plus complexe : il est difficile d’estimer le ROI des investissements TV. C’est l’enjeu de la solution Realytics qui se veut le « Google Analytics » de la publicité TV et cherche à reproduire les KPIs digitaux en télévision.
Le principe de la solution repose sur un modèle économétrique réalisé sur les données de l’annonceur. Il permet d’évaluer les remontées directes sur l’écosystème d’une publicité TV par rapport à un modèle classique. Ces incréments créés par la publicité – sauts de trafic ou d’actions par rapport à des modèles prédictifs – sont filtrés et scorés pour bien identifier les utilisateurs provenant de la télévision.
La solution permet donc de faire le pont entre on- et off-line en scannant chaque sport TV et en mesurant l’impact direct sur l’écosystème de la marque que ce soit en termes de trafic, de parcours, d’achats ou d’actions de recrutement de leads (newsletter, formulaires…). Suivre ces points de contacts permet ensuite d’évaluer en fonction des KPIs retenus, l’apport d’une publicité et « recréer un coût au lead TV ».
Benjamin Grange : « les agences sont garantes de la cohérence des campagnes et des messages »
Le Directeur général délégué de Dentsu Aegis Network ne voit aucune opposition entre branding et conversion, car l’un est une stratégie à long terme quand l’autre vise le court terme. Mais il note que l’explosion ces dernières années des points de contact a considérablement modifié les pratiques de communication. D’une quarantaine il y a 7 ans, on est passé aujourd’hui à plus de 100 points de contact. Dès lors, une problématique de gestion et de cohérence des messages se pose.
« La publicité n’est plus un élément déconnecté du reste de la communication. Elle est devenue le point de départ d’une histoire emmenant l’ensemble vers la vente ». Comme en témoigne l’approche de nouveaux annonceurs, tels Meetic, fondée sur le « test & learn », orientée sur le parcours entre tous les points de contact, et intègre un « clic to action » même dans le spot TV.
« Les agences, qui maîtrisent les points de contact et la création, sont les garantes de la cohérence d’ensemble et permettent aux marques de raconter une histoire pour engager encore plus ». Pour répondre à cet objectif, elles doivent se réorganiser et s’ouvrir aux différents talents. Ce virage a été pris par Dentsu Aegis Network il y a 2 ans. Les 150 personnes composant les équipes d’achat ont été restructurées par contenus : la Vidéo comprend ainsi les expertises TV, TVR, VoD, vidéo online, quand le Flux s’occupe de la radio et de l’affichage et le Publishing agrège le print et le display. Un effet d’irrigation a eu lieu entre les spécialistes des médias traditionnels et digitaux.
Léa : « je suis entre le média et l’égérie »
Une approche professionnelle de l’activité de YouTubeuse. Léa est une jeune Youtubeuse de 19 ans qui réunit une communauté de deux millions de fans non dédupliqués sur différents réseaux sociaux (YouTube, Instagram, Twitter & Facebook). Elle a déjà généré plus de 50 millions de vues sur ses chaînes YouTube. Depuis cinq ans, cette autodidacte conçoit et publie des vidéos sur la mode, la beauté et le lifestyle. Elle collabore avec des marques dans le cadre de créations de vidéos. Elle fait partie du réseau Finder Studio, premier réseau MCM beauté en France.
Léa a présenté son organisation et management de sa présence sur les réseaux et notamment l’utilisation de sa chaîne YouTube. Avant toute vidéo, il y a plusieurs phases de production. D’abord, Léa choisit et prépare le sujet de la vidéo dont elle a envie de parler ou qui intéresse sa communauté. Ensuite, intervient le tournage de la vidéo qu’elle réalise et édite elle-même. Ensuite, la vidéo est publiée sur la plateforme et elle gère à ce moment-là la promotion du contenu sur l’ensemble de son écosystème social.
Egérie et média. Léa est donc à la fois une égérie mais aussi un média dont les marques convoitent l’audience. Elle recevrait entre 30 et 40 propositions de partenariat par jour et en provenance du monde entier. Léa accepte les collaborations mais est très exigeante dans le choix de ces partenaires. Elle prête une attention particulière à la prise de contact et à l’affinité qu’elle peut avoir avec la marque et son univers.
Il faut une adéquation forte pour que la marque puisse trouver un écho chez le public de Léa. Si l’adéquation est là, la YouTubeuse reçoit un brief de la marque qui lui exprime son besoin de communication auprès de la communauté de Léa, composée de jeunes femmes de 18-25 ans. Une collaboration se crée ensuite pour produire un contenu intéressant qui puisse plaire aux fans. Léa souligne que les problématiques des marques relèvent certes de la communication, mais que les enjeux de transformation sont présents aussi et mesurables.
Transparence des collaborations. Léa précise qu’elle est transparente dans son approche de la publicité en mentionnant dans la vidéo la collaboration avec les marques et en renseignant aussi cette information dans la description de la vidéo YouTube. Elle considère ne pas être un « panneau publicitaire et que la crédibilité vis-à-vis de sa communauté n’a pas de prix ». De ce fait, la transparence est nécessaire parce que les internautes l’apprécient et qu’ils ne sont généralement pas dupes des placements de produits.
L’exemple de la collaboration avec ERAM. La marque de mode a présenté son souhait de renouveler son image auprès d’une audience jeune. Elle a donc collaboré avec Léa pour créer du contenu mettant en scène leurs nouvelles collections. Les deux vidéos produites ont permis de générer une audience de 300K vues à ce jour, un taux d’engagement de 6% sur ces contenus dont 20k likes et seulement 0,02% de dislikes. Ainsi la marque a trouvé à la fois une audience large mais aussi une réception très positive à son contenu.
Francine Mayer : « la publicité TV segmentée permet de rassembler le meilleur des 2 mondes, puissance et ciblage »
Pour la Présidente de Canal+ Regie, la télévision n’est plus seulement dévolue au branding, mais elle est en capacité de « proposer le meilleur des 2 mondes avec la puissance du média de masse et le ciblage du digital ». En effet, la régie du groupe Canal+ travaille à développer le projet « Alladin » qui permettrait de « diffuser de la publicité segmentée en télévision », mais également dans une stratégie multi-écrans « allant du plus grand, le cinéma, au plus petit, le smartphone ».
Francine Mayer rappelle que 60% de l’accès TV en France se fait via des distributeurs TV, c’est-à-dire par CanalSat et les FAI. Ceux-ci ont la main sur un grand nombre de données issues des box et liées aux abonnements et aux usages de consommation TV de leurs clients. L’analyse de ces données est au cœur de la mesure hybride en TV sur laquelle travaillent Canal+ Regie et Médiamétrie. Mesure qui pourrait être enrichie par les data des distributeurs, mais également celles provenant de tierces parties (DMP, grandes études conso). Ainsi, non seulement les données socio-démo seront plus fines, mais des data comportementales pourront être intégrées, permettant une meilleure qualification des cibles et des inventaires publicitaires de la régie. Canal+ Regie pourrait à terme proposer à ses clients de la publicité segmentée, c’est-à-dire la possibilité d’adresser un spot spécifique à un foyer déterminé. Cela permettrait de mieux cibler les messages, démultiplier l’inventaire TV sans rajouter de temps publicitaire qui pourrait être mal perçu, dans une période où les adblocks rencontrent un certain succès. Ce type d’initiative se développe actuellement sur le délinéarisé sur IPTV, et progressivement sur les flux live online, à l’instar des dernières annonces d’ « ad switching / stitching / shifting » de Canal+ Regie, NextRégie et TF1 Publicité. Le linéaire est la prochaine étape. Toutefois, ce décrochage publicitaire en télévision est aujourd’hui interdit en France selon l’article 13 du décret de mars 1992. Les discussions initiées par Canal+ Regie avec d’autres régies sur le sujet visent à remonter une demande commune de modification de cet article aux pouvoirs publics. Francine Mayer insiste sur le fait que la publicité segmentée ne serait pas géolocalisée, afin de ne pas fragiliser les médias spécialisés (presse, radio, affichage).
Nicolas Mignot : « notre logiciel est le point commun entre brand content et programmatique »
StickyAds est un logiciel à destination des éditeurs TV pour les aider à monétiser leurs inventaires vidéo, au sens large, en programmatique. L’entreprise développe son expertise dans 6 pays européens et vient de se lancer aux Etats-Unis. Selon Nicolas Mignot, Directeur France de StickyADS.tv, le SSP (Supply-Side Platform) est « le point commun entre brand content et programmatique par le ciblage ». La plateforme peut en effet se plugger sur les bases de données de ses clients, de manière technologiquement agnostique : le client – soit la régie TV – gère la partie qualification de ses inventaires et la relation avec les agences et annonceurs pour le « user match ».
Nicolas Mignot note que si le ciblage optimisé est un gage de résultats, le contenu est également important. « Il apporte un accroissement de performances sur le programmatique. Il est nécessaire d’adapter le contenu au point de contact, au ciblage et au terminal ».
Les développements actuels de StickyAds se font sur le linéaire, notamment l’IPTV, où de plus en plus d’écrans sont ciblés (addressability). Nicolas Mignot observe que l’évolution actuelle porte sur le programmatique direct, que ce soit pour l’achat ou la réservation vie des Deals ID, mais également sur l’insertion publicitaire dynamique (dynamic ad insertion).
Stéphanie Sabourin : « nous travaillons sur le lien entre branding et conversion, par l’activation des audiences en programmatique »
Branding & conversion autour d’une love brand. Pour Stéphanie Sabourin, Directeur Média & Partenariat Média Europe, Disneyland Paris travaille à la fois le branding et la conversion. Disneyland Paris est ce que l’on appelle une love brand, c’est à dire une marque à fort pouvoir émotionnel, un pouvoir qu’il faut aussi entretenir. Ainsi, les campagnes doivent permettre d’engager les audiences et les faire rêver autour de la marque. Mais dans le même temps, Disneyland Paris est aussi un e-commerçant qui a besoin de travailler et optimiser la conversion.
Sur la dimension « conversion », Disneyland Paris est en voie d’améliorer tous les pans, que ce soit le search, l’affiliation, le retargeting, et le modèle d’attribution qui n’est plus en « last click » par exemple. Toutefois, il reste un problème de lien entre le branding et la conversion, les deux étant aux deux extrémités du « funnel » (ou entonnoir du parcours client). Pour Disneyland Paris, l’entre-deux est appelé « Activate ». C’est la partie où l’on va activer les audiences avec du contenu spécifique et c’est aujourd’hui rendu possible grâce au programmatique.
Le programmatique est un moyen de proposer des contenus adaptés à des cibles et des produits toujours plus nombreux et divers. Ainsi entre le branding qui est une approche de masse et la conversion qui est très granulaire, il y a un moyen de lever des barrières et créer des passerelles entre ces univers. Aujourd’hui, à la télévision, il n’est pas possible de proposer une grande diversité de vidéos et de les distribuer à des cibles pertinentes. La granularité des messages avec la data et le programmatique permet d’adresser des vidéos de type « inspire » ou « branding » à des cibles qualifiées pour les aider à avancer dans le « funnel ». Le passage trop brutal entre branding vers conversion est maintenant fluidifié et enrichi.
Si dans la présentation cela paraît simple, Stéphanie Sabourin souligne que la mise en place peut s’avérer complexe. C’est d’abord une question de technologie mais aussi d’organisation interne et de relations avec les agences. Chez Disneyland Paris pour pouvoir avancer sur ces sujets, une task force a ainsi été créée et associe toutes les parties prenantes de l’entreprise : équipes publicité, consumers insights, broadcast, stratégie marketing & events… De même avec les agences, la relation a changé en intégrant plus de partenaires pour plus d’expertises.
Des KPI plus pointus. Cette nouvelle approche permet aussi d’évaluer de manière plus pointue les résultats. Sur la partie « Inspire » ou branding, on retrouve des KPI classiques tels que la notoriété du message, la couverture, la répétition, la visibilité, etc. Sur la partie « Activate » qui correspond donc au milieu du funnel, ce sont la couverture, la fréquence mais aussi l’engagement des audiences (trafic, interactions avec les contenus, complétion des vidéos) qui sont valorisés. Enfin, sur la partie « conversion », ce sont les revenus qui servent d’indicateurs de performance.
Stéphanie Sabourin cite l’exemple concret d’une campagne réalisée au Royaume-Uni sur des adultes sans enfants. Ce que l’on observe en termes de résultats c’est que, pour une campagne réalisée sans appui TV, le ROI est très bon en termes de notoriété et de business. Toutefois, Disneyland Paris n’est pas encore pleinement en mesure de dire si ces résultats sont le seul fait de la campagne ou d’un enchaînement particulier. Il faut encore tester des offres et des campagnes.
Marco Tinelli : « les agences sont des intégrateurs de data, de créations et de technologies »
Selon Marco Tinelli, Président fondateur de FullSix, le besoin des annonceurs est d’être à la fois d’être aimés et achetés. Le modèle développé par FullSix repose sur le fait que les deux ne s’opposent pas mais qu’au contraire, il y a une continuité évidente. L’avènement du digital et de la data permettent justement de faire le lien via le « funnel management ». Par la data, on parvient à faire passer le consommateur au sein de différentes étapes et stades. Le rôle des agences c’est ainsi à la fois d’aider les annonceurs à définir leur funnel et comprendre comment se structure la data (dépasser les critères sociodémographiques pour aller vers du comportemental).
Le métier des agences tend à être un métier d’intégrateur. Une fois que la vision du modèle de données et des objectifs liés est définie, l’agence doit aider à déterminer les couches technologiques à intégrer. L’idée est de diffuser un message pertinent et respectueux des internautes. Cela en passant d’un modèle où l’on répète des dizaines de fois le même message à la même personne à un modèle où l’on adresse un contenu pertinent, personnalisé selon le stade de maturité de l’internaute dans le funnel. C’est une forme de « CRMisation » des médias qui est donc en jeu. L’agence doit donc donner du sens et aider à reconnecter un monde où le consommateur bouge dans ses canaux et à lui délivrer des contenus pertinents.
Marco Tinelli illustre cette démarche avec son client Bayer et son offre OTC (médicaments sans ordonnance). Que ce soit pour le traitement de problème intime ou des produits vitaminés, l’agence a mené des campagnes branding sur des sites spécialisés sur la thématique médicale (Doctissimo par exemple) avec lesquels de « deals second party » ont été signés pour récupérer de la data utilisateurs sur certaines pages, et les retargeter avec un message pertinent pour les accompagner jusqu’à la conversion en magasin. FullSix est capable – via un gros travail sur la granularité de la data et de la géolocalisation – d’évaluer l’impact sur les volumes de ventes et donc du ROI. Ainsi, sur toute la chaîne du digital, le tracking est très proche du CRM et de l’individu, tandis que dans les derniers mètres physiques (le magasin), l’approche est basée sur des modèles prédictifs d’attributions.
Revenant sur les récentes et profondes transformations du marché de la communication et du marketing, M. Tinelli note aussi qu’un effort de clarification du marché doit être effectué, notamment par les agences, car « il existe des liaisons dangereuses et de la confusion ». Opinion secondée par Stéphanie Sabourin, Directeur Média & Partenariat Média Europe de Disneyland Paris, pour qui « le marché connaît une phase de transformation et de chaos, car tout est nouveau et tout le monde doit monter en expertise ». Selon elle, les marques attendent des conseils neutres afin d’accorder une totale confiance en leurs recommandations. Francine Mayer profite de cette question de transparence et d’émergence pour rappeler que la télévision garantit un environnement « ad safe ».