Après quasiment deux années complètes d’expérimentation sur les marchés tests de Boston et Chicago, le principal câbloopérateur américain généralise la commercialisation de son bouquet de télévision en ligne rebaptisé Xfinity Instant TV. La décision marque une nouvelle étape dans la stratégie d’adaptation des offres de l’opérateur à certains segments de la population. Pour autant, en refusant toujours de franchir clairement le pas vers un modèle purement OTT, Comcast envoie un signal important sur les fondamentaux de son modèle économique.
• Les caractéristiques de Xfinity Instant TV
Le bouquet Xfinity Instant TV est réservé aux abonnés Xfinity simple, soit les abonnés Broadband qui ont choisi Comcast (ou qui n’ont pas le choix en raison d’une position monopolistique sur certaines zones) comme fournisseur d’accès pour l’internet à haut débit mais qui ont renoncé à souscrire à une offre de télévision payante. D’ici deux semaines, l’offre sera disponible sur l’ensemble des zones géographiques où Comcast est présent, soit une faible partie seulement du pays. De plus, Xfinity Instant TV adopte un modèle de distribution hybride qui n’est pas celui de l’internet ouvert. De fait, pour profiter pleinement de la nouvelle offre il est nécessaire d’être connecté au réseau IP de Comcast. La distribution d’Instant TV passe donc par le réseau managé de l’opérateur et il ne s’agit donc pas d’un véritable service OTT. Mais le service repose sur l’infrastructure Cloud déjà utilisé pour la plateforme X1 de l’opérateur et non pas sur ses infrastructures câble. L’opérateur sera donc en capacité technique quand il le souhaitera de proposer son service à tous et plus seulement à ses abonnés Broadband. Concernant la mobilité, l’utilisation reste possible sur les réseaux cellulaires ou le Wifi public mais la distribution utilise alors l’internet ouvert et les accords entre Comcast et les ayants droit ne s’appliquent plus. On rebascule donc sur un simple service de TV Everywhere avec une offre de chaînes et de contenus plus limitée.
Pour l’heure, Xfinity Instant TV est supporté sur les navigateurs web, une application Android et iOS ainsi que l’ensemble de l’écosystème Roku (box, clés HDMI et Smart TV sous OS Roku). Mais Comcast annonce des développements ultérieurs pour les Smart TV de Samsung et LG Electronics notamment.
La nouvelle offre se présente sous la forme d’un mini bouquet de télévision modulable proposé au prix de 18$ par mois dans sa version de base, laquelle permet de visionner les chaînes des networks et des réseaux câblés ABC, CBS, CW, Fox, NBC, PBS, Telemundo et Univision ainsi que l’ensemble des chaînes publiques PEG (Public Education and Governmental Channels). Chaque abonné a ensuite la possibilité d’ajouter des bouquets supplémentaires construits autour d’une thématique : la jeunesse (Kids & Family à 10$), le divertissement (Entertainment à 15$) et le sport (Sport & Information à 30$). Il est également possible de souscrire à certaines chaînes premium à la carte dont les locomotives HBO (15$) ou Starz (12$). L’offre de base inclut également la TV Everywhere des chaînes distribuées ainsi qu’un service d’enregistrement sur internet (nPVR) avec un stockage équivalent à 20 heures de programmes (100 giga) et la possibilité d’enregistrer jusqu’à deux chaines simultanément. Comme c’est la norme pour l’ensemble des services de streaming, l’offre est sans engagement et le premier mois est offert.
• Xfinity Instant TV dans la stratégie de Comcast
Si la direction de Comcast ne ferme aucune porte quant à l’éventualité ultérieure d’ouvrir son nouveau service de manière plus large, le positionnement est donc clairement pour l’instant celui d’une offre TV d’entrée de gamme pour les seuls abonnés Comcast. Ceux qui ont fait le choix de stopper ou de ne pas souscrire à l’offre vidéo de l’opérateur, préférant se contenter d’un accès internet pour ensuite s’abonner à différents services OTT et/ou profiter des chaînes gratuites disponibles grâce à une simple antenne TV. L’utilisation d’Instant TV n’étant pas décomptée du plafond de consommation de données pour les abonnés Broadband de l’opérateur, l’objectif est d’empêcher ce segment d’utilisateurs de se laisser séduire par les offres des opérateurs virtuels concurrents (Sling TV de Dish, PlayStation Vue de Sony, DirecTV Now chez AT&T, YouTube TV, Hulu Live TV…). Une stratégie essentiellement défensive donc mais qui devra encore prouver son efficacité puisque le bouquet concurrent le plus proche est celui de Sling TV (Dish) qui pour deux euros supplémentaires (20$/mois) propose lui certaines chaînes payantes du câble comme CNN, FX, et surtout ESPN du groupe Disney alors que Instant TV se limite dans sa version basique à des chaînes gratuites accessibles également via une simple antenne TV.
A contrario, en souscrivant à l’ensemble des options (sans même parler des chaînes premiums HBO ou Starz), un abonné avoisinerait les 75$ par mois, et aurait donc intérêt à repasser sur une offre 2P ou 3P traditionnelle de l’opérateur. Outre son positionnement défensif, Intant TV peut donc également jouer un rôle de levier de création de valeur.
Mais le plus intéressant reste sans-doute ce que la nouvelle offre révèle de la stratégie globale de Comcast par rapport au « momentum OTT » que les acteurs de l’audiovisuel sont en train de vivre aux Etats-Unis. Trois principaux enseignements peuvent être isolés. D’abord la nécessité pour les diffuseurs de segmenter de manière toujours plus importante leurs offres afin de couvrir tout le spectre des profils d’abonnés en intégrant désormais les « Cord cutters » ou « Cord shavers ». L’heure n’est plus au débat sur la possible cannibalisation des offres premiums par les mini bouquets OTT. Malgré des stratégies différentes, celle de Comcast restant très défensive pour l’instant, chaque opérateur commence à proposer dans son portefeuille un bouquet TV d’entrée de gamme souple et sans engagement.
Ensuite, la nécessité pour ce faire de dépasser les limites logicielles offertes par les équipements et les réseaux traditionnels et d’embrasser la télévision dans le Cloud. Si l’on s’en tient aux câbloopérateurs, alors Comcast est sans-doute l’un des plus avancés dans ce domaine grâce à sa plateforme X1 déployée progressivement depuis 2014. Avec elle Comcast dispose non seulement de l’infrastructure permettant de diffuser ces nouvelles offres mais également d’identifier de manière très fine et donc de mieux cibler ceux de ses clients susceptibles d’être intéressés par Instant TV. L’opérateur rentre dans un nouveau métier où la gestion monolithique de ses offres et de ses abonnés va laisser la place à un pilotage beaucoup plus personnalisé et mieux adapté aux besoins de chacun.
Enfin, le choix de Comcast de privilégier pour l’instant une offre limitée à ses abonnés montre que l’équation économique n’est pas encore jugée suffisamment intéressante pour un pur service OTT. Autrement dit, les positions du câbloopérateur ont peu évolué depuis 12 mois. A l’époque, en novembre 2016, Matt Strauss, vice-président en charge des services vidéo déclarait que quand il s’agissait « d’essayer de vraiment évaluer le modèle économique [d’un service vidéo OTT] l’entreprise n’en avait pas trouvé un seul qui inspire vraiment confiance et qu’il ne s’agissait donc pas d’une véritable priorité». Manifestement, un an plus tard le constat reste identique. Comcast, qui est un des opérateurs qui résiste le mieux à la vague du « cord-cutting » , continue donc de penser qu’il va continuer à recruter sur ses offres traditionnelles sur les marchés où il est déjà présent. Ce qui ne l’empêche pas de se préparer activement à surfer à son tour sur la vague OTT.