Poussé par cinq des principaux studios hollywoodiens[1], le projet de Premium VOD consistant à avancer la fenêtre VOD quelques semaines seulement après la sortie salles ne cesse de prendre de l’épaisseur outre-Atlantique. Ces derniers jours, le réseau AMC Theatres, premier exploitant de salles du pays, a pris la parole à travers son directeur général Adam Aron pour se positionner publiquement en faveur d’une nouvelle fenêtre premium.
Vers une adhésion décisive des réseaux de salles les plus puissants ?
Le projet de Premium VOD (PVOD) revenu avec insistance dans l’actualité ces derniers mois[2] semble se préciser. Soutenu par l’ensemble des majors américaines, à l’exception notable de Disney, ce projet prendrait la forme d’une fenêtre locative avancée quelques semaines seulement après la sortie des films en salles (entre 17 jours et 3 semaines selon les retours les plus fréquents). Les œuvres seraient alors proposées à la location pour une durée de 48 heures au tarif unitaire de 50 dollars. L’idée d’une exploitation en day & date semble quant à elle mise de côté à ce jour[3]. La primeur et l’exclusivité d’exploitation des œuvres sur grand écran lors des premiers jours de sortie d’une œuvre sont en effet le prérequis indispensable pour s’autoriser des négociations avec les plus grands réseaux de cinémas du pays. Des négociations d’ores et déjà bien entamées puisque selon Variety[4], les studios se disent confiants sur l’adhésion future de deux des cinq principaux réseaux de salles nord-américains : AMC, n°1 ou n°2 du marché dans 22 des 25 plus grands bassins de consommation des États-Unis (dont New-York, Los Angeles et Chicago), et Cineplex, premier exploitant de salles au Canada. Cinemark serait en revanche l’acteur le plus réfractaire à l’instauration d’un système de PVOD, susceptible de bouleverser l’activité de distribution traditionnelle des salles et de cannibaliser ses revenus.
Top 10 des réseaux de salles nord-américains / au 1er janvier 2017
Source : National Association of Theatre Owners
Les lois anti-trust des États-Unis interdisant toute entente anticoncurrentielle, les studios ne peuvent se coordonner pour négocier avec les exploitants de salles. Ces derniers mois ont donc vu chacune des majors entamer des discussions séparées avec les différents réseaux de cinémas nord-américains. Universal et Warner Bros. figureraient parmi les studios les plus déterminés à faire avancer rapidement le projet, arguant notamment que celui-ci constituerait une alternative crédible au piratage qui sévit dès les premières semaines de diffusion des œuvres sur grand écran, notamment chez les jeunes générations. Sony et la Twentieth Century Fox ont eux aussi amorcé des discussions avec les différents exploitants de salles. Le studio Paramount avait quant à lui procédé à des premiers tests en 2015 avec l’ouverture d’une fenêtre de PVOD 17 jours après la sortie en salles de deux de ses productions (Paranormal Activity 5 : Ghost Dimension et Manuel de Survie à l’Apocalypse Zombie), déjà en partenariat avec AMC et Cineplex à l’époque mais sur un nombre limité d’écrans (moins de 300)[5]. Particulièrement intrigué par l’apport de revenus additionnels que pourrait générer la PVOD, le CEO de la chaîne de cinémas AMC, Adam Aron, insiste néanmoins sur le fait qu’une nouvelle fenêtre premium en simultané de la salle ne pourra émerger qu’avec « le concours d’une large partie de l’industrie et non un simple accord entre un studio et un exploitant ».
Un projet encore soumis à de nombreuses inconnues
Pour convaincre les réseaux de salles les plus puissants, les majors proposeraient de leur reverser jusqu’à 20% des bénéfices réalisés via cette nouvelle fenêtre. Un pourcentage conséquent qui ne suffirait toutefois pas à lever tous les doutes des exploitants quant à l’éventualité d’une cannibalisation de leurs recettes en salles. Parmi les exigences de ces derniers figureraient notamment une clause leur permettant de renégocier à la hausse le pourcentage perçu en cas de report de fréquentation massif de la salle vers la Premium VOD. Les exploitants exigeraient par ailleurs que la fenêtre traditionnelle d’achat et de location en vidéo (univers physique et dématérialisé), aujourd’hui située autour de trois mois après la sortie des films en salles, soit maintenue pour les dix ou vingt prochaines années. Seule la PVOD et ses tarifs élevés pourrait ainsi se positionner en simultané de la salle, limitant de fait son attractivité.
Autre source d’interrogation, le système qui sera finalement retenu pour rémunérer les réseaux de cinémas partenaires. Les grandes chaînes du pays souhaiteraient en effet davantage de transparence sur la manière dont seront collectés les paiements ainsi que leur reversement aux différents partenaires. Une question qui en appelle une autre, celle de la distribution des contenus en Premium VOD. Les studios accorderont-ils l’exclusivité d’exploitation en PVOD à un partenaire tiers (le nom de Screening Room étant parfois évoqué) ? Privilégieront-ils une stratégie d’hyper distribution en permettant à l’ensemble des services de vidéo à la demande (Google Play, iTunes, Vudu, Xfinity…) de bénéficier de leurs titres en PVOD ? Choisiront-ils de distribuer eux-mêmes leur catalogue ?
Enfin, parmi les nombreuses incertitudes qui pèsent encore sur le projet, figure celle de la nature des œuvres à exploiter en PVOD. Sur ce point les avis divergent. Certains studios souhaiteraient généraliser la PVOD à l’ensemble des sorties quand d’autres préfèreraient se limiter aux drames et comédies dotés d’un budget moyen et ainsi exclure les blockbusters de toute exploitation via une fenêtre premium. Une fenêtre dont la date d’ouverture après la sortie des œuvres sur grand écran tend elle aussi à diviser les partisans du projet. Day & date mis à part, des studios comme Fox et Paramount se positionneraient en faveur d’une fenêtre flexible en fonction de la performance des films en salles. En cas de chute de la fréquentation dès la deuxième ou troisième semaine d’exploitation d’une œuvre sur grand écran, ces studios préconiseraient une fenêtre Premium VOD au plus proche de sa sortie en salles pour répondre au besoin de « fraîcheur » des consommateurs mais aussi pour profiter de la campagne marketing qui accompagne le lancement du film au cinéma. A contrario, un film qui brille au box-office durant de nombreuses semaines verrait alors sa fenêtre PVOD retardée pour maximiser ses chances de profit en salles. Universal et Warner Bros. plaideraient quant à eux pour une fenêtre fixe, dont l’ouverture se ferait X jours en aval de la sortie cinéma, de sorte à créer un rendez-vous avec le consommateur en lui donnant des repères précis.
Un accord était un temps espéré par les studios avant la fin du mois de mars et l’ouverture du CinemaCon[6], mais eu égard à la complexité du projet et ses répercussions pour l’ensemble de l’industrie, tout porte à croire que les négociations devraient se prolonger pendant de longs mois. Si les studios venaient en effet à remporter l’adhésion des principaux réseaux de salles nord-américains, nul doute qu’ils devraient par la suite entamer de nouvelles discussions avec les acteurs des différentes fenêtres situées en aval de la salle (pay TV, SVOD, etc.), pour des questions de délai (glissement des fenêtres à prévoir ?) comme de valorisation des œuvres (le succès au box-office d’une œuvre définissant sa valeur pour les droits d’exploitation des fenêtres suivantes).
[1] 20th Century Fox, Paramount, Sony, Universal et Warner Bros.
[2] Voir Flash #819 : « USA : vers un raccourcissement du délai de sortie des films en VOD ? »
[3] Voir Flash #790 : « The Screening Room, un nouveau modèle de distribution qui divise Hollywood »
[4] Variety : Studios Push for $50 Early Home Movie Rentals, but Negotiations Are Complex
[5] Voir Flash #777 : « Paramount teste un nouveau modèle de distribution pour ses productions »
[6] Salon professionnel destiné aux exploitants de salles organisé tous les ans par la National Association of Theatre Owners