Dans le prolongement de l’Internet des Objets et de la maison connectée, la voiture connectée intéresse également les opérateurs télécoms. L’enjeu est de taille pour les acteurs de l’Internet mobile qui espèrent ainsi capter de la valeur ajoutée sur un marché appelé à développer de nouveaux usages et à générer des volumes de données considérables. Nombre d’entre eux sont déjà en position avancée sur le sujet et des partenariats d’envergure ont été noués avec les plus grands constructeurs mondiaux.
Un nouveau relais de croissance pour les opérateurs
- La voiture connectée où la nécessité d’une collaboration étroite avec les opérateurs
La voiture connectée est au centre de toutes les attentions. Pas un jour sans qu’elle ne fasse l’actualité du secteur (lancement de prototypes, arrivée de nouveaux acteurs, annonce de partenariats stratégiques…). Et pour cause, la connectivité des véhicules s’est imposée ces dernières années comme le principal axe d’innovation de l’industrie, au-delà même de l’évolution des caractéristiques mécaniques. Trois principales solutions technologiques coexistent aujourd’hui pour une connectivité réelle et complète de l’automobile : le système de communication embarquée qui associe constructeurs et opérateurs (carte SIM intégrée au tableau de bord permettant à la voiture d’avoir directement accès au réseau de l’opérateur), le partage de connexion avec le smartphone de l’usager via Bluetooth qui supporte également l’exécution des services applicatifs et, enfin, la combinaison des deux solutions précédentes qui exploite la connexion mobile du smartphone mais avec une gestion des services applicatifs opérée par l’ordinateur de bord de la voiture (modèle dit « Tethering »). Quelle que soit la solution retenue, la connectivité de la voiture représente pour les spécialistes de l’Internet mobile une véritable opportunité de diversification et de développement de leurs sources de revenus.
Alors que la première phase de la connectivité a permis à la voiture de devenir l’extension de l’environnement numérique personnel du conducteur et de ses passagers via la création de plates-formes de services (multimédia et de navigation pour l’essentiel), une deuxième phase, avec un niveau de connectivité supérieur, doit permettre à la voiture de communiquer avec le monde extérieur et de partager cet accès avec d’autres applications (ou terminaux) à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du véhicule. Pour y parvenir et transformer le véhicule en une véritable plate-forme de services interconnectés (assistance à la conduite, gestion de la sécurité sur la route, dialogue avec les prestataires de services…), une expertise technologique dans l’intelligence embarquée mais aussi dans le Big Data et la gestion de plates-formes cloud très évolutives est indispensable. Elle implique une collaboration croissante des constructeurs avec de nouveaux partenaires au premier rang desquels figurent les opérateurs et leurs plates-formes M2M (Machine to Machine).
- Une manne financière considérable
Selon les prévisions de Gartner, d’ici à 2020, 250 millions de véhicules en circulation devraient être équipés d’une forme de connectivité sans fil, faisant de la voiture connectée l’une des composantes majeures de l’IoT (Internet des Objets). Un marché considérable en volume et, par conséquent, une manne financière que seront amenés à se partager constructeurs, géants de l’informatique, éditeurs et opérateurs télécoms. Quel que soit le modèle de connexion, la voiture connectée s’annonce comme une aubaine pour les opérateurs M2M puisqu’elle génèrera un flot de données (data) que les opérateurs pourront facturer de manière directe (vente de nouveaux forfaits) ou indirecte (via les constructeurs). Machina Research estime pour sa part que d’ici 2023, les automobiles connectées s’accapareront la moitié des connexions M2M. Résultat, la majorité des principaux opérateurs mobiles sont d’ores et déjà impliqués dans des projets de voiture connectée. Alors que leurs principales sources de revenus (liés à la voix notamment) connaissent un net ralentissement et vont jusqu’à décliner dans certaines régions du monde, se positionner sur la connectivité des voitures assure aux opérateurs mobiles de nouvelles opportunités commerciales. L’automobile connectée est en effet perçue comme un terminal supplémentaire pour les opérateurs (celui qui bénéficie en outre de la marge de progression la plus importante alors que smartphones et tablettes arrivent à maturité sur les marchés occidentaux). Un nouveau marché qui s’annonce particulièrement gourmand en bande passante avec des services de divertissement à la demande, le partage d’informations sur les conditions routières et météorologiques ou encore l’actualisation des données de maintenance du véhicule.
Les stratégies de partenariat constructeurs-opérateurs
Parce qu’elles garantissent une meilleure fiabilité, les solutions intégrées devraient dominer le marché de la voiture connectée ces prochaines années. Les constructeurs peuvent en effet mettre en avant leur responsabilité dans le domaine de la sécurité en proposant des interfaces homme-machine adaptées à l’environnement automobile et une évaluation des applications qui peuvent être utilisées sans risque. De plus, la solution embarquée permet le développement d’applications spécifiques à même de communiquer avec les différents systèmes intégrés du véhicule (type navigation), ce qui ouvre la voie à des services plus riches. La solution complètement intégrée confère ainsi aux constructeurs un contrôle total sur la chaîne technologique et économique leur permettant d’optimiser la fiabilité de leur écosystème applicatif.
Dans le cas du choix d’une solution embarquée, les constructeurs doivent donc passer des accords avec un autre acteur stratégique, l’opérateur mobile qui gère les puces SIM permettant de connecter leurs véhicules. Deux types de stratégies structurent le marché aujourd’hui : des accords directs entre une marque et un opérateur pour le développement d’une plate-forme connectée (avec une logique de commercialisation essentiellement B2B2C, de l’opérateur au constructeur, puis de ce dernier au consommateur final) ; des initiatives communes à l’image de l’Embedded SIM, une norme promue par la GSMA[1] pour apporter un standard industriel au marché.
- AT&T : déjà plus de 8 millions de voitures connectées
L’opérateur américain est le leader du secteur aux États-Unis (présent depuis 2008), il y revendique plus de 50% du parc de voitures connectées. En 2014, AT&T remplace Verizon en tant que partenaire de General Motors pour gérer la connectivité des véhicules du groupe (Buick, Cadillac, Chevrolet et GMC). L’opérateur propose aux propriétaires de ces modèles des forfaits à partir de 15$/mois pour 1 Go de données. Les abonnements mensuels s’échelonnent jusqu’à 70$. A ce tarif, l’utilisateur bénéficie d’une enveloppe data de 10 Go. D’autres formules sont proposées à la journée (5$/jour pour 250 Mo) ou à l’année (200$/an pour 20 Go). Le signal est délivré par un hotspot Wi-Fi proposé par OnStar, filiale de GM. OnStar utilise le réseau 4G LTE de AT&T pour proposer un système d’appels main libre, un système de navigation et la mise en contact avec un Call Center pour les situations d’urgence. L’opérateur américain a annoncé être parvenu à connecter plus d’1 million de voitures des marques GM en 2015 aux États-Unis.
En parallèle de l’accord avec GM, AT&T a lancé deux nouvelles initiatives en 2014 : le programme AT&T Drive Studio (centre d’innovation dédié à la voiture connectée) et la plate-forme connectée AT&T Drive (solution embarquée flexible s’adaptant aux besoins de chacun de ses clients). Actuellement, l’opérateur collabore avec plusieurs grands noms de l’industrie : Audi, BMW, Ford, Jaguar Land Rover, Nissan, Porsche, Subaru, Tesla, Volkswagen, Volvo… Il affirme connecter plus de 8 millions de véhicules sur sa plate-forme et se donne pour objectif d’atteindre la barre des 10 millions d’ici à fin 2017.
- Verizon : une politique d’acquisitions ciblées pour monter en puissance et concurrencer AT&T
Alors que l’opérateur américain avait adopté un positionnement atypique dans un premier temps – en visant en priorité le marché de l’occasion via la commercialisation d’un boitier à brancher sur la prise ODB de sa voiture pour la connecter (« Hum », boitier vendu à 29,99$ + abonnement de 10$/mois, compatible avec près de 9 000 modèles construits après 1996, marché potentiel de 150 millions de véhicules aux États-Unis) – il a fait l’acquisition cet été de deux acteurs technologiques majeurs pour renforcer les positions de sa filiale Verizon Telematics dans les domaines de la gestion de flotte, de la géolocalisation et du véhicule professionnel connecté. Basé en Californie, Telogis est spécialisé dans la télématique et la gestion de flotte (suivi en temps réel des véhicules et du comportement des collaborateurs au volant, envoi d’alertes en cas d’accident, maintenance préventive, etc.). Fondée en 2001, l’entreprise compte de nombreux clients prestigieux tels que Ford, General Motors ou encore Volvo. Le montant de la transaction n’a pas été communiqué. La seconde opération porte sur Fleetmatics, l’un des leaders mondiaux de la géolocalisation et de la télématique embarquée. L’acquisition a été évaluée à 2,4 milliards de dollars.
- KDDI : une collaboration avec Toyota pour le développement d’une plate-forme connectée mondiale
Le constructeur automobile Toyota, l’un des plus gros vendeurs de véhicules au monde, et l’opérateur japonais KDDI vont former une alliance pour connecter l’ensemble des nouveaux véhicules du groupe nippon (Lexus y compris) vendus au Japon d’ici la fin de la décennie et progressivement dans le reste du monde. Pour cela Toyota va développer un DCM (Data Communications Module) qui sera le standard pour tous ses véhicules d’ici 2019. Avec cette plate-forme de communication (reliée au Cloud), les véhicules pourront restés connectés d’un pays à l’autre avec des changements automatiques d’opérateurs sans problème de roaming.
- Orange, Telefónica, Vodafone, Deutsche Telekom : des leaders européens des télécoms déjà très avancés sur la voiture connectée
Orange se concentre sur l’intégration informatique et mobile. L’opérateur historique fournit l’ensemble des cartes SIM M2M embarquées à bord des véhicules Renault équipés du système propriétaire R-Link, plate-forme multimédia intégrée et connectée développée par Atos, le prestataire technique retenu par le constructeur. Généralisé sur la plupart des modèles de la gamme Renault, R-Link permet notamment l’achat d’applications en toute sécurité depuis son véhicule grâce au savoir-faire d’Atos Worldline, la filiale d’Atos spécialisée dans les paiements électroniques et les services transactionnels de haute technologie. C’est ce partenaire qui a choisi de déléguer la partie connectivité à Orange Business Services, la branche de l’opérateur dédiée aux entreprises. Orange relie le système de Renault au monde extérieur via une carte SIM intégrée qui assure également des fonctions de roaming à l’étranger. R-Link possède trois niveaux de connectivité : connexion au smartphone, connexion au Cloud de Renault et connexion aux données de la voiture.
Orange a par ailleurs été retenu pour équiper de puces 4G les berlines électriques de Tesla commercialisées en France. A l’issue d’un appel d’offres, l’opérateur a été choisi pour équiper tous les Model S du constructeur américain (une centaine d’exemplaires écoulés en France) de cartes SIM et fournir des services M2M : guidage GPS, accès à des webradios, fonctions activables à distance depuis un smartphone, etc. Afin de fournir la connectivité dans ses véhicules (7 Go d’Internet mobile inclus par mois), comprise dans le prix, Tesla s’est associé à Telefónica en Espagne et à AT&T aux États-Unis, privilégiant le plus souvent le premier opérateur du pays.
Vodafone estime que le M2M va offrir des croissances de 25 à 30% par an, la voiture connectée étant l’élément le plus dynamique. L’opérateur britannique développe des logiciels embarqués pour les terminaux dans les voitures et une gestion de services pour les clients. Depuis 2015, Vodafone assure la connectivité des nouveaux modèles des marques Audi et Volkswagen en Europe par l’intermédiaire de cartes SIM. Les services disponibles vont de l’aide à la navigation au dispositif audio en passant par des services d’infodivertissement. Plus récemment, General Motors a annoncé qu’il utiliserait le réseau de Vodafone pour supporter sa solution OnStar sur les véhicules vendus en Europe (environ 1 million de ventes par an).
Deutsche Telekom n’est pas en reste et connecte déjà plus d’un million de véhicules à travers le monde via sa filiale T-Systems. L’opérateur allemand fournit notamment ses services M2M pour certains modèles du constructeur BMW. En plus de faire entrer Internet dans le véhicule, Deutsche Telekom développe des applications permettant entre autres d’instaurer une communication entre la voiture et la maison (porte du garage, chauffage, etc.), d’identifier la station-service la moins chère ou encore de repérer les sites touristiques environnants.
- Embedded SIM, solution pour voiture connectée indépendante des opérateurs
En parallèle de ces accords passés directement entre constructeurs et opérateurs, la GSMA promeut une norme commune pour un standard industriel du marché. L’Association a ainsi annoncé l’adoption de la spécification Embedded SIM par des sociétés de tout premier plan du secteur automobile. General Motors, Jaguar Land Rover, Renault-Nissan, Scania et Volvo ont ainsi choisi ce standard qui leur permettra de fournir une connectivité 2G/3G/4G via une carte SIM embarquée. Le principal avantage de cette solution réside dans sa compatibilité avec l’ensemble des opérateurs ayant adopté la spécification, sans être tributaire d’un réseau dédié et de la couverture nationale ou internationale d’un seul fournisseur. Cette approche permettra d’offrir de nombreux services (infodivertissement, navigation en temps réel, diagnostics à distance, services d’assistance et d’assurance…) via une carte SIM unique qui, après livraison du véhicule, pourra être configurée à distance selon le profil de l’opérateur de son choix, sans que la carte SIM ne soit changée. A date, une vingtaine d’opérateurs ont lancé des solutions basées sur la spécification Embedded SIM (América Móvil, KPN, MTN, Rogers Wireless, Swisscom, Taïwan Mobile, Telenor, TIM…). Une normalisation mondiale qui devrait permettre de limiter la fragmentation du marché (et des partenariats exclusifs) et ainsi favoriser le développement du marché de la voiture connectée dans les années à venir.
[1] GSM Association qui représente les intérêts des opérateurs mobiles dans le monde entier