Cela fait maintenant quatre mois que Tom Wheeler, Chairman de l’autorité de régulation a réussi à faire voter la décision controversée d’ouvrir à la concurrence le marché de la TV payante en mettant fin au monopole des opérateurs sur les Box pour la distribution de leurs offres vidéo . Malgré la constitution d’un front commun rarement vu entre les opérateurs, les industries de contenus, les sénateurs républicains et même des pure-players comme Roku, inquiets d’une décision dénoncée comme pilotée par Google, la FCC n’a pas plié. Mieux, sa détermination conduit aujourd’hui les câbloopérateurs à proposer un compromis.
• L’acmé du débat a sans-doute été atteinte
L’intensité des débats depuis quatre mois, opposant des armées d’avocats et réussissant à diviser les membres du congrès jusqu’au sein de chaque camp politique, a sans doute culminé au milieu du mois d’avril. C’est à cette date que le Président des Etats-Unis en personne a officiellement pris parti en faveur de la FCC et de Tom Wheeler, un proche et un soutien politique de la première heure, directement nommé par Barack Obama en 2013. Une prise de parole très rare sur un dossier encore en cours d’examen. La réaction a été immédiate, les leaders de l’industrie du câble et des télécoms dénonçant une ingérence de la Maison Blanche motivée par des accointances fortes avec les entreprises technologiques à commencer par la première d’entre elles, Google.
Mais malgré les pressions, la FCC n’a pas modifié ses positions. Wheeler n’a cessé de réaffirmer avec force la nécessité de la régulation pour redonner plus de souplesse aux consommateurs et les laisser libres de choisir et d’acheter les appareils qu’ils souhaitent pour profiter de leurs abonnements TV alors qu’ils sont aujourd’hui obligés de louer les box propriétaires des opérateurs à un coût jugé trop élevé (coût annuel moyen de 231 $ par foyer selon l’étude du cabinet Markey et Blumenthal sur laquelle la FCC a construit son argumentaire). L’argument de Wheeler est limpide : «You know my mantra is “competition, competition, competition.” ». Or, la loi fédérale impose un marché concurrentiel, il faut donc la faire respecter. Aujourd’hui des constructeurs tiers de set-top-box ne peuvent accéder aux contenus distribués par les câbloopérateurs alors que ceux-ci n’ont aucune difficulté à les porter sous forme d’applications pour les différents OS. D’où l’obligation faîte aux opérateurs de partager avec les tiers, constructeurs et développeurs, trois informations essentielles : celles sur leurs grilles de programmes et les contenus disponibles dont la vidéo à la demande (« Service Discovery »), celles sur les droits et restrictions de chaque terminal sur ces contenus – les enregistrements notamment (« Entitlements »), et les contenus eux-mêmes (« Content Delivery »). Inimaginable pour l’industrie du câble qui, en plus de perdre son monopole sur les box verrait des concurrents développer de nouvelles interfaces et fonctionnalités au-dessus des contenus (enregistrement, EPG, moteur de recherche, fusion des contenus TV et des contenus OTT…).
• La contre-proposition des câbloopérateurs
Pourtant la fermeté de la FCC conduit aujourd’hui le câble à tester une nouvelle stratégie de défense. Après la mobilisation, le lobbying et la résistance frontale, l’heure est au compromis. De fait, l’industrie semble se résoudre à devoir accepter une certaine forme de régulation. Des représentants des différents câbloopérateurs (Comcast, AT&T/DirecTV ainsi que Michael Powell, CEO de la puissante National Cable & Telecommunications Association (NCTA) et prédécesseur de Tom Wheeler) ont rencontré le 15 juin des responsables de la FCC pour leur exposer une contre-proposition .
L’idée pour le câble est de maintenir le modèle applicatif qu’il défend ardemment depuis le début mais en l’adaptant aux exigences d’ouverture de la FCC. L’industrie se dit ainsi prête à accepter des règles rendant obligatoire pour les grands opérateurs (au moins un million d’abonnés à une offre de TV payante) le développement d’applications en HTML5 (ou tout autre standard ouvert plus performant à l’avenir), respectant ainsi les standards du Web et permettant d’accéder à l’ensemble des contenus sur tous les appareils connectés. Malgré leur particularité, les opérateurs de bouquets satellite seraient également concernés même si un récepteur satellite resterait nécessaire dans le foyer abonné pour décoder le signal.
La proposition, baptisée « Ditch the Box » (remplacer la box) prend en compte l’objectif principal de la FCC d’accroitre la concurrence en permettant aux consommateurs de renoncer à la location d’un décodeur propriétaire pour bénéficier de leurs offres TV sur les appareils de leur choix. La compatibilité avec les nouveaux dispositifs de streaming comme Google Chromecast ou le stick Amazon Fire TV semblent donc acquises. Les applications seraient gratuites pour les consommateurs et accessibles sans frais depuis l’ensemble des magasins d’applications sur tous les appareils y compris les Smart TV. Autre avancée notable, la proposition suggère un délai de deux ans seulement pour se conformer aux nouvelles règles alors que la proposition votée par la FCC en février retient une échéance de trois ans. En revanche, alors que le plan de la FCC n’a pas de date d’expiration, l’industrie souhaite que la régulation soit décidée pour une période de cinq ans seulement, renouvelable « par la Commission si cela est justifié ». Enfin, les applications seraient en partie ouvertes, permettant aux constructeurs de périphériques tiers d’offrir des fonctionnalités de recherche intégrée ou horizontale, mariant les contenus des fournisseurs de télévision payante et des services de vidéo en ligne.
Des avancées réelles donc mais qui ne suffisent pas à masquer certaines limites fondamentales par rapport à la solution radicale de la FCC. D’abord, la NCTA, porteuse du projet reste encore très floue sur les modalités exactes de reprise des applications par les différentes plates-formes matérielles ou logicielles. Toutes seront-elles réellement concernées ? Ou bien uniquement celles qui rempliront un éventuel cahier des charges ? Quid du modèle économique en cas d’abonnement à un service ou à une chaîne en option depuis l’application ? Les applications seront-elles utilisables sur tous les réseaux haut et très haut débit fixes et mobiles ? Ou les usages seront-ils au contraire limités aux réseaux des différents opérateurs ? Surtout, le modèle applicatif remet en cause la possibilité par les tiers de développer leurs propres interfaces. Celles-ci resteront gérées et contrôlées par les opérateurs. De même, la proposition de la NCTA ne reprend pas l’ensemble des fonctionnalités que la FCC souhaite voire ouvertes. Les grilles des programmes et les contenus sont certes disponibles mais pas la possibilité de les enregistrer ni en local ni dans le Cloud. Cette absence d’enregistrement est bien entendu un frein majeur au développement de véritables solutions alternatives à celles des box propriétaires.
La balle est maintenant dans le camp de la FCC qui a d’ores et déjà annoncé qu’elle prenait acte du fait que l’industrie partageait son objectif principal d’ouverture et de concurrence. Elle attend désormais de pouvoir examiner les modalités exactes de la proposition tout en s’engageant à travailler étroitement avec les opérateurs pour respecter la protection du droit d’auteur, la sécurité des contenus, la vie privée des consommateurs et les intérêts des opérateurs les plus modestes. A suivre.