Le segment des services est devenu le deuxième poste de revenus d’Apple, devant le Mac et l’iPad. L’enjeu est désormais de maximiser rapidement ces ressources tout en conservant dans un calendrier différent les capacités d’invention de nouveaux produits pensés comme de véritables plates-formes.
• Un retournement de tendance majeur dans les comptes d’Apple
Les derniers résultats d’Apple du deuxième trimestre, publiés le 27 avril montrent pour la première fois depuis son lancement en 2007 une baisse des ventes de l’iPhone. Le smartphone continuant de représenter 66% du chiffre d’affaires, le fabricant enregistre logiquement le premier recul de son chiffre d’affaires depuis plus de dix ans. Certes, la baisse des revenus de l’iPhone doit être relativisée car elle intervient après un cycle de 18 mois de très forte croissance portée par le lancement de l’iPhone 6 et le succès d’Apple en Chine. Il pourrait donc s’agir d’un simple retour à la normale avant le lancement attendu d’un nouveau modèle, moins cosmétique que le 6S. Pour autant, le recul des ventes du produit phare vient s’ajouter aux difficultés de l’iPad et du Mac. Dans le même temps, Apple enregistre une forte augmentation des revenus issus des services, soit le segment comprenant iTunes, l’App Store, Apple Music, iCloud ou encore Apple Pay. La croissance est de 20% par rapport à la même période de l’année 2015. Surtout, les services représentent désormais le deuxième poste de revenus pour Apple (12% du CA), devant le Mac (10%) et l’iPad (9%). Au-delà des effets conjoncturels et des différents commentaires sur « le déclin » du modèle Apple, on assiste donc pour la première fois à un retournement de tendance majeur.
• Les services apparaissent comme un relais de croissance naturel
Alors qu’il apparaît de plus en plus clairement que les croissances extraordinaires des ventes de matériels des années passées seront difficiles à retrouver dans un contexte de saturation relative des marchés nord-américains et européens et de ralentissement des cycles de renouvellement, les services semblent donc appelés à jouer le rôle de relais de croissance pour Apple. Ils ont l’avantage d’apporter une source de revenus stable et récurrente, indépendamment des cycles de ventes de matériels. Le parc installé est désormais considérable avec 1 milliard de terminaux actifs dans le monde et permet d’envisager une forte augmentation des revenus au sein de l’écosystème en créant de nouveaux besoins et en vendant de nouveaux services aux utilisateurs Apple. Tous les indicateurs semblent donc au vert : les revenus de l’App Store progressent, avec de nouveaux débouchés permettant de prolonger l’iPhone, comme l’Apple Watch, la nouvelle Apple TV ou CarPlay dans les voitures ; le streaming musical (Apple Music) vient prendre progressivement le relais du modèle du téléchargement sur iTunes en attendant un service similaire dans l’univers de la vidéo ; les segments de la maison connectée et de l’e-santé avec HomeKit et AppleCare sont encore balbutiants et représentent des opportunités importantes de développement pour la prochaine décennie avec un écosystème élargi à la maison et à la personne.
• Deux modèles de développement possibles pour le segment des services
Pour autant, si l’avenir d’Apple se dessine de plus en plus clairement dans les services, l’entreprise va devoir choisir entre deux modèles de développement, avec des conséquences lourdes allant jusqu’à son organisation. La première voie est celle de la poursuite et de l’accélération du modèle historique dans lequel le service est intrinsèquement lié à l’utilisation du terminal. L’enjeu est alors de capitaliser sur le parc installé pour compenser le ralentissement des ventes par la monétisation de nouveaux services. L’objectif est donc de dé-corréler progressivement le chiffre d’affaires des services de celui de la vente de terminaux. Dans ce modèle, si l’iPhone en tant que produit contribue de moins en moins aux performances immédiates, il reste néanmoins central pour la croissance future d’Apple. Mais la stratégie comporte le risque de ne plus utiliser les services comme un moteur de renouvellement de l’équipement et d’abandonner, ainsi, en les généralisant à tous les utilisateurs, un des principaux leviers de migration vers les terminaux de la catégorie supérieure.
L’autre voie, révolutionnaire pour Apple, consisterait à autonomiser complètement les services, en les rendant notamment accessibles aux non utilisateurs d’iPhone. Une première décision d’envergure a été prise dans ce sens avec la disponibilité d’Apple Music sur Google Play pour son utilisation sur les terminaux Android. Mais ce choix est compliqué. D’abord, dans le cas précis d’Apple Music on peut se demander si l’objectif est réellement de générer des revenus supplémentaires ou plutôt de prendre des positions permettant d’entretenir des passerelles entre Android et iOS, laissant ainsi la possibilité aux usagers Android d’utiliser une alternative à l’écosystème et au Cloud de Google omniprésents (1). Ensuite, l’autonomisation complète des services s’inscrit en contradiction même avec le modèle historique d’Apple. L’App Store, iTunes, Apple Music sont loin d’être les meilleurs services du monde et ne représentent d’intérêt qu’intégrés dans le matériel. Les services seuls ne sont rien. L’avantage décisif d’Apple repose sur la qualité de ses produits, pensés comme de véritables plates-formes avec une intégration verticale devenue un cas d’école, allant jusqu’à la conception en interne des puces de Silicium permettant de faire tourner les OS installés au cœur des différents appareils. Apple est le seul acteur au monde à avoir poussé cette intégration jusqu’au cœur du système. C’est cette force unique qui facilite la convergence entre matériels et logiciels et permet d’offrir une expérience utilisateur indépassable.
Tout est donc conçu chez Apple pour produire des dispositifs intégrés, jusqu’à l’organisation de la société qui n’a pas été pensée en fonction des différents produits ou des différents services mais de manière unifiée (2). Dès lors, l’autonomisation des services nécessiterait une nouvelle organisation permettant des rythmes de développement et des processus d’itération très différents, sans impact sur l’OS ou le terminal alors qu’aujourd’hui tout est imbriqué. De la même manière, l’autonomisation implique un nouveau modèle économique puisque l’on passe de fortes marges sur un nombre « restreint » d’appareils à un modèle reposant sur le volume mais des prix faibles. Et donc, là encore une organisation différente, plus opérationnelle avec des objectifs et des résultats en face de chaque service.
S’il est incontestable que les services sont appelés à jouer un rôle important comme relais de croissance dans le court terme, toute la difficulté pour Apple consiste à se réorganiser autour de cet objectif sans perdre son âme. Car, en s’éloignant trop du modèle d’intégration verticale qui fait sa spécificité, Apple risque de perdre sa force disruptive qui n’attend qu’à s’exprimer dans l’invention de nouvelles plates-formes, au premier rang desquelles la voiture…
(1) Voir Flash NPA n° 765, Apple Music V1. Un service trop frêle pour des enjeux trop lourds https://flash.npaconseil.com/2015/09/09/apple-music-v1-un-service-trop-frele-pour-des-enjeux-trop-lourds/
(2) Sur l’ensemble de ces aspects organisationnels, voir principalement les analyses de Jean-Louis Gassée, Horace Dediu , Jan Dawson, Steve Cheney et Ben Thompson.