L'édito de Philippe Bailly

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TF1, déjà dans le Top 3 sur le marché de la BVoD en Europe

Rodolphe Belmer, PDG du Groupe TF1 mise sur la nouvelle plateforme de streaming TF1+ pour « arriver, d’ici à trois ans, à une part de marché à deux chiffres » du total des revenus de la vidéo digitale, estimés en France à « 2 milliards d’euros et en croissance de 10 % à 15 % tous les ans ». L’objectif est donc d’atteindre au moins 10 % d’un total qui devrait monter d’ici trois ans à 2,6 Mds€ au moins, sur la base des taux de croissance prévisibles, ce qui représente des revenus de 260 M€ à 300 M€. Le pari peut sembler audacieux. Mais si les groupes audiovisuels privés français sont en retard sur leurs homologues européens pour la diversification globale de leurs revenus, au-delà des recettes publicitaires de la télévision linéaire, l’analyse conduite par NPA Conseil montre que TF1 dispose avec sa nouvelle plateforme d’un actif majeur sur le marché européen de la BVoD, et que le groupe se place déjà dans le trio de tête des neuf groupes étudiés (Atresmedia, Channel4, ITV, M6, Mediaset España, MFE, ProSiebenSat1., RTL Deutschland, TF1).


NPA Conseil a utilisé les publications financières des principaux groupes audiovisuels privés européens et les données de référence disponibles pour les cinq principaux marchés – Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni – pour estimer la puissance respective des principales plateformes de BVoD en Europe. Faute de données exploitables pour Channel 5 (Paramount Global) dans ses résultats annuels déposés auprès de la Companies House, neuf groupes audiovisuels privés ont été retenus avec, du nord au sud, ITV et Channel 4 au Royaume-Uni, RTL Deutschland et ProSiebenSat.1 en Allemagne, les groupes TF1 et M6 en France, Atresmedia et Mediaset España en Espagne, MFE-MediaForEurope (anciennement Mediaset) en Italie. Chacun de ces neuf groupes propose une plateforme de streaming, au moins en partie gratuite et financée par la publicité, respectivement ITVX, Channel 4, RTL+, Joyn, MYTF1 (devenu TF1+ en 2024), 6Play, Atresplayer, Mitele et Mediaset Infinity.  

Une tentative de comparaison de la puissance des services de BVoD en Europe

L’analyse repose sur trois principaux critères : le niveau d’usage, les revenus publicitaires et le poids des différents services de BVoD sur leur marché vidéo domestique.

Concernant le niveau d’usage, les informations sont souvent très lacunaires, notamment en Europe du sud. Deux critères ont été retenus, celui du taux de couverture à partir d’études de référence sur chaque marché, et celui du nombre d’utilisateurs actifs mensuels, parfois communiqué par les groupes audiovisuels, parfois estimé par NPA Conseil en croisant différentes sources.

Les publications financières ne sont bien sûr pas harmonisées et les revenus de publicité générés par la BVoD rarement isolés. Ils doivent alors être reconstitués à partir d’agrégats visant les revenus du streaming ou les revenus numériques, qui visent des périmètres beaucoup plus larges. De plus, les dernières publications financières portant sur le troisième trimestre 2023, il a été nécessaire d’estimer les différents résultats pour l’ensemble de l’année 2023 à partir des évolutions constatées sur les neuf premiers mois.

Une fois reconstitués, les revenus publicitaires spécifiques à la BVoD peuvent être comparés au sein de chaque groupe avec les revenus numériques au sens large, ainsi qu’avec les revenus publicitaires globaux.

La dernière partie de l’exercice a consisté à identifier (et estimer pour 2023) la valeur du marché de la vidéo en ligne sur chaque marché pour comprendre le poids des différents services de BVoD sur ce segment du marché publicitaire. L’exercice est délicat car il n’existe pas une définition communément acceptée, et tous les pays raisonnent sur des périmètres différents. Malgré une harmonisation qui reste imparfaite, les revenus publicitaires du segment du Display vidéo instream sont un périmètre satisfaisant pour obtenir un ordre de grandeur. Le périmètre retenu ne prend donc pas en compte les revenus publicitaires de la vidéo sur les réseaux sociaux, pourtant implicitement inclus dans les propos de Rodolphe Belmer quand il parle d’un marché global de la vidéo de 2 milliards d’euros en France.

En Italie, les chiffres retenus sont ceux du segment de la TV 2.0 au sein de l’Osservatorio Internet Media publié chaque année par la School of Management de l’École Polytechnique de Milan et utilisé par l’IAB Italia. En 2023 le chiffre retenu est de 462 millions d’euros. En Espagne, les données retenues sont celles de PWC pour l’IAB España (Estudio de Inversión Publicitaria en Medios Digitales) avec la somme des segments « Instream Video » et « TV Conectada ». Le chiffre retenu par NPA pour 2023 est de 499 M€ (estimation à partir des données 2022 et des prévisions d’évolution des différents segments). En France, les chiffres de référence sont ceux du Display Video Instream de l’Observatoire de l’e-pub du SRI et de l’UDECAM réalisé par le cabinet Oliver Wyman. Pour 2023 l’estimation est de 770 M€. En Allemagne, les prévisions de VAUNET, l’association allemande des média privés font état d’un marché de la publicité vidéo Instream (Instream-Videowerbung) à 1 460 M€. La situation est plus compliquée au Royaume-Uni. Si les revenus spécifiques de la BVoD peuvent être facilement estimés grâce aux chiffres de l’AA/WARC (reconstitués à 1135 M€ pour 2023 par NPA), ceux de l’Instream Video global sont plus compliqués à obtenir. Ce sont donc les données reconstituées par l’Ofcom pour son étude Media Nations 2023 (source : Ofcom/broadcasters, Ampere Analysis et IAB UK PwC Digital Adspend Study) qui ont été retenues, soit 3 320 M€ pour le marché « Online video advertising ».

Des services français plus utilisés que leurs homologues européens

L’analyse des résultats repose sur l’ensemble des données reconstituées qui sont présentées dans le tableau ci-dessous.

Analyse des principaux services de BVoD en Europe

Le premier enseignement est celui de la puissance des services BVoD des groupes audiovisuels privés français, tant en termes de taux de couverture (utilisateurs mensuels sur la population 4+ équipés TV d’après les données Médiamétrie) qu’en ce qui concerne le nombre d’utilisateurs mensuels (données TF1 en moyenne sur les 8 premiers mois de l’année, et données M6 à fin juin 2023). Avec respectivement 27,5 M et 16,5 M d’utilisateurs, MYTF1 et 6Play dominent très largement en audience les autres services européens, y compris les services britanniques ITVX (12,5 M selon les publications financières à fin septembre) et Channel 4 (estimation NPA de 10 M sur la base de 28 M de comptes créés depuis le lancement du service), qui sont pourtant ceux qui génèrent les revenus publicitaires les plus importants. A contrario, la faiblesse des services allemands est criante. Malgré sa place de premier groupe audiovisuel privé en Europe, la plateforme de streaming de RTL ne réussit à convaincre que 6 M d’utilisateurs mensuels (donnée de la KEK – Kommission zur Ermittlung der Konzentration im Medienbereich), sachant que 4,8 M d’entre eux sont des abonnés payants. Joyn fait encore moins bien avec 3,8 M d’utilisateurs mensuels (publications financières à fin septembre 2023), plus de sept fois moins que MYTF1 dans un pays où les usages du streaming sont par ailleurs tout aussi développés qu’en France.

MYTF1 troisième service européen en termes de revenus publicitaires

Concernant les revenus publicitaires des différents services de BVoD, ce sont sans surprise les groupes britanniques qui dominent largement même si les estimations de NPA montrent une différence conséquente entre les recettes publicitaires spécifiquement associés à ITVX et Channel 4 et les revenus globaux de la publicité digitale communiqués par les deux groupes. De fait, alors que les revenus numériques (Digital revenue) de ITV devraient atteindre 588 M€ en 2023, les recettes publicitaires de ITVX sont estimées à 375 M€, le solde étant lié aux revenus des abonnements (environ 88 M€), aux revenus de la publicité TV linéaire adressée, ainsi qu’au Display sur tous les autres actifs numériques du groupe (environ 125 M€). La logique est identique pour Channel 4, les revenus de la BVoD ne représentant que les deux-tiers de l’ensemble des revenus de la publicité digitale en raison de l’importance prise par la marque numérique Channel 4.0 sur YouTube (avec notamment un partenariat stratégique signé en mai 2022 permettant à la régie de vendre directement ses inventaires sur plus de 1 000 heures de contenus, une première en Europe) et les autres réseaux sociaux à commencer par TikTok.

Si MYTF1 et 6Play sont en retard sur leurs homologues britanniques, les deux services de BVoD français arrivent juste derrière en ce qui concerne leurs revenus publicitaires avec des estimations de recettes pour 2023 de plus de 100 M€ pour MYTF1 et d’environ 60 M€ pour 6Play sur la base des chiffres communiqués pour les 9 premiers mois de l’année. Les performances sont ainsi supérieures à tous les autres services de BVoD en Allemagne, en Espagne et en Italie.   

En revanche l’analyse montre que dans le cas des groupes français, les services de BVoD concentrent l’ensemble des revenus numériques, ce qui n’est pas le cas pour les autres groupes. MYTF1 représente ainsi la quasi-exhaustivité des recettes numériques de TF1 après la cession de son pôle de médias numériques Unify à Reworld Media en juin 2022. La situation est identique pour 6Play et M6 après l’acquisition par Prisma Media des actifs du pôle M6 Digital Services à l’été 2023. En revanche, les revenus numériques globaux de RTL et ProSiebenSat.1 sont sensiblement supérieurs à ceux de TF1 et M6, parce que plus diversifiés.

Concernant ProSiebenSat.1, Joyn ne représente encore qu’une faible part des revenus publicitaires du segment Digital & Smart, historiquement dominés par la publicité adressée via HbbTV et l’activité du réseau numérique Studio71 qui gère notamment plus de 1 250 chaînes YouTube. Si Joyn est très dynamique (progression de +58 % de ses revenus en glissement annuel à fin septembre 2023) on estime que le service dégage encore moins de 30 M€ de recettes publicitaires. Concernant RTL, outre la nécessité d’estimer le poids de RTL Deutschland au sein de l’ensemble des revenus numériques de RTL Group pour obtenir un périmètre d’analyse correct, on constate que les revenus du streaming sont écrasés par les revenus des abonnements (estimation de 4,8 M d’abonnés en Allemagne à fin 2023) étant donné le modèle économique et le positionnement plus SVoD que BVoD de RTL+. Dès lors, on estime à seulement environ 50 M€ les revenus publicitaires générés par RTL+ en Allemagne en 2023.

Enfin, en Europe du sud, la situation des groupes Atresmedia et MFE est proche de celle de ProSiebenSat.1, avec des services de BVoD qui restent encore marginaux dans la structure des revenus numériques, dominés par la publicité HbbTV (LovesTv en Espagne et Tivùon en Italie) et surtout les actifs digitaux traditionnels des deux groupes sur le web.

Estimation des revenus publicitaires 2023 des principaux services de BVoD en Europe (M€)

MYTF1 représente près de 14 % du marché de la vidéo instream en France

Sur la base de ces mises en perspectives, l’analyse du poids de chaque service de BVoD sur son marché domestique de la vidéo Instream, tel que décrit précédemment, montre que MYTF1 surperforme par rapport à ses concurrents européens. Avec 105 M€ de revenus publicitaires estimés en 2023, MYTF1 représente près de 14 % de la valeur globale du marché Display Video Instream (hors réseaux sociaux donc) telle que mesurée par l’Observatoire de l’e-pub. Malgré des revenus intrinsèques supérieurs, ITVX et Channel 4 font moins bien en raison d’un marché domestique global plus de quatre fois plus important, au sein duquel la concurrence avec les pure players de l’AVoD, YouTube et les autres grandes plateformes internationales, est exacerbée. L’évolution de MYTF1 vers TF1+ arrive donc à point nommé pour aider le premier groupe audiovisuel privé français à conserver et accentuer ses positions.

Estimation du poids des services de BVoD européens sur leur marché domestique de la vidéo Instream

(en pourcentage des recettes publicitaires)

Par contre, le même exercice réalisé sur un marché fictif unifié de la vidéo instream au niveau de l’Europe des 5 de quelques 6 511 M€ placerait MYTF1 en troisième position seulement (1,6 % de part de marché), loin derrière les britanniques Channel 4 (3,3 %) et surtout ITVX (5,8 %) qui confirme ainsi son statut de plateforme BVoD de référence en Europe.

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