L'édito de Philippe Bailly

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Arcom & pluralisme : un dispositif souple… mais le risque de nouvelles interventions du Conseil d’Etat

Faisant suite à la décision dite RSF du Conseil d’Etat du 13 février, l’Arcom a publié ce jeudi 18 juillet la Délibération n° 2024-15 du 17 juillet 2024 relative au respect du principe de pluralisme des courants de pensée et d’opinion par les éditeurs de services, qui vise répondre à la demande de la juridiction administrative de « prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés », pour mieux répondre à l’esprit de la loi de 1986. Répondant aux craintes de « fichage » qu’avait fait naître la décision du Conseil d’Etat, l’Arcom exclut « la qualification ou au classement de l’ensemble des intervenants à l’antenne au regard des courants de pensée ou des différentes sensibilités ». D’éventuels « déséquilibres manifestes et durables » contre lesquels elle entend se concentrer seront qualifiés au regard du déficit de « variété des sujets ou [des] thématiques abordés à l’antenne, [du manque de] diversité des intervenants dans les programmes [ou de l’absence de] pluralité de points de vue dans l’évocation des sujets abordés ». L’Arcom n’envisage pas enfin une surveillance au jour le jour et émission par émission, mais prévoit un contrôle sur des périodes d’au moins trimestre pour les chaînes généralistes, et d’un mois pour les chaînes d’information. Ce refus d’un dispositif trop cadré laisse toutefois planer des zones de flous qui pourraient nourrir des recours, et amener finalement le Conseil d’Etat à préciser lui-même le changement de doctrine qu’il a initié. Dans un communiqué, RSF saluait ce jeudi 18 juillet « une délibération salutaire bien que tardive et lacunaire ».

L’Autorité réaffirme dans le préambule à sa délibération que « les éditeurs sont seuls responsables du choix des thèmes abordés sur les antennes et des intervenants, dans le respect des dispositions législatives, règlementaires et conventionnelles applicables ».

Pas de « qualification de l’ensemble des intervenants »

Elle exclut, de la même façon « la qualification ou au classement de l’ensemble des intervenants à l’antenne au regard des courants de pensée ou des différentes sensibilités, sous réserve de l’application des dispositions de la délibération susvisée du 22 novembre 2017 » qui précise les modes de comptabilisation des temps de parole des personnalités politiques, et en particulier de celles du Président de la République, de ses collaborateurs et des membres du Gouvernement.

Elle indique encore « compléter les dispositifs actuels », et notamment la Délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 qui vise à « une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne » (Article 1) et prévoit par exemple qu’un « acte ou une décision juridictionnels ne soit pas commenté de manière à jeter publiquement le discrédit dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance, [ou] lorsqu’une procédure judiciaire en cours est évoquée à l’antenne à ce que  l’affaire soit traitée avec mesure, rigueur et honnêteté, [que son] traitement ne constitue pas une entrave caractérisée à cette procédure [et que] les parties en cause ou leurs représentants soient mis en mesure de faire connaître leur point de vue ».

Prévenir un « déséquilibre manifeste et durable, en particulier dans les programmes d’information » et ceux qui y concourent

Finalement, la Délibération, qui « s’applique à tous les médias audiovisuels, publics comme privés », s’attache, à ce que « l’exigence de diversité, affectée par un déséquilibre manifeste et durable, en particulier dans les programmes d’information et les programmes concourant à l’information ».

Pour ce faire :

  • L’Autorité « prendra en compte dans [son] appréciation les interventions de l‘ensemble des participants » (Article 1).
  • Elle prêtera plus particulièrement attention à « la variété des sujets ou thématiques abordés à l’antenne ; la diversité des intervenants dans les programmes ; l’expression d’une pluralité de points de vue dans l’évocation des sujets abordés», sans préjudice du respect des dispositions de la Délibération de 2018 sur la présentation des questions prêtant à controverse et de celui des Délibérations de 2011 et 2017 relatives au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision.
  • Et « sauf circonstance exceptionnelle », l’observation portera « sur une période qui ne saurait être inférieure au trimestre pour l’ensemble des services et au mois » pour les chaînes d’information. (Article 2)

Des précisions à apporter par la jurisprudence ?

Avec la Délibération publiée ce jeudi, l’Arcom répond à un certain nombre d’inquiétudes qui s’étaient exprimées à la suite de la Décision du Conseil d’Etat, dès lors qu’elle exclut la « qualification » des intervenants (et particulièrement des journalistes) et qu’elle ne prévoit pas un contrôle, au quotidien, s’exerçant émission par émission, mais entend lutter contre les « « déséquilibres manifestes et durables » et ne prévoit pas d’observation « sur une période qui (soit) inférieure au trimestre pour l’ensemble des services et au mois » pour les chaînes d’information.

Mais ce refus du « fichage », et cette volonté manifeste d’un contrôle souple ne sont pas sans laisser place à l’ambiguïté :

  • Sur le périmètre retenu, s’agissant des « programmes qui concourent à l’information », sans que la qualification d’information politique et générale soit précisée. Le communiqué publié par l’Arcom en complément de sa délibération indique d’ailleurs que « tous les programmes seront concernés »,
  • Sur la notion de « déséquilibre manifeste »,
  • Et finalement sur son « caractère durable ». L’Autorité indique que les périodes d’information seront d’au moins trois mois pour les chaînes généralistes, et d’un mois pour les chaînes d’information, mais sans indiquer la durée au-delà de laquelle le caractère « durable » sera caractérisé.

Il apparait probable, dès lors, que le Conseil d’Etat, duquel est venue cette vision extensive du contrôle du pluralisme, soit bientôt à nouveau saisi pour préciser les modalités de ce dernier.

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