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Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) a rendu, hier, son rapport définitif sur sa Mission « droit de communication au public », qui avait été confiée à M. Pierre Sirinelli et Mmes Josée-Anne Benazeraf et Alexandra Bensamoun par le Ministère de la Culture le 5 février 2016. L’étude réalisée par la Mission « montre que, sur de trop nombreux points, la jurisprudence de la CJUE est devenue aussi imprévisible que complexe et sinueuse » sur la notion de communication au public. Sa décision « GS Media », rendue le 9 septembre 2016, illustre en tous points sa capacité à surprendre, la Cour n’ayant pas suivi les conclusions de son Avocat général pour caractériser un acte de « communication au public » en posant une dixième définition de la notion en seize décisions.
Ainsi, il est « apparu indispensable à la Mission d’apporter des précisions dans le corpus législatif européen afin de lever toute ambiguïté et éviter la persistance des écarts constatés – du fait de l’interprétation proposée par la CJUE – avec les normes internationales »..
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Approche globale : modifier la directive 2001/29 relative au droit de communication au public
Sans pour autant critiquer l’ensemble des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne sur le droit de communication au public, le CSPLA met l’accent sur la multiplication et le rôle variable des critères proposés par celle-ci pour caractériser un acte de communication au public, source de confusion pour les juridictions nationales, auteurs et consommateurs. Pour rappel, l’acte de communication lui-même n’est pas défini par la directive européenne 2001/29 sur le droit de communication, le législateur européen ayant laissé le soin aux juges communautaires de délimiter ses contours.
Afin de « mieux cerner » cette notion, le Conseil détaille une première approche dite « générale » opérant un « retour au sens premier des textes ». La directive 2001/29 serait ainsi modifiée pour y insérer un troisième paragraphe (nouveau) qui « lève toute ambiguïté sur la nature de l’acte de communication au public et/ou de mise à la disposition du public de l’acte qui consiste dans le fait de rendre accessible au public une œuvre ou un objet protégé ». Un considérant viendrait préciser « qu’il n’est pas nécessaire pour la mise en œuvre du droit de communication au public que l’acte consistant dans le fait de rendre l’œuvre ou l’élément protégé accessible au public soit effectivement suivi d’un acte de transmission ».
Le CSPLA propose de rompre avec la jurisprudence de la CJUE sur la question des communications primaire et secondaire en revenant aux principes généraux : toute mise à disposition d’un public constitue une communication au public. Un alinéa serait inséré précisant que « l’intervention d’un tiers à l’acte de communication initiale suffit à enclencher la mise en œuvre du droit de communication au public », et ce « sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur l’identité ou la différence du mode technique employé, ou sur la présence ou non d’un public nouveau ». S’agissant de la théorie de l’injection, le CSPLA souligne qu’une intervention technique n’est que l’un des versants d’une même communication au public.
Enfin, et il s’agit d’un des éléments essentiels de ce rapport, une solution nouvelle est proposée pour fixer le cadre applicable aux liens hypertexte. La jurisprudence mouvante de la CJUE est l’objet de nombreuses critiques, renforcées depuis la récente décision GS Media. Le CSPLA propose la mise en place d’une exception obligatoire au droit de propriété littéraire et artistique en cas de création de certains hyperliens, Cette exception supposerait certaines conditions cumulatives : le créateur du lien i) ne devrait pas savoir ou avoir raison de penser que l’œuvre est mise à disposition illicitement sur le site visé par le lien, ii) ne devrait pas poursuivre un but lucratif ; iii) l’œuvre devrait être librement accessible sur le site visé et enfin, iv) l’hyperlien « ne peut donner à l’internaute utilisateur l’impression de consulter l’œuvre sur le site proposant le lien ». Dans ces conditions, la mise en œuvre deviendra une exception au monopole de l’auteur d’autoriser ou non la communication au public de son œuvre.
Approche ciblée : amender le paquet « droit d’auteur » au Parlement européen
L’approche ciblée, envisagée subsidiairement « dans l’hypothèse où l’approche globale serait insusceptible d’aboutir » pour des raisons essentiellement politiques, consisterait à modifier, d’une part, la proposition de directive « droit d’auteur dans le Marché unique numérique », et d’autre part, la proposition de règlement sur les retransmissions en ligne d’émissions de télévision et de radio. La notion de communication au public serait précisée dans un considérant additionnel à la directive droit d’auteur, « revenant aux principes fondateurs tels qu’ils ressortent du guide de l’OMPI de 2003 » : une œuvre protégée est communiquée ou mise à disposition du public « lorsqu’une personne physique ou morale en donne accès à des personnes étrangères au cercle de ses relations intimes et personnelles, qui se définit comme le cercle normal de sa famille ou de son entourage le plus immédiat ».
Les modifications au projet de règlement visent en particulier à clarifier la responsabilité des organismes de radiodiffusion dans le cadre des « injections directes »[1] qu’elles soient ou non transfrontières. Le Conseil souhaite que ces organismes, qui « prennent l’initiative de diffuser, moyennant rémunération, des programmes de radio ou de télévision dont la communication au public ne peut avoir lieu sans leur intervention » soient tenus conjointement responsables de cet acte avec les opérateurs de bouquets et qu’ils doivent obtenir une autorisation des ayants droit concernés.
Si elle a le mérite de s’insérer dans des textes déjà en discussion, le CSPLA concède cependant que cette deuxième approche est « moins complète en ce qu’elle ne permet pas de proposer une construction d’ensemble de la question des hyperliens », explicitement exclus du champ d’application de la directive droit d’auteur au considérant 33, dont la modification « a paru difficile – pour ne pas dire impossible » au CSPLA.
La recherche d’une cohérence juridique
Les propositions formulées par le CSPLA pourront être relayées par des eurodéputés à l’occasion des prochains débats sur le paquet « droit d’auteur » au Parlement européen et au Conseil par la Ministre Audrey Azoulay qui a déjà exprimé, le 22 novembre 2016, la volonté de la France d’avancer sur ce sujet. Une évolution des textes permettrait de clarifier une notion qui a fait l’objet de plus de 15 décisions de la CJUE, décisions qui ne permettent pas de disposer aujourd’hui d’une définition jurisprudentielle affirmée.
Le critère de la poursuite du but lucratif est en effet symbolique de cette insécurité. D’abord absent des décisions de la Cour de justice, il est présent dans l’arrêt SGAE, puis qualifié de « non dénué de pertinence » dans l’arrêt Premier League. Dans l’arrêt Marco del Corso, il est un quasi-critère pour apprécier de la communication ou non au public. Avec l’arrêt Reha Training, la CJUE semble revenir à un usage plus économique de l’utilisation du lien avec un but lucratif : comme en droit civil ou en propriété intellectuelle, le but lucratif (ou non) est utilisé « aux fins de la détermination de l’éventuelle rémunération » de l’ayant droit lésé. Dans sa dernière décision, GS Media, la poursuite d’un but lucratif est de nouveau présentée comme un critère déterminant créant même une présomption de la connaissance par l’auteur du lien de l’illégalité de la publication d’origine de l’œuvre.
Le CSPLA propose de rompre avec cette incertitude. Il n’envisage de prendre en compte le but lucratif ou non du créateur du lien hypertexte que pour permettre ou non à ce créateur de pouvoir bénéficier de l’exception dont il propose la mise en œuvre (cf. 1 ci-dessus).
[1] Processus en deux étapes qui consiste pour un radiodiffuseur à envoyer ses programmes par signaux à ses distributeurs qui les décryptent et les transmettent (en clair ou en crypté) à leurs abonnés.