Mieux comprendre la proposition de directive relative aux contrats de fourniture de contenus numériques :
Le texte proposé par la Commission européenne entend supprimer les principaux obstacles au commerce électronique transfrontière dans l’Union européenne matérialisés par « la fragmentation juridique dans le domaine du droit des contrats à la consommation », « les coûts élevés en résultant pour les entreprises », ainsi que « le manque de confiance des consommateurs lorsqu’ils achètent en ligne dans un autre pays. »
La commission des affaires juridique et la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs ont adopté leur rapport conjoint sur ce texte, le 21 novembre dernier. Le texte, qui renforce certaines protections accordées aux consommateurs sans pour autant modifier substantiellement les obligations imputées dans la proposition initiale aux fournisseurs de contenus numériques, ouvre cependant de manière significative le champ d’application de la directive en rendant ces mesures applicables aux fournisseurs de services numériques. A moins que le texte ne soit contesté en plénière, les trilogues devraient commencer prochainement.
L’extension du texte aux « services numériques »
Le rapport étend le champ de la directive, initialement limité aux contrats de fournitures de contenus numériques, aux contrats de fourniture de services numériques. Les « services numériques » sont définis comme les services qui permettent soit la création, le traitement ou le stockage de données sous forme numérique, qui sont créées ou mises en ligne par le consommateur, soit le partage ou l’interaction sur des données mises en ligne ou créées par le consommateurs ou d’autres utilisateurs du service.
Le rapport précise explicitement que cette directive s’applique sans préjudice du Règlement Général sur la Protection des Données. De même, la proposition prévoyait déjà que le texte n’affecte pas les droits de propriété intellectuelle, en particulier ceux dont bénéficient les auteurs.
En outre, le champ d’application de la directive est étendu aux contenus et services embarqués dans des équipements ou services fournis aux consommateurs. Le rapport réduit le champ des services non visés par la directive, en les limitant aux situations où des données personnelles collectées par le professionnel sont uniquement traitées à des fins de fourniture, de maintien de la conformité et d’amélioration du service, ou pour le respect d’obligations légales.
Le renforcement des conditions de conformité du service
Les eurodéputés précisent l’obligation de conformité auquel le fournisseur de services ou de contenus numériques est soumis.
D’après le rapport, en plus de la conformité aux spécifications du contrat (conformité objective) et à la finalité convenue entre les parties (conformité subjective), le contenu ou service doit être conforme aux versions d’essai fournies par le fournisseur, sauf si les différences avec le service ou contenu fourni ont été signalées au consommateur. En outre, la conformité s’estime tant au regard du contrat que des informations précontractuelles qui ont été fournies au consommateur.
Les députés maintiennent les dispositions de la proposition initiale qui fondent la conformité sur l’attente raisonnable que l’on peut avoir des caractéristiques du service ou du contenu fourni. Concernant les services et/ou contenus fournis sur la durée, le rapport précise que les interruptions de service pourront être retenues comme des défauts de conformité si elles sont « significatives, continues ou récurrentes ». Il impose également aux fournisseurs de proposer des mises à jour du service pendant une durée raisonnable après la fourniture du service et/ou contenu.
De plus, les députés conservent l’obligation pour les fournisseurs de fournir des services et/ou contenus libres de droits qui entraveraient l’utilisation desdits contenus ou services conformément au contrat.
Le rapport précise que toute clause qui dérogerait ou écarterait ces dispositions n’est valable que si le consommateur en a été spécifiquement informé au moment de la conclusion du contrat et qu’il l’a expressément accepté.
Le rapport ajoute un article 8a à la directive qui rend contraignante toute garantie commerciale consentie au consommateur, même au niveau précontractuel, comme information ou comme publicité. La garantie commerciale doit être fournie au consommateur par écrit, et rappeler ses droits tels que détaillés dans la directive.
La charge de la preuve de la conformité, imputée au fournisseur à l’article 9 de la proposition, et la responsabilité du fournisseur trouvent à s’appliquer, selon le rapport, lorsque le défaut de conformité devient apparent dans les deux ans suivant la fourniture du contenu ou service, ou dans l’année suivant la fourniture du contenu ou service embarqué, et pendant toute la durée de la fourniture du service ou du contenu, lorsque cette fourniture est continue sur une période donnée.
Les nouvelles règles de résiliation et de modification des contrats de fourniture de services numériques
Pour rappel, la proposition de directive accorde au consommateur de contenus (ou de services, conformément au rapport) numériques le droit d’obtenir correction de la non-conformité, si cela n’est pas trop contraignant pour le fournisseur, ou, à défaut, une réduction du prix ou le droit de résilier le contrat.
Le droit de résiliation et de réduction du prix ne peut être exigé que pour les contrats payants. Lorsque le consommateur demande la résiliation pour défaut de conformité, il obtient remboursement des sommes payées pour la fourniture du service/contenu, ou des sommes payées pendant la durée de non-conformité du service. Après la résiliation, le fournisseur doit limiter au maximum l’utilisation des contenus générés par l’utilisateur (autre que données personnelles) via l’utilisation du service, et, sur demande, lui fournir toutes ces informations. Le consommateur, lui, devra ensuite s’abstenir d’utiliser et de partager les contenus et/ou services mis à sa disposition avant la résiliation. Sur demande du fournisseur et à ses frais, le consommateur devra rendre les contenus et/ou équipements contenant les contenus ou services embarqués.
Le remboursement ne restreint pas la possibilité pour l’utilisateur d’obtenir dédommagement pour tout préjudice additionnel que l’utilisation du service/contenu non conforme lui aura causé.
De plus, la proposition impose que toute modification des caractéristiques du service ou contenu n’est possible que si elle a été prévue au contrat, et que le consommateur en est informé à l’avance. Le rapport impose également que ces modifications soient justifiées, raisonnable au titre des attentes du consommateur et sans frais supplémentaires de sa part. Le consommateur est alors autorisé à résilier le contrat dans les 30 jours, bien que le rapport limite cette possibilité aux situations où l’utilisation du contenu ou service est impactée négativement par la modification.
Pour les contrats de fourniture de contenus ou service pour une durée supérieure à 1 an, ou dont le renouvellement fait excéder la durée du contrat à un an, le consommateur est, une fois passée la durée d’un an, autorisé à résilier le contrat, sans frais.
Notre analyse
La proposition de directive, et le rapport adopté en commissions saisies au fond, marque ainsi l’apparition d’obligations spécifiques de droit de la consommation pour la fourniture de services et de contenus en ligne. On remarque que le champ d’application du texte est particulièrement extensif, notamment dans la définition des « services numériques ». Cette qualification oriente la définition d’un service sur l’utilisation des données qu’un consommateur fournit, à la façon du droit de protection des données à caractère personnel.
Cela appelle deux observations : d’abord, cette démarche dénote une focalisation de la régulation européenne de l’activité en ligne sur l’utilisateur, dans une optique de création de confiance. On reconnaît ici la poursuite de la ligne réglementaire dédiée au numérique propre à l’Union depuis la directive 2000/31/CE (directive e-commerce).
Ensuite, cela semble augurer un rapprochement entre droit de la consommation et droit des données personnelles, déjà perceptible dans le Règlement général sur la protection des données. Le principe de limitation du traitement des données de l’utilisateur par exemple est repris dans la proposition de directive, bien qu’il ne soit pas coordonné ici à la détermination d’une finalité du traitement. De même, le droit à accéder aux données sur l’utilisateur détenues par le fournisseur fait écho au droit d’accès, prérogative classique de la personne concernée par un traitement de données personnelles.
Le nouvel ordonnancement européen des droits de l’individu en ligne se construit ainsi sur les principes de la confiance, la commodité (visible entre autre avec l’émergence du droit à la portabilité, consacré dans le règlement sur la portabilité des contenus en ligne, applicable à partir du 1er avril 2018) et un regain de contrôle de l’utilisateur sur ses données.