Peu évoqué lors des discussions en commissions sur la première partie du PLF 2018, le “Pass Culture” a fait l’objet de vifs débats en séance publique à l’occasion de l’adoption des crédits de la mission « Culture ».
Un amendement de plusieurs députés La France Insoumise, dont Michel Larive, proposait de combler une partie de la baisse des crédits alloués au patrimoine des musées de France (qui baisse de 8 M€) en prenant les 5 M€ consacrés au « Pass Culture ». Les députés FI reprochent au gouvernement « le flou du calendrier et du financement » sur le « Pass Culture » et le fait « qu’un chèque pour tout le monde ne constitue pas une politique d’émancipation par la diffusion de la culture ».
Dans son rapport pour la commission des affaires culturelles sur la mission Culture, la députée Les Républicains Brigitte Kuster a indiqué qu’« elle émettrait les plus grandes réserves » sur le « pass culture », « s’il ne devait – comme cela a semblé un temps être le cas – ne consister que dans le versement d’un chèque de 500 euros, sur le modèle de ce qui s’est fait en Italie ».
Toutefois, estimant « qu’un dispositif bien étudié pourrait avoir toute son utilité », elle a émis un avis défavorable à l’amendement de suppression de Michel Larive, qui a été rejeté.
Des réponses concrètes sont attendues du ministère de la culture
En séance publique, Brigitte Kuster a réitéré ses inquiétudes devant la ministre de la Culture : « d’autres sujets d’inquiétude, déjà évoqués en commission élargie, demeurent, et il me paraît essentiel d’en rappeler ici quelques-uns : le financement des travaux du Grand Palais ou d’autres grands chantiers patrimoniaux que vient d’évoquer mon collègue Gilles Carrez, la baisse des autorisations d’engagement des crédits consacrés aux musées, la fin du mécanisme de soutien à la sécurisation des salles de spectacle, les incertitudes concernant le Pass culture, l’ouverture des bibliothèques le dimanche (…). Chacun de ces sujets mérite, vous le comprendrez, des réponses concrètes de votre part ».
Pierre-Yves Bournazel des Constructifs a défendu le projet du gouvernement : « le Pass culture est une promesse forte du Président de la République, qui vise à permettre à chacune et à chacun de rencontrer l’art, sous toutes ses formes. Cela peut être un formidable instrument d’égalité des chances. Pour travailler à sa réussite, nous avons certes besoin de nous inspirer des expériences étrangères, mais je crois que l’essentiel se jouera, d’une part dans notre capacité à trouver des solutions dans les territoires avec les collectivités et les acteurs locaux, et d’autre part dans une concertation approfondie avec les jeunes eux-mêmes. Ce Pass culture doit répondre à des attentes non satisfaites, nourrir des aspirations, susciter des découvertes et, pourquoi pas, créer des vocations ».
Raphaël Gérard de LREM a souligné qu’il s’agirait d’abord de « tester l’étendue et le financement » du pass culture, et « de s’assurer que le résultat de ce dispositif ne sera pas seulement un effet d’aubaine, mais aussi une avancée de nos jeunes vers l’autonomie dans leurs consommations et leurs pratiques culturelles ».
Frédérique Meunier (LR) a ensuite souligné les craintes de son groupe quant au dispositif : « le budget 2018 alloue 5 millions d’euros au développement des outils numériques nécessaires au déploiement du Pass culture et au lancement d’une première expérimentation en la matière. La mission « Culture » » évalue le coût total de ce dispositif à 104 millions d’euros. Toutefois, ni son périmètre, ni son coût – qui pourrait atteindre plusieurs centaines de millions d’euros – ne semblent véritablement arrêtés.
En outre, les modalités d’usage du Pass culture devront être encadrées. Les milieux culturels craignent qu’il induise un effet d’aubaine au profit de géants internationaux comme Netflix et Amazon, qui ne financent pas le secteur de la culture en France. S’agissant de nos jeunes et de nos étudiants, bénéficiaires du Pass culture, permettez-nous d’exprimer notre étonnement face à la diminution de 10 millions d’euros des bourses sur critères sociaux en 2018 ».
Pierre Person (LREM) a répondu aux demandes de suppression du budget initial de 5M€ : « Ces 5 millions sont prévus pour financer un travail préparatoire entre les ministères afin de consulter les différents acteurs et d’initier une expérimentation du dispositif. Vous nous reprochez de ne pas préciser le dispositif, mais comment pourrions-nous le faire, puisque nous en sommes encore au stade de l’expérimentation ?
L’un des objectifs du Pass culture est de démocratiser l’accès à la culture. Les inégalités dans la pratique culturelle sont un facteur d’inégalité sociale durable, notamment pour intégrer le monde professionnel. Parce qu’il est trop tard pour agir à 18 ans, le Pass complète le parcours d’éducation culturelle de l’enfant et de l’adolescent en leur proposant une aide pour financer des activités culturelles.
Rappelons que les 18-25 ans sont les oubliés des politiques culturelles. La programmation des théâtres et des musées ne manque pas d’offres à destination des enfants, mais elle est rarement adaptée au public des jeunes adultes. Les dispositions de l’éducation artistique et culturelle s’arrêtent à la fin du lycée ».
La ministre de la culture a également affirmé, contre cette suppression que l’expérimentation du Pass culture « est l’une de nos priorités », et qu’elle le refusait.
Une demande de rapport sur la mise en oeuvre du “Pass culture” rejetée
Sabine Rubin de la France Insoumise a de nouveau demandé des informations sur les modalités du Pass culture en présentant un amendement (rejeté) : « cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport d’information sur les modalités de son financement. Tel qu’annoncé, le Pass culture, d’une valeur de 500 euros, sera à terme distribué à l’ensemble des jeunes de dix-huit ans. Il est budgété pour 2018 à hauteur de 5 millions d’euros parce qu’il s’agit d’une expérimentation. Mais s’il devait être étendu en 2019, au regard des jeunes concernés, c’est-à-dire 850 000 selon l’INSEE, les crédits alloués devraient atteindre 424 463 500 euros. Le rapport d’information étudiera donc les différentes pistes de financement, sachant que le candidat Emmanuel Macron avait, lors de sa campagne, précisé que l’État ne financerait pas l’ensemble de cette mesure. La majeure partie du financement devant provenir notamment d’une taxe sur les GAFA, où en est-on ? On aimerait d’ores et déjà le savoir.
Par ailleurs, le rapport étudiera les moyens d’éviter les mêmes effets que ceux survenus en Italie avec le Bonus Cultura, à savoir que seulement 60 % des jeunes Italiens ont utilisé leur chèque et de nombreux cas de revente en ligne à moitié prix ou d’échange du chèque avec des commerçants contre de l’argent liquide ont été constatés.
Enfin, le rapport permettra de poser les bases d’une véritable réflexion sur la médiation culturelle qui accompagnera le Pass Culture. Il conviendra de s’interroger, par exemple, sur les biens culturels qui y seront éligibles ainsi que sur la composition et sur la nomination du comité d’experts chargé de les définir ».
La ministre a répondu que « la mise en place du Pass culture est, je l’ai souligné dans mon discours liminaire, un engagement fort du Président de la République. Je vous confirme ma détermination d’emblée en faveur de la philosophie du dispositif : un passeport culturel pour accompagner les jeunes vers l’autonomie et la détermination de leurs choix culturels. Il s’agira d’un outil à la fois symbolique et essentiel au service de l’accès de la jeunesse à la culture. Je veillerai à ce que sa mise en œuvre soit concertée avec les publics concernés : les jeunes, les institutions culturelles, les collectivités territoriales, les principaux acteurs du numérique et de l’innovation. Son lancement sera opéré en septembre 2018.
J’aurai l’occasion d’ici là de détailler la méthode suivie et les modalités de ce lancement, et je rendrai compte au Parlement de la mise en œuvre du Pass. Il n’est donc pas nécessaire de prévoir la remise d’un rapport d’information à ce stade ».
Pour le groupe LR, Fabien Di Filippo a affirmé « que le Pass culture va être une mesure clientéliste comme les autres annoncées pendant la campagne présidentielle, je pense à celle sur la taxe d’habitation. On va donner 500 euros aux jeunes de dix-huit ans sans savoir où ils vont être utilisés, pour faire quoi, etc (…)
Pourquoi 500 euros à dix-huit ans, et pas à dix-neuf ans ? Cela confine vraiment au plus hasardeux des bricolages. C’est une des pires mesures de votre programme. Si vous voulez démocratiser l’accès à la culture, madame la ministre, il y a beaucoup de choses à faire en faveur des actions culturelles et en faveur du patrimoine. La direction que l’on prend est extrêmement inquiétante. Je pense que le seul public qui doit regarder cela avec gourmandise, ce sont les géants de l’internet ».
Les amendements ont été rejetés.
Les crédits des missions Culture et Médias ont été adoptés sans modifications, mis à part un amendement du gouvernent sur la mission Culture, adopté afin de porter à 2,7 M€ la contribution du ministère de la culture au financement du Bureau export de la musique française (Burex), soit une nouvelle augmentation de 500 000 €.