Auditionné ce matin par les commissions des finances et des affaires européennes de l’Assemblée, le commissaire européen Pierre Moscovici a été interrogé sur la question de la fiscalité de l’économie numérique et les montages fiscaux opérés par certaines plateformes dans des Etats membres, notamment par le rapporteur général Joël Giraud (LREM).
Pierre Moscovici. “Ces dernières années, vous voyez qu’il y a toute une série de sujets qui progressent, et j’ajouterai deux choses : le vote de deux directives contre la fraude et l’évasion fiscale, et enfin le fait que les multinationales se sont engagées à rendre transparentes leurs données financières, c’est ce qu’on appelle le « country by country reporting ». Je souhaite maintenant qu’on aille plus loin et qu’elles deviennent publiques. Il faut poursuivre inlassablement la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.
Sur le « country by country reporting » et leur publicité et j’insiste sur le mot publicité. Les Etats membres ont laissé tomber la proposition de la Commission européenne. Je propose qu’ils la remettent à l’agenda. Il n’y a pas de contradiction entre la transparence et la compétitivité. Il y a quand même intérêt à faire de la transparence ex ante plutôt que de se retrouver dans un scandale ex post. L’effet réputationnel de celà est désastreux.
Il faut aussi faire aboutir les règles de transparence sur les pratiques des intermédiaires. Qui sont les intermédiaires ? Consultants, avocats, banquiers. Ce ne sont pas toujours ceux-là. Mais quand un de ceux là vend un montage de planification fiscale aggressif à un client, il doit le montrer aux administrations fiscales. Si le schéma est illégal, les administrations pourront engager des poursuites. S’ils sont légaux, mais doivent être rectifiés, il faudra le faire. La transparence n’est pas l’inquisition. Il s’agit simplement de faire connaitre ses activités aux administrations fiscales.
Je pense que nous pourrons trouver un accord là-dessus d’ici 6 mois, mais pour celà il faut pousser les Etats membres pour que cela se matérialise.
Enfin, il faut changer les pratiques des paradis fiscaux, et une première étape vient d’être franchie avec la liste des 17 Paradis fiscaux. Cette liste n’est pas celle de la Commission mais des Etats membres. Il n’y a pas de pays de l’Union dans cette liste, mais il y a des pratiques condamnables dans nos pays. Ne pas dénoncer un pays dans cette liste ne signifie pas que l’on passe l’éponge sur telle ou telle pratique qui ne nous convient pas.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur la fiscalité, fiscalité du numérique ou assiette commune d’impôt sur les sociétés, je suis prêt à le faire”.
Joël Giraud, rapporteur général. “Où en est le projet ACCIS, car l’absence d’une harmonisation totale des règles comptables risque d’entrainer une complication de la mise en œuvre du dispositif ?
Où en est la taxation sur les acteurs de l’économie numérique ? Les rapporteurs des propositions ACCIS ont avancé des pistes, d’autres voies sont étudiées notamment celles de la France sur la taxation du chiffre d’affaires…
Sur les paradis fiscaux, dans cette liste, il ne figure aucune juridiction européenne. Si on regarde réellement les choses, qui a favorisé par un montage de type tunnel la célèbre fiscalité Google ? C’est quand même les Pays-Bas Qui, à l’heure actuelle bénéficie d’une fiscalité spécifique, sans vouloir mettre le doigt sur le Royaume-Uni, il existe quand même l’Isle de Man, Gibraltar (AirBnB). Je me pose des questions sur le fait que la vertu absolue en la matière ne semble pas exister et franchement quelles sanctions sont envisageables ? (…)”
Charles de Courson (LC). “Les îles anglo-normandes, voire la cité de Londres, ne sont-ils pas de vrais paradis fiscaux ?”
Pierre Moscovici. “Sur l’ACCIS, le projet de la Commission est sur la table depuis une année. C’est tout simplement la fiscalité des entreprises du XXIème siècle que nous devons inventer. Nous vivons encore sous celle du XXème, qui est encore très localisée, matérialisée, et pas une économie dématérialisée, délocalisée et mondialisée. On a besoin d’inventer une nouvelle fiscalité des entreprises et l’ACCIS, c’est ça. C’est aussi ce qui permet, je pense, de traiter la fiscalité du numérique. C’est un processus que je n’appellerai pas d’harmonisation fiscale – pour cela il faudrait changer les règles et passer de l’unanimité à la majorité qualifiée, et la Commission y est favorable – mais un processus de valeurs communes, et j’attends de la France qu’elle en fasse un fer de lance. Si la France jette ses forces dans cette bataille, ça donnera un résultat certain. Je termine ce mandat en 2019 et je le ferai avec fierté, si et seulement si, on réussit à aboutir là-dessus, car on aura fait un pas décisif.
Sur le numérique : à mon sens, il y a une dimension internationale – attendons le rapport de l’OCDE – une dimension européenne, et c’est précisément l’ACCIS. Dès lors que l’on peut identifier ce qu’est la présence numérique et qu’on la niche sur l’assiette consolidée, on a, je crois, le meilleur véhicule possible.
Il y a une autre proposition comme celle d’une taxe sur le chiffre d’affaires, la taxe d’égalisation, il y en a encore d’autres… La Commission fera des propositions en mars 2018 et explore aujourd’hui toutes les options, dont celles de « gains rapides ». Mais je mets une condition sur le gain rapide : il ne faut pas qu’elles gagnent sur les mesures structurelles. En matière de TVA, on vit avec un régime temporaire depuis 25 ans qui a créé 50 milliards en fraude à la TVA transfrontière. Il faut que le temporaire soit pensé en lien avec le structurel.
Sur la liste des paradis fiscaux, quand on regarde les critères que se sont donnés les pays de l’Union, il faut la prendre pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un progrès. Les sanctions sont à surveiller. Il faut que les Etats membres arrêtent de sanctions communes et collectives rapidement. Quand on regarde les critères, on aurait aimé qu’ils soient allés plus loin. Dans l’Union, nous ne sommes pas des pays qui ont fait de l’évasion un business modèle. Mais dans la liste grise, les pays que vous évoquez y sont. Jersey et Guernesey y sont. La pression est sur eux.
Sur les montages fiscaux… La législation hollandaise, qui s’appelle CGBV, elle est désormais prohibée par la directive pour la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Mon message au gouvernement néerlandais est simple : vous avez jusqu’à 2020 pour transposer, mais n’attendez pas, faites le tout de suite”.