Alors que les Etats Généraux de l’information vont démarrer en septembre, et que plusieurs propositions de loi d’initiative parlementaire proposent de renforcer l’indépendance des rédactions, l’Observatoire européen du pluralisme des médias 2023, dont les conclusions ont été publiées pendant l’été, fournit un diagnostic – plutôt rassurant de l’état du pluralisme et de la liberté des médias en France. L’indépendance des rédactions reste mieux assurée que chez la plupart de nos voisins (la France se classe 4e des 33 pays étudiés sur cet aspect) et les libertés fondamentales (liberté d’expression, droit d’informer…) bien assurées. Mais l’Observatoire préconise la modernisation des règles sur la concentration, et il met en garde contre l’impact des sites qui ne prétendent pas officiellement être des organes d’information “journalistiques” (mais qui se présentent comme tels) ».
Comme en 2022, la France se place au sixième rang parmi les 33 pays étudiés, en cumul de l’ensemble des domaines même si des efforts doivent porter sur le pluralisme des acteurs du marché et sur l’indépendance politique (entendue de manière large et incluant l’indépendance au regard des détenteurs capitalistiques de l’entreprise de médias). Sans trop de surprise au regard des lois adoptées en Hongrie depuis quelques années, ce pays figure en dernière place du classement au sein de l’UE 27.
Protection fondamentale : un classement en trompe l’œil
C’est dans le domaine de la protection fondamentale que la France apparaît la moins bien classée, mais pour un agrégat sur lequel les « niveaux de risque » que mesure l’Observatoire sont jugés limités dans deux des Etats étudiés sur trois, conduisant à des notes très resserrées : 31% pour la France et 34% en moyenne des 33 pays étudiés. Si l’étude juge que « la liberté de la presse est limitée par quelques exceptions dont les délits contre les personnes (diffamation, injures publiques, droit à l’image, apologie du terrorisme, etc.) » et, parfois, par l’utilisation abusive des dispositions légales sur la protection du secret des affaires, elle estime que « la constitution et l’appareil juridique français garantissent la liberté de la presse, d’opinion et d’expression » et elle souligne les évolutions positives en matière de protection du droit à l’information.
Elle regrette toutefois que « la protection de la confidentialité des sources journalistiques (soit) limitée par un “intérêt public prépondérant” ».
Sur le critère d’indépendance et d’efficacité de l’autorité des médias, la France obtient l’un des 5 meilleurs scores de l’étude (5% contre 24% en moyenne), avec l’Autorité de régulation de l’audiovisuel et de la communication numérique (ARCOM) « autorité publique indépendante, dotée d’un budget propre, de décisions et de procédures de nomination transparentes » et à propos de laquelle l’Observatoire ne relève pas « de cas notable de pression politique ».
S’agissant de l’environnement numérique, en revanche, les experts européens jugent que « l’État a délégué de nombreux aspects et initiatives de blocage et de filtrage de la désinformation ou des contenus illicites aux plateformes privées qui les hébergent (et qu’il) compte sur leur bonne foi pour faire la transparence sur la manière dont elles le font, (alors que) ces grandes entreprises défendent le manque de transparence de leurs algorithmes au nom des lois sur le secret des affaires (et que) la complexité de ces algorithmes fait que très peu ont en réalité les compétences et les connaissances pour les décrypter ».
Indépendance des rédactions : la France en 4e position
Sur les aspects de pluralisme des acteurs des médias, la France, est pénalisée comme l’ensemble de ses voisins, par des niveaux de concentration élevés, des médias traditionnels (scores de 80% pour la France et de 85% pour l’ensemble des Etats étudiés) comme des plateformes numériques (61% et 82%).
Sur la seule dimension de l’indépendance éditoriale des rédactions vis-à-vis de l’influence commerciale et des propriétaires, la France se classe en 4e position parmi les 33 pays étudiés, seulement devancée par l’Allemagne, les Pays-Bas et le Portugal, avec un score de risque de 38%, contre 64% en moyenne.
Et pour l’ensemble des cinq indicateurs pris en compte sur la variable du pluralisme des médias, la note de la France est de 15 points d’écart par rapport à l’ensemble de l’étude (54% vs 69%) et la France se classe 4ème.
L’étude note par exemple que « l’arsenal juridique français garantit un certain degré de transparence en ce qui concerne la propriété des médias (plusieurs) lois imposant la publication de tous les propriétaires directs et indirects/finaux des médias ». Elle regrette toutefois que « la transparence soit souvent limitée à la première strate de l’actionnariat ».
Elle souligne également « qu’il existe un degré élevé de concentration des médias français (mais juge) difficile de faire une évaluation sans équivoque de la concentration pour l’ensemble du secteur », compte tenu de « la diversification limitée des groupes en France dans plusieurs médias ».
Rejoignant les conclusions du rapport IGC-IGAC de 2022 (La concentration dans le secteur des médias à l’ère numérique), l’Observatoire regrette que les « clauses anti-concentration (art. 38 à 41 de la loi de septembre 1986) n’aient pratiquement pas été modifiées en plus d’un tiers de siècle (à l’exception de la télévision numérique terrestre), et que les réglementations anti-concentration concernant la presse écrite se soient avérées incapables d’arrêter la tendance à la poursuite de la concentration oligopolistique ».
L’étude relève en effet que le score de risque de l’indicateur de Pluralité sur les marchés numérique a augmenté de 13 points en un an, à 61%, ajoutant que « la multiplication des sites dits “d’information” et la circulation de l’information (et de la désinformation) à partir de sites et de comptes de médias sociaux situés hors de France qui ne prétendent pas officiellement être des organes d’information “journalistiques” (mais qui se présentent comme tels) créent une opacité supplémentaire. C’est le cas de France Soir, un journal autrefois respectable qui a abandonné sa fonction journalistique en 2019, devenant depuis une plateforme de blogs et se présentant comme une voix alternative et “démocratique” ». Au sein de l’univers numérique, l’Observatoire note également « la tendance au remplacement des journalistes par des algorithmes / ” robots journalistes ” pour traiter les données et les formaliser en bribes d’information, au sein de nombreux médias digital native (Melty, Konbini) ».
L’Observatoire salue encore « que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) enquête depuis 2021 sur les pratiques commerciales des influenceurs » et sur les tromperies qui ont pu être constatées ; Ces travaux ont débouché sur la loi du 9 juin 2023, qui n’avait pu être prise en compte lors de la rédaction du rapport, mais doit contribuer à lutter contre une forme de désinformation (lire sur la plateforme Insight NPA Les influenceurs commerciaux au cœur d’une nouvelle réglementation).
La suppression de la redevance, vue comme un facteur de risque pour l’indépendance politique
Pour la France, « le domaine de l’indépendance politique est celui qui a connu la plus forte augmentation en ce qui concerne l’évaluation des risques (+7 points), expose l’Observatoire européen. Cela est principalement dû à des changements structurels tels que la suppression de la redevance audiovisuelle, qui sont dangereux pour l’indépendance de l’information fournie par l’audiovisuel public. En ce qui concerne le secteur privé, la concentration des médias semble être un élément qui influence significativement l’indépendance politique des médias audiovisuels ».
La France conserve toutefois un score inférieur de 12 points à la moyenne européenne (36% contre 48%).
Sur l’indicateur « Autonomie éditoriale », l’étude note « un risque moyen (63 %), comme dans le rapport précédent », capitalisant sur « une solide tradition de protection des droits des journalistes » (le rapport IGF-IGAC relevait notamment la garantie « exhorbitante du droit commun » que représente pour ces derniers la « clause de conscience »).
Il regrette en revanche « le faible taux de syndicalisation et la tendance des pouvoirs publics à discuter avec les représentants des entités médiatiques plutôt qu’avec leurs employés ».
L’égalité des genres, point faible du domaine « inclusion sociale »
Dans le domaine de l’inclusion sociale, l’Observatoire européen se concentre sur l’accès aux médias par des groupes spécifiques de la société : minorités, communautés locales et régionales, femmes et personnes handicapées. Il inclut également les nouveaux défis découlant de l’utilisation des technologies numériques, qui sont liés à la protection contre la désinformation et les discours haineux.
Sur ce dernier aspect que l’évaluation du risque encourue par la France, se démarque de la moyenne (35% vs 31% pour l’ensemble des variables traitant de l’inclusion sociale).
L’étude relève que « les synthèses du Conseil des ministres sont désormais traduites en langue des signes et que l’État a signé en mars 2021 une charte qui impose la présence d’un interprète en langue des signes pour toutes les communications officielles ». Mais elle salue aussi le Programme d’égalité à 360° de Radio France, la charte pour la promotion de la diversité de France Télévisions ou encore les mécanismes mis en place par la Fondation TF1 pour promouvoir les jeunes travailleurs issus de différents milieux.
« L’indicateur “Égalité des genres dans les médias” présente (en revanche) un risque élevé (44 %, + 14 points) », note l’étude. « Dans son rapport annuel 2021 (publié en juillet 2022), l’ARCOM a souligné le fait qu’il existe toujours une importante sous-représentation des femmes dans les médias audiovisuels français (39%, stable). Le rapport montre également que les femmes sont moins représentées dans les programmes d’information (40%) alors qu’elles semblent légèrement plus présentes dans les programmes de divertissement (42%) ».