La commission Affaires juridiques du Parlement européen a publié, la semaine dernière, le projet de rapport de Jean-Marie Cavada (ADLE) sur la proposition de règlement visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur. Ce règlement doit par exemple permettre à un résident habituel français abonné à un service de contenu en ligne légalement acquis en France de continuer à y accéder lorsqu’il se trouve temporairement dans un autre pays de l’Union européenne. Les membres de la commission JURI peuvent désormais amender ce rapport et l’examineront dès le 12 juillet prochain. Il sera ensuite présenté en session plénière.
Trois commissions parlementaires associées sur le texte
La proposition de règlement visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur a été présentée le 9 décembre 2015, dans le cadre de sa stratégie pour un « Marché unique numérique ». Le dossier a été transmis à la commission du Marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) le 21 janvier 2016. Lors de la Conférence des présidents des commissions du 24 février, la compétence au fond a cependant été allouée à la commission Affaires juridiques (JURI), la commission IMCO étant associée (article 54 du règlement du Parlement européen) sur l’ensemble du texte.
Revendiquant aussi sa compétence, la commission Culture (CULT) a demandé à être associée à la procédure, ce que la commission IMCO a refusé. La commission JURI a donc proposé de limiter sa compétence en tant que commission associée aux articles 2(e) et 4 du règlement, dans la mesure où ils concernent la directive « SMA ».
Sabine Verheyen[1] (EPP), rapporteure pour la commission Culture, a présenté son projet d’avis dès le 4 avril. La commission a amendé et adopté cet avis le 21 juin dernier. Les amendements aux articles qui relèvent de sa compétence seront acceptés sans vote par la commission Affaires juridiques.
De son côté, Jean-Marie Cavada, rapporteur pour la commission Affaires juridiques, a déposé son projet de rapport le 21 juin, comprenant 41 amendements au texte proposé par la Commission européenne.
Pas de limite temporaire spécifique au droit à la portabilité
Partageant l’avis de la Commission européenne sur ce point, Jean-Marie Cavada considère qu’il n’y a « pas lieu de limiter le séjour de l’abonné dans un Etat membre autre que son Etat membre de résidence à un nombre de jours spécifiques ». Il souhaite, au contraire, que le règlement « profite au plus grand nombre d’européens qui se déplacent pour des durées plus ou moins longues dans l’Union, pour des motifs de loisirs, d’affaires, ou d’études notamment ». Les étudiants sur des cursus Erasmus, par exemple, pourraient donc bénéficier de la portabilité de leurs services de contenu en ligne pendant toute la durée de leur programme.
Le rapporteur souhaite cependant clarifier la distinction entre portabilité transfrontalière, disponible pour les abonnés d’un service de contenu en ligne présents temporairement dans un Etat membre autre que son Etat membre de résidence, et le concept d’accès transfrontalier, « lequel ne relève en aucune manière du champ d’application du présent règlement » (amendement n°11).
Une fiction juridique pour respecter la territorialité des droits
Jean-Marie Cavada précise que le règlement devrait satisfaire la demande d’accès en portabilité à des services de contenu en ligne de tout abonné séjournant de manière transitoire dans un Etat membre autre que son Etat membre de résidence « tout en veillant à respecter le principe de territorialité, indispensable au bon développement et au financement pérenne du secteur audiovisuel et cinématographique européen » (amendement n°9). Pour ce faire, une fiction juridique est créée pour éviter de porter atteinte aux règles de droits d’auteur dans les autres Etats membres.
En effet, comme prévu par le 20ème considérant du règlement, « la fourniture, l’accès et l’utilisation de ces services de contenus en ligne sont réputés avoir lieu dans l’Etat membre de résidence de l’abonné » lorsqu’il bénéficie du droit à la portabilité. Le rapporteur propose cependant de préciser que ce mécanisme juridique « ne devrait pas empêcher un fournisseur de contenu en ligne d’offrir à son abonné temporairement présent dans un autre Etat membre un service de contenu en ligne qu’il propose légalement dans cet Etat membre » (amendement n°16). Le droit à la portabilité ne portera donc pas préjudice aux abonnés qui souhaiteraient bénéficier du catalogue proposé localement par le service de contenu en ligne, qui auront au contraire le choix entre deux offres.
Vérifier l’Etat de résidence de l’abonné en respectant son droit à la protection des données personnelles
Si la Commission européenne souhaite permettre « aux titulaires de droits d’exiger que le fournisseur de services mette en œuvre des moyens efficaces pour vérifier que le service de contenu en ligne est fourni en conformité » avec le règlement, le rapporteur estime que ce dernier devrait obliger les fournisseurs de services de contenus en ligne à mettre en œuvre ces moyens de vérification (amendement n°19).
Le rapporteur propose également une liste semi-ouverte de critères de vérification de l’Etat membre de résidence de l’abonné (amendement n°35). Il considère que celle-ci « permet d’apporter une sécurité juridique suffisante aux ayants-droits sans pour autant laisser échapper aux fournisseurs le choix des critères de vérification les mieux adaptés à leur marché, à condition qu’ils apportent le même niveau de sécurité que ceux inclus dans la liste ».
Par ailleurs, M. Cavada propose d’insérer un nouveau considérant (amendement n°20) qui prévoit que lorsque le fournisseur de services de contenu en ligne a des doutes justifiés quant à la résidence habituelle de l’abonné, il devrait être habilité à procéder à des contrôles aléatoires ou bien à demander à l’abonné de fournir, sur une base volontaire, des informations ou preuves complémentaires ». Si l’abonné refuse, le fournisseur pourra lui interdire la portabilité.
Enfin, une fois la vérification de l’Etat membre de résidence de l’abonné établie au moment de la souscription, M. Cavada estime que les critères de vérification devraient pouvoir inclure « un contrôle aléatoire de l’adresse IP, à condition que ce contrôle n’induise pas une géolocalisation précise de l’abonné (…), mais qu’il consiste en un simple signalement des occurrences de la consultation des services de contenu en ligne par l’abonné hors de son Etat membre de résidence », ajoute-il (amendement n°21).
[1] Egalement co-rapporteure sur le projet de révision de la directive « SMA »