- Gilles Pélisson, Président directeur général de TF1
- Nicolas de Tavernost, Président du directoire de M6
- Delphine Ernotte, Présidente de France Télévisions
- Jean-Christophe Thiery, Président du groupe Canal +
- Pierre Conte, Président directeur général de GroupM France et Président de l’UDECAM
- Christophe Thoral, Président de Lagardère Studios
- Matthieu Tarot, Producteur délégué d’Albertine Productions
Gilles Pelisson, Président directeur général de TF1
Gilles Pelisson a débuté son intervention en rappelant que TF1 est un maillon essentiel dans la création de contenus, dont le nombre ne fait qu’augmenter. Selon lui, le défi à l’horizon 2022 est de suivre les évolutions dans la technologie, et de s’émanciper du linéaire.
Il fait valoir qu’avec l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché des contenus, comme les GAFA mais également les opérateurs télécoms, qui disposent de moyens considérablement supérieurs à ceux des chaînes, le modèle traditionnel est chamboulé. Il est donc nécessaire de « réinventer les modèles économiques », en accentuant sur la production et la diffusion multi-chaînes et multimédia.
Limiter les contraintes réglementaires des acteurs du secteur
Comme entrave à l’activité des chaînes, il évoque notamment la réglementation qui bloque les capacités de financement disponibles pour une chaîne. Par exemple, les financements de groupe sont interdits, seuls les financements par chaîne sont autorisés. « Autoriser ces modes de financement est indispensable », estime-t-il.
De même, l’interdiction de la publicité pour le cinéma est selon lui « une aberration », compte tenu de l’importance du financement du cinéma par les chaînes. L’interdiction d’une troisième coupure de publicité sur les films longs en est un autre exemple.
Il rappelle qu’il est demandé avec insistance aux chaînes et autres acteurs de faire évoluer la chronologie des médias. Selon lui, il sera possible de parler de la modernisation de la chronologie des médias si l’on facilite les capacités de financement des chaînes.
Soumettre les acteurs concurrents aux mêmes obligations
Pour Gilles Pellisson, l’un des problèmes majeurs du marché est que la distorsion fiscale entre les GAFA et les chaînes rend la concurrence totalement inégale. Il s’inquiète d’une détérioration de cette situation si l’Etat n’aide pas les chaînes et entreprises de médias dans l’ouverture de la télévision au numérique.
Nicolas de Tavernost, Président du directoire de M6
Pour la participation des télécoms à la rémunération des chaînes
« Notre modèle économique évolue de façon permanente. Nous n’avons plus de monopole de l’entrée de l’image chez les français. Le monde des télécoms s’est invité de manière très forte dans celui de la télévision », constate Nicolas de Tavernost.
Il évoque à ce titre la bataille commune qu’il mène avec TF1 au sujet de la distribution : l’obtention d’une rémunération des opérateurs de télécommunications.
Il rappelle également le soutien inconditionnel du groupe M6 aux initiatives prises sur l’OTT et annonce de nouveaux services à venir prochainement sur la chaîne.
Favoriser l’entreprenariat et la dérégulation
Interrogé sur ce qu’il attend du nouveau quinquennat, Nicolas de Tavernost répond qu’il souhaite pouvoir exercer librement son métier d’entrepreneur. Il regrette la profusion de règles qui empêchent les chaînes d’adapter leur modèle à la nouvelle donne mondiale.
Il plaide à ce titre pour la suppression des jours interdits de cinéma, en concédant que des efforts devront être faits de la part des chaînes sur la chronologie des médias.
Il salue par ailleurs les mesures prises récemment par le Gouvernement relatives à la libéralisation du parrainage à la télévision.
Il déplore cependant la création d’une taxe sur la publicité sur le replay : « Pourquoi y aurait-il une taxe CNC sur le visionnage en replay à la télévision alors qu’il n’y en a aucune pour la publicité présente sur YouTube ? » questionne-t-il.
Delphine Ernotte (présidente de France Télévisions)
Quels objectifs pour le prochain quinquennat ?
Elle fixe deux objectifs à l’audiovisuel public :
- Augmenter le nombre d’heures produites, via le Plan création de France Télévisions, sachant qu’aujourd’hui, la France produit 600 heures de contenus chaque année, contre 2000 en Allemagne.
- Rechercher de nouveaux moyens de financement: il s’agit pour elle d’entamer des actions concertées entre acteurs pertinents pour viser les exportations à l’internationale. « Explorons le pacifique ! » s’exclame-t-elle.
Delphine Ernotte juge nécessaire de réfléchir avec le nouveau Ministère de la Culture et de la Communication sur l’avenir de la télévision publique, dans 10 à 20 ans. Peut-elle vivre seule ? Faut-il accroitre les alliances ? Comment s’y prendre pour augmenter la création de contenus ?
Un new deal dans les médias
Elle voit se dessiner la possibilité d’un « new deal » dans le domaine des médias : le gouvernement doit déréguler le secteur, tout en l’accompagnant dans la transformation numérique.
Au cours de la vaste opération de rencontre des téléspectateurs, la présidente de France Télévisions s’est rendu compte de la relation réellement intime qu’ont les téléspectateurs avec la télévision. Pour maintenir ce lien, soutient-elle, il faut insister sur la production de contenus et les transposer au numérique, d’où l’initiative, chez France Télévisions, de la plateforme France.tv. Elle enjoint les autres patrons à poursuivre le développement de l’offre légale, qui reste pour elle le meilleur moyen de lutter contre le piratage.
Jean-Christophe Thiery, Président du groupe Canal +
La défense de l’exception culturelle française
Regrettant qu’aucun groupe français ni européen ne figure parmi les leaders mondiaux de l’internet et des médias, Jean-Christophe Thiery place la défense de l’exception culturelle française au cœur des enjeux du prochain quinquennat. « La bataille n’est pas perdue, la France et l’Europe peuvent devenir leaders ».
« Fin 2017, Netflix aura produit 1 000 heures de fictions originales, soit un tiers de plus que l’ensemble de la production française annuelle », déplore-t-il.
Pour changer la donne, l’Etat doit, selon lui, « libérer les énergies créatrices de valeur et mettre fin à un certain nombre de règlementations, aujourd’hui inadaptées ».
La mise en place d’un système d’amende pour lutter contre le piratage
Autre enjeu du quinquennat : la lutte contre le piratage. Il regrette que Canal+ perde 500 000 abonnés chaque année à cause du piratage. Pour endiguer ce phénomène, il attend des pouvoirs publics la mise en place d’un système d’amende, sur le modèle de ce qui existe en Allemagne.
Pierre Conte (Président directeur général de GroupM France et Président de l’UDECAM)
Déréguler le marché publicitaire pour susciter l’investissement
Sur les trois derniers quinquennats, Pierre Conte relève un élément « extraordinaire » du point de vue de la publicité en France : en 2001, quand l’Angleterre était à l’indice 100 de l’investissement publicitaire par habitant, la France était à l’indice 86 ; en 2016, la France est désormais à l’indice 53. A titre comparatif également, « l’Allemagne a fait beaucoup mieux », rappelle Pierre Conte. Il en tire la conclusion qu’avant de se disputer la répartition des investissements, « il faut d’abord susciter l’investissement ».
Pour cela, Pierre Conte estime qu’il est absolument nécessaire de « déréguler » et de réduire les normes et les contrôles « qui plombent les marqueteurs français ». Selon lui, les annonceurs ont besoin de médias forts et les agences médias seront donc à la défense des médias traditionnels européens sur un sujet qui « dépasse le simple échelon national aujourd’hui ». Les annonceurs ont besoin de médias forts pour deux raisons : « faire un contrepoids significatif aux GAFA, et car les grands médias ont toujours et continueront à vouloir dire un contexte de qualité et de sécurité ».
Pour ce nouveau quinquennat, Pierre Conte espère que le gouvernement fera « respirer les choses », permettra un retour aux investissements, et que les agences médias, à côté des pouvoirs publics, assureront « une équité commerciale de devoirs et droits des grands médias, y compris les GAFA ».
Le numérique est transfrontière
Pierre Conte relève la jeunesse, la vision européenne et la maîtrise de la langue anglaise du nouveau Président de la République. « Jeune ça veut dire vite : on a passé 20 mois à discuter l’amendement de la loi Macron sur le numérique, il faut aller plus vite », estime le PDG de GroupM France. Il faut aussi envisager une vision du numérique qui dépasse l’échelon national, « car le digital est transfrontière ». Enfin, il faut « comprendre la réforme de la data pour mai 2018 », avec l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données personnelles, et potentiellement, le Règlement « vie privée et communications électroniques ».
Christophe Thoral (Président de Lagardère Studios)
Christophe Thoral, Président de Lagardère Studios, rebondit sur les propos de Nicolas de Tavernost sur le retard que prend la France dans la production de contenus par rapport à ses voisins européens. « Le marché espagnol s’est constitué sur un paradigme différent de celui qui a guidé les évolutions de l’environnement français ces dernières années. Les diffuseurs, qui avaient de grosses entités de production, ont fait des économies en externalisant la production. Beaucoup de producteurs se sont ainsi développés. De plus, l’Espagne permet de produire moins cher ».
Il poursuit : « les producteurs sont un rouage essentiel de l’écosystème audiovisuel. Ils sont complémentaires aux entreprises de diffusion car ils prennent des risques dans la création ». Il estime que pour faire émerger des champions français de la diffusion et de la production, le marché français doit retrouver une dynamique.
Plutôt que d’exception culturelle, Christophe Toral préfère parler de « conquête culturelle ». Constatant que « toutes les fictions à succès depuis 6 mois/1 an sont des fictions françaises », il considère qu’on « se protège en réalisant des contenus meilleurs que les autres ».
« Nous devons trouver les moyens de monter en puissance et en volume sans abandonner la qualité », rappelle-t-il. Ainsi, « toutes les évolutions réglementaires qui peuvent soutenir les diffuseurs vont dans le bon sens ». Enfin, sur ce point, il évoque la nécessité d’engager une réflexion sur la question des heures de grande écoute.
Matthieu Tarot (Producteur délégué d’Albertine Productions)
L’élection d’Emmanuel Macron apporte de l’espoir
L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République apporte de l’espoir à Matthieu Tarot : « on se dit que les choses peuvent changer, que tout à coup il peut y avoir les déblocages, que l’on va nous aider davantage à entreprendre, à prendre des risques ». Il a rappelé que les producteurs sont parfois dans des situations fragiles, « seuls à croire » en leur projet avant de convaincre les partenaires et diffuseurs. Le nouveau quinquennat doit permettre aux producteurs de se sentir « accompagnés dans l’audace ».
Un point essentiel selon Matthieu Tarot pour les cinq prochaines années : la lutte contre le piratage.
L’importance des relations producteurs – diffuseurs
Selon le producteur, « l’époque change » et les nouveaux entrants sur le marché ont des comportements différents. Il ne s’agirait pas d’aller « taper sur TF1 et M6 », mais plutôt de les convaincre que le risque doit être partagé. « Il faut remettre l’humain au cœur des choses », estime-t-il. Malgré les fantasmes sur la profession de producteurs, « il y a de l’amour comme des moments très difficiles ». Finalement, les producteurs « ont besoin de se sentir aimés », rappelle Matthieu Tarot. Sur la relation entre producteur et diffuseur, il faut que les producteurs soient « de temps en temps réconfortés ».
En contrepartie, les producteurs travaillent pour fournir « le plus beau catalogue possible ». « Le box-office c’est la valeur en salle, sur les antennes, ça nous importe énormément. Quand on fait un mauvais résultat, on se sent mal devant les diffuseurs ».