Catherine Nayl, Directrice de l’information de France Inter
Catherine Nayl estime qu’il faut sortir du débat des fake news et partir du postulat qu’il s’agit de toute l’information, rien que l’information, expliquée et contextualisée. « Il faut revenir à nos fondamentaux ». Le problème serait la finalité du fact checking qui est d’essayer de faire comprendre avec des critères rationnels à des lecteurs, auditeurs, qu’une information n’est pas toute la vérité. « Il faut approcher une vérité que les gens puissent admettre et puissent percuter leur vérité ». D’où l’importance répétée de l’éducation aux médias pour apprendre, dès le plus jeune âge à se faire sa propre opinion.
La question adjacente est celle des moyens. En effet, Catherine Nayl estime cette question primordiale : « au sein du service public, et notamment Radio France, avec 600 journalistes, avec des accords internationaux, il est plus facile d’être présent partout dans le monde, pour être dans la réalité du témoignage ». Mais les restrictions budgétaires actuelles forcent les groupes audiovisuels à resserrer les rédactions présentes à l’étranger. Par ailleurs, les auditeurs et téléspectateurs du service public sollicitent de plus en plus d’investigation, ce qui demande des budgets et des moyens plus conséquents, dont la solution serait de mieux unir les journalistes (par les consortiums de journalistes).
Concernant les élections européennes, sur l’antenne de France Inter, plusieurs modules existent mais l’élément fondamental est de donner un maximum d’information, une pluralité d’idées sur les antennes, en proposant à la fois des entretiens avec des intellectuels européens, des propos « fact checkés » et des délocalisations : « nos auditeurs ont besoin d’avoir le contexte et des reportages de terrain pour comprendre ce bloc de pays ». Ils se sentent très concernés lorsqu’une thématique Europe est proposée à l’antenne : régulièrement France Inter propose de consacrer sa tranche 18h/20h à l’Europe dans laquelle les auditeurs s’expriment et posent leurs questions sur les sujets européens.
Emmanuel Kessler, Président-directeur général de Public Sénat
La prolification des fake news interroge Emmanuel Kessler sur le rapport au temps et la « tyrannie de l’urgence ». Avec la chaîne Public Sénat, il estime avoir la chance d’être dans un média du temps long : « il y a un besoin de plus en plus fort pour cette prise de distance » et prend en exemple le succès des documentaires, sur sa chaîne notamment (succès du documentaire Ascoval, la bataille de l’acier). Les enjeux européens doivent être expliqués dans le temps, avec une seule contrainte, celle de donner les clés de compréhension de l’actualité.
Concernant le fact checking, Emmanuel Kessler le considère comme indispensable, mais appauvrissant le journalisme s’il ne se réduit qu’à cela : « Le fact checking est important mais il peut laisser croire qu’il n’y a qu’une approche binaire des sujets et questions. Il est important de développer une pédagogie de la complexité du traitement médiatique pour informer les citoyens ». Il insiste sur la nécessité de prendre ses distances avec la masse d’informations : « le récit sur le temps long est capital », ce qui précise-t-il n’est pas incompatible avec la recherche de l’audience, et le succès de nombreux documentaires le prouvent selon le président de Public Sénat.
Emmanuel Kessler estime que les fake news sont une opportunité de montrer l’importance du métier de journaliste : « plus on rentre dans l’univers numérique, plus le monde devient difficile à cerner, et plus il est important de revenir aux fondamentaux de notre métier ». Il précise les deux voies possibles selon lui qui permettront de remettre le journalisme au cœur des contenus et sur le terrain :
- Multiplier les partenariats, à l’image de l’émission Demain l’Europe coproduite avec France 24 ou encore Audition publique, en partenariat avec Le Figaro.
- Faire baisser les coûts de production.
Concernant la confiance des Français dans les médias, Emmanuel Kessler rappelle l’attachement et la confiance « plutôt positive » des Français à l’égard du service public, son indépendance éditoriale et son respect du pluralisme et donc un attachement à ce qu’il conserve ses moyens. Ce qui selon lui est positif face à la situation dans d’autres pays européens (Hongrie, Italie par exemple).
Emmanuel Kessler conclut sur une citation à propos de la nécessaire curiosité des journalistes et sur la nécessité de mettre en.
Alexis Brezet, Directeur des rédactions du groupe Le Figaro
En préambule de son intervention, Alexis Brezet rappelle qu’il faut prendre la notion de fake news avec précaution. Il confirme leur existence, celles-ci étant souvent produites par des officines commerciales, parfois des militants et plus rarement des Etats. Mais il avertit sur le piège que serait l’explication de tous les maux de la démocratie par les fake news, que ce soit l’élection de Trump ou le Brexit. La fake news ne doit pas empêcher le traitement médiatique des véritables situations reportées par les journalistes sur le terrain.
Il continue en s’inquiétant d’une chronologie qui semble se mettre en place, à savoir la production d’informations sur les réseaux sociaux en premier lieu, suivie par leurs vérifications par les médias traditionnels. Il rappelle ainsi que le rôle originel du journaliste est de produire des « true news », notamment en allant sur le terrain, et non de vérifier l’information produite par d’autres, particulièrement celle créée sur les réseaux sociaux. Selon lui, les scoops doivent avant tout venir des médias après un travail journalistique sur le terrain, pouvant parfois mettre des mois à être finalisé. Mais cela demande d’accorder beaucoup de moyens, notamment financiers, aux médias. Ainsi, seuls le professionnalisme et l’exigence journalistique redonneront la confiance des citoyens envers les sociétés de presse.
Interrogé sur la nouvelle temporalité de l’information du fait de l’instantanéité des réseaux sociaux, Alexis Brezet opère une distinction selon les supports du Figaro : avec le site Internet la temporalité doit être très courte, tout en gardant ce savoir-faire de production d’informations vérifiées et de qualité, quitte à perdre quelques minutes pour cela. Quant au journal quotidien, il a progressivement évolué, développant une prise de distance avec l’actualité instantanée pour davantage présenter des enquêtes et reportages au long cours, développant ainsi une analyse qui est habituellement l’apanage des magazines hebdomadaires.
Suite à l’adoption des directives Droit d’auteur et Droits voisins, Alexis Brezet estime que les médias doivent rester unis pour faire face à la pression exercée par les GAFA et obtenir une rémunération convenable, rappelant à l’occasion que, sans les contenus produits par les médias, « les GAFA ne seraient rien ». De plus, il estime que les gouvernements doivent soutenir les médias dans ce combat qui, en plus d’effets financiers positifs, assurera la pérennité et l’indépendance de la presse dans le futur.
Fabrice Fries, Président de l’AFP
A propos de la dichotomie de la profession quant au rôle des journalistes face à la fake news, entre ceux qui réalisent du fact checking et ceux qui produisent de l’information, Fabrice Fries explique que le changement de posture de l’AFP à ce sujet a eu lieu à partir de l’élection de Donald Trump et du Brexit. L’agence s’est alors organisée en créant un service de 40 journalistes spécialisés pour débusquer les fake news, travaillant dans 25 pays et en partenariat avec Facebook. Mais il rappelle que cette activité ne doit pas masquer le rôle principal de l’AFP qui est de produire et décrypter de l’information.
Interrogé sur le changement qu’ont instauré les réseaux sociaux dans la production et la circulation de l’information, Fabrice Fries estime qu’en plus de l’accélération de la temporalité, les réseaux ont changé les privilèges accordés aux agences de presse. Auparavant, celles-ci bénéficiaient des privilèges d’exclusivité et d’ubiquité, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. En revanche, les agences peuvent toujours se prévaloir du privilège de la fiabilité et de la vérification d’où l’importance du fact checking qui représente aussi un travail journalistique. Les réseaux sociaux deviennent alors une concurrence vis-à-vis de l’AFP mais aussi parfois une source de scoops.
Afin de redorer le blason des différentes marques médias, Fabrice Fries part du postulat que l’information de qualité est une denrée rare et que les médias doivent donc remettre des moyens sur le terrain. Il prend ainsi l’exemple de certains grands médias français qui ne disposent même plus de correspondant à Bruxelles pour traiter au quotidien les questions européennes. De plus, il tire le constat que le fact checking est un excellent moyen pour rajeunir l’audience.
Interrogé enfin sur l’adoption des directives européennes sur le droit d’auteur et les droits voisins, Fabrice Fries précise qu’elles ont été adoptées notamment avec en toile de fond la paupérisation des salles de rédaction et la diminution du nombre de journalistes. Leur transposition dans le droit français doit donc être exemplaire et ambitieuse, afin qu’elle assure une meilleure rémunération des médias en Europe face aux géants du web. Il constate également que les GAFA ont récemment pris conscience de la nécessité d’une information vérifiée et de qualité, qui, de sa rareté, devient attractive.