Alors que le projet de loi pour une république numérique est en discussion au Sénat, dont l’article 43 stipule l’obligation de rendre accessibles les services téléphoniques, La Fédération Française des Télécoms organisait ce 12 avril un événement intitulé « Accessibilité des services de communication : construire des solutions nouvelles pour les personnes handicapées ». Une occasion pour faire le point sur les solutions existantes et à venir dans le domaine de l’accessibilité mais aussi pour annoncer le lancement d’un grand appel à projet sur cette thématique organisé par la Fédération Française des Télécoms et ses partenaires.
En introduction, Didier Casas, président de la FFTélécoms, réaffirme non seulement le rôle central que jouent les opérateurs pour lutter contre l’exclusion des personnes handicapée vis-à-vis du numérique, mais aussi leur forte volonté d’être des acteurs de premiers ordre dans l’innovation technologique au service de toutes les formes de handicap. En témoigne la charte d’engagement volontaire élaborée dès 2007 par la FFT et signée par ses membres, qui garantit notamment l’accessibilité des sourds à leurs services de relation clients. Les opérateurs soutiennent la complémentarité des solutions, centre relais télécom (CRT) et solutions innovantes, pour faire face à la diversité des situations de handicap, tel que le projet de loi voté à l’Assemblée Nationale le stipule. Dans ce cadre, les opérateurs sont prêts à mettre à disposition les outils dans un délai de 2 ans au lieu des 5 prévus par le texte.
Accessibilité : pluralité des solutions
La première table ronde présente plusieurs initiatives pour faciliter l’accessibilité des services de communication :
Les CRT qui permettent une prise en charge de l’appel par un opérateur via transcriptions écrites simultanées, vidéo… Cette solution a été testée par plusieurs opérateurs, mais le principal frein à son développement reste sa demande forte en ressources humaines qualifiées formées pour prendre le relais de l’appel et interagir avec des personnes en situation de handicap. Malgré cette problématique, les CRT sont pour Anne Madec, membre de la Fédération Nationale des Sourds de France, la seule solution envisageable, attendue par les sourds depuis longtemps Elle précise que ces centres ne concernent pas uniquement les personnes en situation de handicap, mais également tout utilisateur souhaitant joindre une personne handicapée. Pour elle, la création d’un service universel permettrait de répartir la charge de développement entre les opérateurs, et serait la solution pour un déploiement à grande échelle.
Mais des solutions alternatives existent sur le marché. Sabine Lobnig, Directrice adjointe Communication et Réglementations du Mobile Manufacturers Forum, présente GARI (Global Accessibility Reporting Initiative), une base de données accessible gratuitement sur le web qui recense et décrit les modèles de téléphones, les fonctionnalités et les applications accessibles. Cette base a été créée à l’initiative des constructeurs, pour guider les consommateurs dans le choix du terminal le plus adapté à leur handicap. Elle est mise à jour tous les 18 mois via un suivi des fonctionnalités effectué par un collège de professionnels et d’associations, et recense aujourd’hui plus de 1 100 modèles de téléphones.
Autres initiatives, Acceo qui permet la prise de rendez-vous pour des personnes malentendantes, et Tadeo, solution de communication entre personnes sourdes ou malentendantes et personnes entendantes dans l’univers professionnel, sont présentées par leur Président Hervé Allart de Hees. Pour lui, il convient de distinguer trois problématiques dans l’accessibilité : l’accessibilité dans le domaine professionnel, l’accessibilité aux établissements (prise de rendez-vous ou de renseignement) et l’accessibilité interpersonnelle. Sa société s’est dans un premier temps attachée à proposer des solutions dans les deux premiers domaines, basées sur l’humain. Même si l’intelligence artificielle a fait d’énormes progrès en 10 ans, ses résultats restent en-deçà des interactions humaines et seule une forte volonté du législateur permettra, en France, de développer ce type de solutions.
Avec RogerVoice , Olivier Jeannel propose quant à lui une solution entièrement automatisée pour la communication interpersonnelle. Le Directeur général de la start-up pense que l’humain et la technologie ne doivent pas s’opposer mais venir se compléter. Un écosystème mondial autour de solutions d’accessibilité est mis en place qui permet un foisonnement d’initiatives et même si la technologie demande encore un effort pour être totalement efficace, les progrès sont de plus en plus rapides.
Des solutions futures qui combineront l’humain avec plusieurs technologies
Au sein du LIMSI (Laboratoire d’Informatique pour la Mécanique et les Sciences de l’Ingénieur) dépendant du CNRS, la Directrice de recherche Annelies Braffort réussi à modéliser et traiter automatiquement la langue des signes française (LSF), grâce à un travail de synthèse automatique à partir de ressources vidéos. L’objectif est de pouvoir comprendre une personne utilisant la LSF devant une webcam et d’interagir avec elle par le biais de texte, et inversement de transformer des phrases parlées en LSF mimée par un avatar. Malgré « le manque de ressources-exemples pour enrichir les modèles », le laboratoire réussi à mettre en œuvre des systèmes pouvant synthétiser des phrases prédéfinies, avec des « trous ». A l’exemple de la SNCF qui expérimente des panneaux affichant des informations sur le trafic en LSF via un avatar : « Le train numéro ### en provenance de ### arrivera avec ### minutes de retard quai numéro ### ».
Pour Sébastien Philippe, dont la société Séquéris, initialement spécialisée dans la détection et l’interprétation de mouvements et de formes (visage, main, doigts), souhaite se développer dans les solutions d’accessibilité, c’est via le couplage des technologies que les solutions les plus innovantes arriveront à court ou moyen terme sur le marché. On peut par exemple imaginer doubler la reconnaissance automatique par caméra avec l’utilisation d’un gant gyroscopique pour traduire en direct le langage des signes.
IBM travaille de son côté sur la mise en place de standard de développements notamment au sein du W3C. L’approche se base sur le développement de services autour Watson, produit d’intelligence artificielle de la firme. Ainsi, IBM met à disposition de la communauté des outils et espaces de développement pour faciliter la mise en œuvre de solution d’accessibilité. Jean-Louis Carvès, Responsable du programme Diversité & Inclusion chez IBM France, indique que la société a tout d’abord travaillé à la mise en place de solutions internes pour favoriser l’intégration des personnes handicapées, notamment via des solutions de sous-titrage à la volée de visio-conférences. Sur ce sujet précis, des tests sont en cours permettant de reconnaître automatiquement les différents interlocuteurs et ainsi de différencier les participations pour rendre les conversations plus compréhensibles. Autre initiative en cours, Chieko Asakawa (qui avait développé le projet Homepage Reader cheaz IBM Japan) travaille actuellement à la vocalisation automatique des expressions corporelles.
Enfin, pour Kiran Kaja, Responsable du programme technique de Google, la reconnaissance vocale et gestuelle, tout comme l’intelligence artificielle, sont très importantes pour les géants du Web afin d’apporter toujours plus de confort et de services à leurs utilisateurs. Ces technologies, clés pour l’accessibilité, devraient donc progresser rapidement. Déjà, Google intègre de multiples fonctionnalités : sous-titres automatisés dans YouTube, Google voice pour la transcription vocale d’email, fonctionnalités d’accessibilité de l’OS Android, dont notamment la loupe…
Un appel à projet pour aller plus loin dans la démarche
Afin d’aller plus loin dans cette démarche collective de développement de solutions innovantes d’accessibilité, La FFTélécoms et ses partenaires ont décidé de mettre en place un appel à projets sur ce sujet, doté de 40 000€. Il est ouvert « aux laboratoires de recherche, PME et startup, afin de faire émerger rapidement des solutions innovantes et porteuses d’avenir, pour l’accessibilité à la téléphonie des personnes sourdes et malentendantes ». Les participant ont jusqu’au 13 mai prochain pour déposer leur dossier sur le site de la fédération, où l’ensemble des modalités sont consultables.