Stratégie numérique européenne
En tant que président du Conseil National du Numérique, Benoit Thieulin explique la démarche à l’origine de la consultation lancée le 4 octobre dernier par le Premier ministre. Celle-ci répond au fait que l’on voit se multiplier les décisions, les projets de loi dans le domaine numérique, sans jamais que les principaux concernés soient consultés, bien qu’ils aient des idées à proposer. Selon lui, au moment où une nouvelle Commission s’installe, la France et l’Allemagne doivent prendre des initiatives pour nourrir une vraie stratégie numérique européenne. Sur la stratégie numérique de la Commission européenne du 6 mai dernier, il estime qu’il y a une inflexion, notamment sur le sujet des plateformes. Mais il ajoute que les attentes restent fortes, on a envie que la stratégie aille plus loin et plus vite, dit-il. Il faut aussi réfléchir à ce qui se passe over the top (OTT), et cela passera par la loyauté des plateformes. Le droit de la concurrence ne répond pas à ces questions. Il faudrait, selon lui, conduire une réflexion stratégique en amont d’une politique publique en Europe. On reste dans une logique de guichet, la Commission européenne se tourne vers le marché mais sans donner une véritable direction à ses aides financières. L’Europe doit faire des choix, qu’elle doit porter sur l’innovation. Un sujet doit impérativement être traité, selon Benoit Thieulin, par la Commission : la neutralité du net
Financement de l’innovation
Marie Ekeland, Présidente de France Digital, met en avant la nécessité d’assurer un niveau d’ambition élevé pour les start-up françaises. Cela passerait, selon elle, par la création d’un « pont » vers les Etats-Unis car c’est là que les sorties boursières et technologiques se font. En France, on dispose peu de ces fonds-là. Ils sont pourtant indispensables pour créer des « champions du numérique », car ils permettent de donner plus de temps aux entreprises et de faire patienter les investisseurs.
Elle pointe du doigt un autre volet important de la stratégie numérique européenne : l’investissement cross border.
Paul François Fournier, directeur de Bpifrance, revient lui aussi sur la nécessité de « créer un pont » avec les Etats-Unis et ajoute qu’il faut continuer à mettre en marche une dynamique publique pour accompagner la transition numérique des start-up. Mais il faut aussi aider l’initiative privée, ajoute-il.
Il est nécessaire, à côté des nombreux moyens mis à disposition par la puissance publique, de faire plus d’effets de leviers sur le secteur privé.
Il est néanmoins satisfait du fait qu’un tissu d’entrepreneurs, qu’une dynamique de l’innovation soit en train de se créer au sein de l’Union européenne. Pour que le capital-risque devienne un marché numérique, il faut que les fonds puissent faire des sorties. Si les groupes américains souhaitent acheter des nouveaux modèles économiques, pourquoi les groupes européens ne sont-ils pas tentés d’acheter ce genre de modèle ? Paul François Fournier invite donc les groupes européens à rentrer dans cette logique.
Jean-Christophe Lecosse, directeur général du Centre national RFID, précise, quant à lui, comment le CNRFID participe au financement de l’innovation. On a développé une plateforme d’expérimentation et d’usage, dans le domaine industriel, pour transposer l’usage grand public vers l’industrie, explique-t-il. L’enjeu est de transformer cela en retour sur l’investissement, afin de sensibiliser les acteurs et de trouver des sociétés avec une culture, une histoire. Il ajoute que cet écosystème s’organisera autour des objets connectés. Selon lui, ce qui manque dans l’innovation c’est l’aide à la mise en valeur des solutions. Trop souvent les financements proposés sont des financements techniques qui n’aboutissent pas à une mise sur le marché.
Régulation de l’innovation
Maitre Florence Guthfreund-Roland, avocate chez DLPA Piper, insiste sur le fait qu’à côté de l’accompagnement financier, il y a aussi un accompagnement juridique afin de protéger le patrimoine matériel et immatériel des sociétés. Il faut que des outils soient mis en place pour un développement international. Il est nécessaire de connaître la manière dont les autres pays fonctionnent car les entreprises françaises doivent être capables de négocier d’égal à égal avec les entreprises étrangères.
En ce qui concerne la réglementation en France et dans l’Union européenne, elle ne croit pas que l’on puisse considérer être dans une « zone de non droit ». La réglementation en vigueur est lourde et développée, avec des lois qui se superposent à tel point que l’on ne sait plus où on en est. Elle juge qu’il est important, au moment où le monde évolue, de ne pas vouloir réguler chaque nouveauté. Il faut, selon elle, poser des grands principes et faire en sorte qu’ils couvrent le plus grand nombre de choses. La réglementation des données est essentielle pour que le consommateur continue de les mettre en ligne pour ne pas mettre fin au mouvement du Big data. La réglementation ne doit donc pas empêcher le développement de l’Internet des objets. La réglementation européenne est généralement plus stricte que celle des autres pays, mais elle permet quand même l’innovation. Elle insiste sur le fait qu’il est important d’éviter de parvenir à une situation où il y aurait une discrimination dans la réglementation, où certains OTT seraient plus réglementés que d’autres. Il faut de l’équivalence dans les traitements.
C’est sur ces points qu’il faut créer de la réglementation, estime-t-elle.
Benoit Thieulin fait part d’un léger désaccord sur le sujet de la régulation. Selon lui, face à la temporalité des décisions européennes, on doit provoquer le débat pour créer de la norme. Sur la neutralité du net par exemple, ou sur la portabilité des données, il faudrait peut-être commencer par une règlementation française pour que ces principes soient gravés dans le marbre de la réglementation européenne. Il exprime le souhait que l’on parvienne à un « innovation act » qui permettrait de donner un signal fort sur le fait que l’Union européenne doit changer son environnement juridique pour permettre à l’innovation juridique d’éclore.
Maitre Florence Gunthfreund-Roland lui répond par le fait que l’on attend la loi sur la neutralité du net depuis longtemps. Pour cette dernière, le temps de la législation n’est pas le temps de l’entreprise agile. C’est pourquoi il faut, selon elle, arrêter de vouloir légiférer sur tout. Il faut anticiper et disposer des grands principes qui nous permettront d’agir vite.