Acteur disruptif de la distribution depuis vingt ans, Amazon s’attaque désormais au 7ème art. Quelques jours après avoir remporté deux golden globes pour sa série Transparent et annoncé un projet de nouvelle série réalisée par Wood Allen, Amazon continue d’investir le champ des contenus originaux avec la production de films. Cette annonce marque encore davantage l’intérêt stratégique des contenus premium pour le groupe de Jeff Bezos, tant pour se positionner face à la concurrence, Netflix en tête, que pour servir plus largement de levier d’achat sur sa plate-forme de e-commerce.
Le cinéma nouveau relais de croissance pour le groupe
• Après les séries, Amazon continue d’être offensif dans les contenus
Déjà présent dans l’achat de droits exclusifs et dans la production de séries originales, le géant américain du e-commerce a annoncé son arrivée dans la production de films. Cette entrée fracassante à Hollywood se fait seulement quelques jours après avoir annoncé un partenariat avec Woody Allen pour la réalisation d’une nouvelle série originale, la première du réalisateur, et quelques semaines après avoir été récompensé et conforté dans sa stratégie de contenus en remportant deux golden globes pour sa série Transparent : meilleure série comique et meilleur acteur comique (pour sa première participation, et face à des séries comme Girls ou Orange is the new black).
Amazon prévoit de produire douze œuvres chaque année, et ce dès 2015, les premières productions étant lancées en cours d’année. Une production ambitieuse de douze longs métrages pour une nouvelle entité sur ce segment (Netflix n’a pour l’instant annoncé la production que d’un seul film). La filiale Amazon Studio, en charge des contenus depuis son lancement en 2010, voit naître une nouvelle division baptisée Amazon Original Movies pour encadrer la production des films. Elle sera dirigée par Ted Hope, producteur notamment de Tigres et Dragons, ou encore 21 Grammes.
Avec ses propres longs métrages, la firme de Jeff Bezos souhaite enrichir son service de streaming vidéo, proposé à ses abonnés américains, britanniques et allemands. Le catalogue est aujourd’hui nettement moins fourni que celui de Netflix, leader incontesté du marché et grand rival sur le secteur. Au même titre que ses séries originales (Alpha House, Transparent, Mozart in the jungle…), Amazon mise donc de plus en plus sur les contenus maison.
• La stratégie globale du e-commerçant
Si Amazon est un studio depuis 2013, le géant de Seattle reste avant tout le plus grand supermarché du monde, qui vend, entre autres, des films et des séries. Son entrée dans les contenus est une stratégie de diversification, d’incarnation et surtout un levier de fidélisation, notamment autour de son offre Amazon Prime, offre premium du groupe donnant accès à de nombreux avantages commerciaux (facilités de livraison, exclusivités de produit, capacité de stockage supplémentaire…). Aussi, comme pour la prochaine série du groupe, réalisée par Woody Allen, les films produits par Amazon seront réservés aux clients ayant un abonnement illimité, « Amazon Prime Instant Vidéo », compris dans l’offre Amazon Prime. Amazon Prime compte aujourd’hui plus de 60 millions de membres.
La fidélisation des clients d’Amazon par ses contenus passe aussi par leur engagement. Aussi, depuis 2013 la firme propose chaque année différents pilotes de séries, soumis au vote des abonnés. Les projets ayant recueillis le plus d’avis favorables sont ensuite produits et diffusés par Amazon. Une stratégie innovante et différenciante, qui inspirera peut-être une nouvelle façon de penser la production de films. En janvier 2015 six nouveaux pilotes de série ont de nouveau été proposés aux internautes.
Un positionnement singulier face à Netflix et Alibaba
• Des productions qualitatives, plus proches du film « indé » que du blockbuster
Plus grand pure-player des contenus vidéo, Netflix a été le premier à se lancer dans la production de contenus originaux, tout d’abord avec les séries, House of Cards en 2012, puis avec le cinéma et la suite de Tigres et Dragons, Green Legend, dont la sortie est prévue en août 2015. L’entreprise affiche une croissance insolente au regard du reste du marché : +30% d’inscrits et +26% de revenu en un an au 4ème trimestre 2014 et un lancement prévu dans 150 nouveaux pays d’ici deux ans ! Au-delà de Netflix, Alibaba, le géant du e-commerce chinois (plus grande introduction boursière de l’histoire en septembre 2014 pour un montant de 25 milliards de dollars), a également annoncé début janvier se lancer à son tour dans la production de films, via sa filiale Alibaba Pictures. Avec Amazon, ils sont donc trois géants à bouleverser l’industrie.
Pour être concurrentiel, Amazon a choisi un positionnement singulier, fondé sur des productions qualitatives, qui se rapprocheront plus de films classés « indé » que des blockbusters. Le budget de chacun des douze films prévus devrait ainsi être compris entre 2 et 25 millions de dollars (soit entre 1,7 et 21,5 millions d’euros). Amazon se distingue ainsi des grosses productions hollywoodiennes dont le coût se chiffre parfois en centaines de millions de dollars, mais également des productions cinématographiques de Netflix, dont le budget pour chaque film devrait se situer entre 60 et 70 millions de dollars.
De plus, Amazon a confié la direction de sa filiale Amazon Originals Movies au producteur Ted Hope, fondateur de la société de production Good Machine (rachetée par Vivendi en 2002), et co-fondateur de This is That. Ted Hope s’est fait un nom dans le cinéma américain en remportant de nombreuses récompenses, notamment plusieurs fois le Grand prix du jury du festival de Sundance, et en produisant par exemple des films comme 21 Grammes ou Tigres et Dragons (un pied de nez à Netflix dont le premier film produit, Green Legend, est la suite de Tigres et Dragons). Avec ce producteur indépendant très reconnu, Amazon a donc marqué une approche singulière face à la logique « blockbuster » d’Hollywood et d’acteurs concurrents.
• Une stratégie dans le cinéma qui vise à raccourcir la chronologie des medias mais également à revaloriser la salle
Lorsqu’en octobre 2014 Netflix a annoncé que sa première production cinématographique sortirait simultanément en salle et en streaming sur sa plate-forme, la firme de Los Gatos a vu les exploitants de salles faire front commun. Les trois principaux exploitants américains, Regal, AMC et Cinemark ont riposté unanimement pour que le film ne soit pas disponible dans leur 257 IMAX, soit plus de 60% des IMAX américains, compromettant ainsi fortement la diffusion du film dans les salles américaines.
Conscient de ces enjeux autour de l’évolution des différentes fenêtres d’exploitation, Amazon propose une approche assez innovante permettant de protéger la sortie en salles. Les longs métrages seront ainsi disponibles sur son offre Amazon Prime Instant Vidéo entre 4 et 8 semaines après leur sortie en salles. Ce délai est donc bien plus court que celui généralement constatés aux Etats-Unis (minimum 3 mois et jusqu’à un an), et vise à pousser les abonnés à attendre l’arrivée des films sur la plate-forme, mais laisse une fenêtre d’exclusivité aux salles obscures.
Pour autant, face à l’approche de Netflix qui souhaite proposer ses films sur sa plate-forme en court-circuitant quasiment les salles, Amazon a choisi une stratégie de diffusion qui associe la salle au streaming. Avec cette approche qui laisse une fenêtre d’exclusivité à la salle, et la production de films positionnés sur un segment « qualitatif », le lancement d’Amazon Original Movies pourrait marquer une étape majeure dans la transformation de l’organisation de la filière. Ces dernières années en effet, le système selon lequel les productions de majors et de films indépendants se servaient mutuellement, les seconds pouvant servir de « laboratoire » aux premiers, a été quelque peu remis en question. La tendance lourde au « tout blockbuster » dans les multiplexes s’est accompagnée en parallèle d’une certaine généralisation de la diffusion en Direct to DVD ou direct to VOD de films indépendants plus créatifs et innovants. L’approche proposée par Amazon pourrait ainsi revaloriser la distribution salle pour des films autres que les blockbusters.
Quoiqu’il en soit, l’intérêt marqué pour la production de longs métrages originaux est significatif pour le marché, alors que l’on annonce depuis quelques années maintenant que l’avenir du secteur ne se trouve que dans les séries et les formats vidéo courts destinés à une consommation mobile.