Le Flash NPA propose durant 4 semaines d’analyser les évolutions actuelles de la transformation dans la distribution audiovisuelle, en France et à l’étranger, tout en s’inspirant de la trentaine d’entretiens réalisés cet été auprès des professionnels du secteur. Le Flash du 13 septembre posait le contexte, les différents facteurs et enjeux qui font évoluer la distribution audiovisuelle, et notamment la tendance à la hausse de la vente de programmes à l’étranger. Aujourd’hui, NPA analyse l’adaptation économique nécessaire dans ce secteur où la segmentation des acteurs et la complexification de la gestion des droits sont des phénomènes croissants.
La redistribution des cartes dans les industries de la création
La transformation du modèle économique des acteurs traditionnels semble inéluctable. Entre la modification de la circulation des œuvres, les économies des coûts de commercialisation, la baisse des ressources des diffuseurs, les distributeurs ont un rôle stratégique à jouer.
En France, les contenus sont soumis à une multiplicité de fenêtres d’exploitation due à la chronologie des médias qui entraîne une dilution des risques pour le distributeur. La transformation des usages vers le numérique a eu pour effet de multiplier les modes de mise à disposition des programmes que ce soit en termes de formats ou de terminaux sur lesquels ils sont visionnés.
Dans ce nouvel environnement audiovisuel, devenu un maillon essentiel de la chaîne de valeur, le distributeur fait ainsi face à différentes problématiques, notamment :
- La consolidation des acteurs de l’audiovisuel (diffuseur + distributeur ou producteur + distributeur) qui renforce leur position sur le marché et qui rend le travail des distributeurs indépendants de plus en plus complexe. Interrogés sur l’évolution actuelle du paysage de la distribution audiovisuelle, les acteurs anglais concernés font le constat suivant : « la consolidation du secteur rend les distributeurs de plus en plus puissants avec de moins en moins de sociétés de distribution. Davantage de contenus font ainsi partie du catalogue des plus gros distributeurs, ce qui condamnent les petits distributeurs à se spécialiser ou à se faire racheter ». Pour autant, un distributeur interrogé note que la France est le pays dans lequel ils sont les plus nombreux (entre 60 et 100 sociétés selon les chiffres de plusieurs distributeurs). Ce qui rend le marché diversifié mais hyperconcurrentiel.
- Les crises économiques et l’influence des politiques internationales qui touchent certains pays réduisant ainsi leurs achats de programmes (ex : l’Amérique latine).
- La réduction des budgets alloués par les diffuseurs qui impacte les contenus mais affecte aussi les distributeurs.
- Les nouveaux usages et notamment le « binge watching » : les diffuseurs suivent aussi la tendance et n’hésitent plus à négocier plus souvent l’intégralité des droits pour offrir aux téléspectateurs l’ensemble des épisodes d’une série, ce qui implique d’âpres négociations avec les distributeurs qui ne veulent pas voir diminuer la valeur du programme.
- La variété des types de fichiers vidéo demandés par l’éditeur, ce qui nécessite des coûts techniques importants.
Prendre davantage de risques en investissant dans le développement de projets pour garantir l’accès aux droits.
La manière dont le secteur audiovisuel évolue nécessite ainsi que les distributeurs soient impliqués de différentes manières et plus tôt dans le processus vers la diffusion : en effet, l’expertise internationale des distributeurs est utile dès l’écriture du projet. L’investissement se fait parfois même sur le potentiel d’un scénario selon un distributeur interrogé. Pour un autre, « l’image du distributeur n’est plus celle du VRP avec sa valise de programmes ». Au-delà des aspects financiers et de la distribution commerciale qui sont leur cœur de métier, les distributeurs sont impliqués dès le développement et ont un rôle de preneur de risques bien plus accentué. Celui-ci est devenu un partenaire à part entière, dès la conception du programme, pour un accompagnement à long terme dans la valorisation de la marque (packaging pour l’international, cibles, graphisme, production de teasers, etc.). Certains distributeurs français vont même jusqu’à proposer des talents (acteurs, réalisateurs, etc.) suivant le constat que la tête d’affiche fait vendre. Cette gestion de la distribution par les talents est une nouvelle opportunité pour les distributeurs de contenus qui misent sur l’intérêt des diffuseurs et donc des téléspectateurs pour les acteurs ou réalisateurs de renom (la société Edith Paris en a fait sa spécialité). A noter qu’au Royaume-Uni, différents distributeurs ont indiqué s’impliquer peu dans le processus créatif, laissant les éditeurs tenir ce rôle auprès des producteurs.
La montée en puissance de l’OTT influence les modes de distribution
La hausse de la consommation délinéarisée des contenus et le développement des plateformes OTT ont de nombreux impacts sur le système de distribution actuel, que ce soit sur son modèle économique, les montants d’acquisition des droits ou leur territorialité, la gestion du numérique, etc. Les contenus connaissent ainsi de nouveaux cycles de vie et une désintermédiation à plusieurs niveaux :
- D’une part, les diffuseurs traditionnels agrègent de plus en plus les contenus des producteurs et s’adressent directement aux consommateurs sans utiliser le filtre des distributeurs traditionnels.
- D’autre part, les producteurs de contenus peuvent également s’autodistribuer sur internet pour vendre directement leurs contenus. Ils peuvent le faire sous leur marque ou en déclinant leurs contenus les plus forts : une série, une franchise ou un artiste. Dans l’un de ses derniers discours en tant que CEO de Channel 4, Jay Hunt demandait aux producteurs britanniques d’être attentifs à leur gestion financière et à leur gestion des risques. “We are moving into a phase where you can’t just be a great creative, but also [need to be] a great creative entrepreneur and deal maker.” “That will be a fascinating new phase of where we work.[1]” L’auto distribution ne représente pas encore un bouleversement du modèle économique pour les producteurs de contenus. C’est une source de revenus potentielle, seulement additionnelle et marginale, incapable pour l’instant de se substituer à une distribution par des tiers.
Par ailleurs, la montée en puissants d’acteurs mondiaux de la SVOD que sont Netflix et Amazon modifie le fonctionnement du marché. Ils exercent en effet une pression sur l’accès aux droits à l’échelle mondiale et bousculent l’ordre établi des fenêtres de diffusion et la répartition géographique des droits. L’acquisition de droits par ces acteurs empêche souvent les producteurs et distributeurs d’exploiter leurs droits dans d’autres territoires et/ou sur d’autres fenêtres. En revanche, elle offre une exposition mondiale et une stratégie marketing sans équivalent.
Cette multiplicité d’acteurs implique une variété de droits : globaux, multi territoriaux, ou locaux. La question pour les distributeurs est donc de prendre le risque de morceler ou globaliser les droits. Vendre à Netflix, en une seule fois pour des droits mondiaux rapporte-t-il plus qu’en divisant les droits sur plusieurs territoires ? Une réponse qui paraît évidente mais qui pour autant n’est pas unique. Ainsi, sur 16 séries distribuées cette année par All3Media, trois d’entre elles ont été vendues « globalement ». En effet, selon le distributeur, l’application de la théorie du « one size fits all » est rare : peu de séries sont des succès internationaux (à l’image de Game of Thrones). Au contraire, la priorité est au local, avec une adaptation culturelle et stratégique du choix des programmes pour les bonnes chaînes. Cette question de l’exposition, locale ou mondiale, se pose depuis longtemps pour les distributeurs. Mais elle a aujourd’hui une portée beaucoup plus importante avec le développement du multilinguisme et des nouvelles technologies qui favorisent largement cette internationalisation.
Flash du 27 septembre :
La transformation des outils et usages chez les distributeurs audiovisuels
[1] Source : http://tbivision.com/news/2017/08/jay-hunt-svod-model-threatens-copros/787002/