Le SNEP, syndicat national de l’édition phonographique, a publié son bilan annuel mardi 3 février. Le marché global de la musique enregistrée repasse dans le rouge après une embellie en 2013. La faute à une nouvelle chute des ventes de disques mais aussi, pour la première fois, au recul du téléchargement à l’acte qui semble arriver à maturité. Le streaming poursuit quant à lui sa forte croissance et s’affirme année après année comme une réponse crédible à la crise. Des tendances qui font écho aux chiffres dévoilés quelques semaines plus tôt par l’homologue britannique du SNEP, la BPI , et qui traduisent une profonde mutation du marché musical mondial.
Le marché de la musique enregistrée de nouveau en crise ?
Le marché de la musique enregistrée a repris sa chute, interrompue l’espace d’une année à la faveur de l’essor du numérique et des succès conjugués d’artistes de premier plan comme Daft Punk ou Stromae. Un fléchissement de 5% entre 2013 et 2014 qui place de nouveau l’industrie musicale dans un cycle de décroissance entamé douze ans plus tôt.
Dorénavant établi à 571 millions d’euros, le chiffre d’affaires de la musique en France affiche une terrible perte de 65% de sa valeur depuis 2002. Un recul très largement alimenté par la chute des ventes physiques, dont le repli s’élève à 11% pour la seule année 2014. Les ventes physiques représentent encore à ce jour 71% des recettes totales du marché. L’unique sursaut provient du vinyle (+42%) et de la confirmation de son renouveau en France. Un format qui s’adresse toutefois à une niche de la population et compte seulement pour 3% du chiffre d’affaires total en 2014. Une année 2014 dont la baisse a été accentuée par le repli du téléchargement à l’acte (-14%) qui montre ses premiers signes d’essoufflement après plusieurs années de croissance linéaire. Une rupture de tendance qui coïncide avec l’explosion des offres de streaming (+34%) et une profonde modification des usages dans l’univers de la musique. L’émergence du streaming permet à elle seule de maintenir le numérique dans le vert (+6%) mais s’avère encore insuffisante pour compenser le déclin du physique.A noter que la baisse générale du marché de la musique pourrait être plus marquée sans l’apport des droits voisins perçus sur la diffusion des œuvres (radios, chaînes de télévision, lieux publics, copie privée), passant de -5% à -7% entre 2013 et 2014.
Un marché en perpétuelle (r)évolution
Pour l’industrie musicale, le motif d’espoir vient désormais des revenus issus du numérique : 133 millions d’euros en 2014, soit 29% des recettes globales de la musique enregistrée en 2014 (hors droits voisins). Dans l’univers numérique les revenus du streaming supplantent dorénavant ceux générés par le modèle plus ancien du téléchargement de titres ou d’albums sur internet.
Pour la première fois de la jeune histoire du streaming, les recettes générées par les abonnements payants et la publicité sur les plates-formes gratuites représentent plus de la moitié des revenus du numérique : 55% en 2014, soit une progression de 12 points par rapport à 2013. La concrétisation d’un basculement des usages vers les services de streaming qui se traduit par le recrutement soutenu de nouveaux abonnés et l’explosion du nombre de titres écoutés. Aujourd’hui ce sont près de 2 millions de Français qui sont abonnés à une offre de streaming musical (+35% par rapport à 2013), via une souscription directe à une plate-forme ou en lien avec l’offre d’un opérateur. Au total, plus de 12 milliards de morceaux ont été consommés en 2014 (+40% en un an).
La restructuration du marché numérique autour du streaming augure une double révolution, avec l’émergence d’un nouvel usage d’une part, puis le développement d’un nouveau modèle économique d’autre part. Un phénomène confirmé par Pascal Nègre, président directeur général d’Universal music France : « la musique est en train de connaître sa quatrième révolution numérique. Après la piraterie, les sonneries téléphoniques et le modèle iTunes, la musique change à nouveau de paradigme avec l’avènement du streaming qui consiste à payer pour un usage et non pour une possession ». Un modèle encore jeune et prometteur avec des acteurs déjà bien établis (Deezer, Spotify, Qobuz, etc.) mais dont les services sont encore en quête de notoriété auprès du grand public.
2015 sera une année charnière pour le streaming. Elle devra confirmer l’appétence du public français pour ce mode de consommation et son consentement à payer après des années d’écoute gratuite. Une année 2015 où les cartes risquent d’être rebattues avec la fin programmée, l’été prochain, de l’offre entre Deezer et Orange mais aussi la possible arrivée d’Apple sur le marché du streaming, après le rachat du fabricant de casques audio Beats et de son service de musique en ligne baptisé Beats Music. Un lancement qui participerait assurément à accroître la notoriété du streaming en France, et sa diffusion.
Le dynamisme des productions locales et francophones
L’autre motif de satisfaction de l’industrie musicale est la bonne santé affichée par les productions locales et francophones dont les ventes représentent près des trois-quarts des revenus du marché en 2014 (hors classique), soit un niveau jamais atteint jusqu’ici. Une contribution en hausse de 8 points par rapport à 2013.
Évolution de la part des productions francophones dans le CA de la musique enregistrée (hors classique)
(2004-2014 – en % valeur)
Source : NPA Conseil sur données SNEP
En dépit d’un contexte défavorable, producteurs indépendants et majors continuent d’investir massivement sur de nouveaux artistes francophones, notamment sur de jeunes talents. Ainsi, le nombre d’albums francophones commercialisés a augmenté de 17% en un an, avec 242 albums en 2014 contre 207 en 2013. L’industrie compte 119 nouvelles signatures (+31% par rapport à 2013).
Témoin de cette excellente année pour la production francophone, le classement des dix meilleures ventes d’albums est exclusivement composé d’artistes francophones. Un top dominé pour la deuxième année consécutive par Stromae, devant Kendji Girac et Indila.
Des tendances partagées avec le marché britannique
Quelques semaines avant le SNEP, la BPI a elle aussi communiqué ses chiffres annuels sur le marché de la musique enregistrée. Et force est de constater que marchés britannique et français ont beaucoup en commun.
A l’image de la France, l’industrie musicale britannique a assisté en 2014 à l’émergence du streaming comme nouveau mode de consommation de la musique et principal relais croissance du secteur pour ces prochaines années. Les actes de streaming ont pratiquement doublé en un an, passant de 7,5 à 14,8 milliards entre 2013 et 2014 (+97,6%). Une explosion des usages qui porte à 12,6% le poids du segment streaming sur la consommation totale de musique en 2014 . Une part en progression de 6,4 points par rapport à 2013. Côté revenus, l’apport du streaming est estimé par la BPI à 175 millions de livres en 2014 (236 M€), soit un chiffre d’affaires en hausse de 65,1% en un an et un niveau de contribution aux recettes globales du marché proche de celui observé en France (17% au Royaume-Uni contre 16% en France).
Une performance qui a permis au streaming de limiter à lui seul la baisse générale du marché britannique (-1,6%) et de le maintenir une nouvelle fois au-dessus de la barre symbolique du milliard de livres (1,030 mrds £ / 1,389 mrds €). Un marché stable en apparence, mais qui masque une profonde restructuration de la consommation autour du streaming.
Comme pour son homologue français, le marché de la musique enregistrée britannique est avant tout pénalisé par le déclin continu des ventes de disques. Il doit faire face lui aussi à l’essoufflement du modèle de téléchargement à l’unité qui, après avoir connu un pic en 2013, enregistre sa première année de repli en près d’une décennie. Il reste néanmoins le deuxième format préféré des britanniques pour écouter de la musique avec 38,7% des actes de consommation en 2014. Au total, download et streaming permettent à la musique numérique d’inverser les courbes de volumes de consommation avec l’univers physique. 51,3% des titres et albums écoutés le sont dorénavant sous formats dématérialisés. Une proportion qui devrait croître dès 2015 avec, comme pour la France, la poursuite du développement des services déjà bien installés (Deezer, Spotify, Google Play) et le lancement à venir de nouvelles offres (Apple Beats Music, Google Youtube Music Key).
Enfin, comme observé en France, les productions nationales ont été un élément clé de la relative stabilité du marché de la musique au Royaume-Uni en 2014. Le classement des meilleures ventes d’albums 2014 est ainsi intégralement composé d’artistes britanniques, avec à sa tête deux millionnaires : Ed Sheeran « X » (1,7 M unités) et Sam Smith « In the Lonely Hour » (1,3 M unités). Une première depuis Adèle et son album « 21 », écoulé à 3,8 millions d’exemplaires en 2011 (record de vente d’albums sur une année au Royaume-Uni).