L'édito de Philippe Bailly

Vous souhaitez recevoir l’Insight NPA ?

1,7 ou 3,5 Mds€. Mais combien pèse réellement Google en France ?

Comme souvent, les résultats annuels de l’étude BUMP, pour 2024, peuvent être observés sous de multiples perspectives avec, à la clé, autant de raisons de se réjouir que de se désoler. Trouver par exemple encourageants les 17% d’augmentation des revenus de publicité numérique des médias d’information ou de contenus (cinémas, presse, radio et télévision) enregistrés l’an dernier, ou regretter qu’ils représentent à peine 7% du chiffre d’affaires total de la publicité digitale et, par exemple, cinq fois moins que le search.

La disproportion est encore plus spectaculaire si l’on élargit la perspective : au niveau mondial, le groupe Alphabet a généré l’an dernier environ 130 Mds$ de revenus grâce à ces achats de mots clé sponsorisés sur Google, et à peu près 170 Mds$ si l’on y ajoute YouTube. Soit, au total… près de 30 années de chiffre d’affaires publicitaire cumulé de l’ensemble des médias d’information et de création français.

Le vertige qui en découle n’est malheureusement pas nouveau. Dans le cadre des Etats Généraux de l’Information, on a pu avancer un ensemble de propositions visant à ce qu’un équilibre économique mieux assuré permette de garantir dans la durée l’accès à une information et à des productions de qualité. La nomination de l’ancien rapporteur général de ces EGI en tant que conseiller pour la culture et les médias du Premier ministre est de bon augure, sur le bon aboutissement de l’engagement que Rachida Dati et François Bayrou ont pris de traduire ces propositions dans un projet de loi.

Alors qu’il était auditionné par le Sénat en fin d’année 2024, Bruno Patino, qui a présidé les EGI, avait exprimé le souhait qu’un bilan critique de la loi Sapin sur la publicité de 1993 puisse être établi – et potentiellement mis à profit – à cette occasion. Le très lourd formalisme qu’elle a introduit dans la commercialisation de la publicité, il y a plus de trois décennies, semble de plus difficile à concilier, il est vrai, avec le basculement du marché vers le digital : l’automatisation des processus de ventes et d’achat au travers du programmatique, qui multiplie les intermédiaires techniques et rend illusoire le traçage fin des opérations, d’une part, la domination du marché par une poignée d’acteurs globaux qui leur permet de passer des deals mondiaux avec les plus gros annonceurs, et d’échapper à la loi Sapin en utilisant des filiales installées hors de France pour facturer les marques, de l’autre.

L’exemple d’Alphabet suggère que les montants concernés sont très loin d’être anecdotiques : côté moteurs de recherches, c’est par Google que transitent plus de 90% des requêtes des internautes. Si l’on retient par prudence une part du marché publicitaire équivalente (sans intégrer, donc, de prime au leader), le chiffre d’affaires correspondant était d’au moins 3 Mds€ en 2023. En France, toujours, on peut estimer à près de 500 M€ les revenus de YouTube pour la même année (en extrapolant la part de YouTube à partir des recettes du « Display Vidéo » et du « streaming vidéo et musical » établies par le cabinet Oliver Wyman pour le SRI).

On peut donc évaluer à au moins 3,5 Mds€, le revenu publicitaire généré par Alphabet en France, en 2023 ; les comptes déposés pour la même année par la société Google France, qui assure la régie des deux activités affichent un chiffre d’affaires de… 1,7 Md€. Moins de la moitié.

Pour les Finances publiques, l’écart est loin d’être neutre : au moins 350 M€, rien qu’en TVA non perçue. Simplifier le dispositif de la loi Sapin réduirait certainement la tentation des plateformes mondiales à s’appuyer sur leurs autres filiales et aiderait donc à résorber ce manque à gagner. S’agissant de la concurrence dans le marché publicitaire, cela aiderait les médias français à retrouver une plus grande agilité dans la valorisation de leurs espaces, cela leur permettrait de se battre à armes un peu plus égales, et cela représenterait au final une action concrète de réduction des asymétries réglementaires.