La rue de l’Echelle est située à Paris, dans le 1er arrondissement, à deux pas du Palais Royal. Grâce à l’Autorité de la concurrence, dont le siège est situé au numéro 11, elle est en passe de s’imposer comme l’un des hot spots des dirigeants de l’audiovisuel français : après l’avoir arpenté pendant l’instruction du projet de fusion de TF1 et M6, les patrons de ces deux groupes, mais aussi ceux de France Télévisions, Canal+, NRJ, Altice et Orange, entre autres, pourraient bientôt y tenir à nouveau siège, pour débattre des vices et vertus de la cession d’OCS à Canal+ ; d’une part, de celle de Salto à un acquéreur encore inconnu, de l’autre.
C’est l’une des rares certitudes de cette fin d’année. Sauf retournement de dernière minute, un accord de reprise d’OCS par Canal+ devrait être confirmé dans les toutes prochaines semaines, sans doute même avant que pointe 2023.
A défaut d’aboutir aussi rapidement, la volonté de désengagement de Salto de TF1, M6 et France Télévisions devrait se concrétiser au cours des prochains mois.
S’agissant des plus grands équilibres du paysage audiovisuel français, le contraste est saisissant entre ce qui était prévu fin 2021 et ce qu’il en est advenu douze mois plus tard.
Peu auraient misé à l’époque sur un échec de la fusion entre TF1 et M6, et les débats portaient avant tout sur les « remèdes » qui seraient appliqués à l’opération ; TF1 et M6 ne vieilliront finalement pas ensemble et devront se dessiner, chacun pour son compte, un avenir dans le monde du streaming triomphant.
Et si peu miseraient aujourd’hui sur le fait que l’Arcom ne renouvelle pas les autorisations de diffusion dont bénéficient Bouygues et Bertelsmann, le poids de l’expérience ajouté à l’agressivité dont font preuve les équipes de Xavier Niel les dissuaderaient sans doute de le faire avec trop de force.
Professionnels et observateurs tiennent en tout cas de quoi nourrir cocktails et déjeuners en ville des premiers mois de l’année avec, pour cette histoire-là au moins, la certitude d’un terme – le 5 mai au plus tard, date de fin de validité des autorisations en cours. Comme dans le conte, mais pour cinq ans, au lieu de cent, le paysage se trouvera alors figé, par la grâce d’une disposition législative datant de 2016. Il est moins que probable que le paysage audiovisuel mondial cesse dans l’intervalle de vibrionner, que des alliances se nouent, que de nouveaux services apparaissent. Mais rien n’y fera, aussi longtemps que sénateurs et députés ne se seront pas accordés pour modifier la loi.
Le scénario du service public tient plutôt, lui, d’Amours, Gloire et Beauté, avec ses 33 ans au compteur.
Mêmes débats, mêmes rapports, mêmes commissions chargées de plancher sur les missions, l’organisation et le financement… avec, ces temps-ci, une tendance regrettable à faire un, voire deux, pas en arrière :
Sur le financement ? La promesse de suppression de la redevance du président candidat Macron a été tenue, un fléchage provisoire depuis le produit de la TVA a été bricolé pour deux ans, et rien n’est aujourd’hui prévu au-delà de 2024. France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, ARTE et l’INA pourraient finir par revendiquer un titre de champions olympiques du saut de haut vol vers l’inconnue financière.
Sur l’organisation ? A lire la ministre de la Culture expliquer fin novembre, dans l’Opinion que son cœur balançait entre fusion au sein d’une même entreprise, création d’une holding sous laquelle abriter les entreprises de l’audiovisuel public ou mise en œuvre plus systématique de synergies, on pouvait se demander si ses services avaient pensé à lui transmettre les études réalisées – notamment – pour le compte de son prédécesseur Franck Riester, lors de la préparation de son projet de loi de… 2019.
Cette irrésolution ne semble pas réservée aux déclarations publiques. On sait que la ministre a convié les patrons de l’audiovisuel le 6 décembre, pour un diner de travail destiné à les entretenir de ses projets. « On a compris qu’elle allait plutôt dans le sens des synergies », raconte, hésitant, l’un des participants.
Depuis que le digital a commencé sa montée en puissance, on a souvent commenté le mouvement d’accélération qu’il a provoqué. Dans un tel contexte, on s’est effrayé de la lenteur de l’audiovisuel français à opérer sa transformation. On a même parfois condamné une tendance à l’immobilisme. Côté privé comme côté public, 2022 sera allée au-delà. Elle aura été celle de la marche arrière et/ou du retour à la case départ.
Philippe Bailly