L’incendie qui a ravagé ce lundi Notre Dame de Paris sera, à coup sûr, débattu pendant des années dans les écoles d’architecture et au sein des structures en charge de la rénovation des monuments historiques ; ce début de semaine pourrait aussi devenir un « cas » soumis aux étudiants en journalisme et aux déontologues de l’information. Peut-on valablement commenter les termes d’un discours qui n’a pas été prononcé ?
Chacun a en tête la séquence de lundi soir, l’alerte donnée à 18 h 50, puis l’annulation de l’intervention – déjà enregistrée – d’Emmanuel Macron ; il n’aura pas fallu 24 heures pour que les médias, les uns après les autres, dévoilent en forme de scoop les mesures que le Président de la République avait (aurait ?) prévu d’annoncer. Et l’écoute des talk-shows de début de soirée, ce mardi, avait quelque chose de surréaliste pour l’auditeur candide qui se connectait en cours d’émission après avoir été inondé d’alertes sur la (re)programmation d’une prise de parole du chef de l’Etat : journalistes et polémistes y soupesaient les décisions d’une allocution qui n’avait pas eu lieu la veille, alors même que celui-ci n’avait pas encore parlé. On comprenait finalement que le propos du jour se limiterait à un message concernant l’incendie et ses suites…
La situation est inédite. Elle appelle aussi à la réflexion.
Sur les conditions dans lesquelles les termes de l’intervention ont « fuité », d’abord. Négligence de la part d’un des collaborateurs de l’Elysée, voire indélicatesse d’un technicien ayant participé à l’enregistrement ? En flirtant avec la théorie du complot, on pourrait imaginer un processus plus organisé, dans lequel le Président de la République aurait profité de ce report pour lancer un ballon sonde et tester l’accueil de mesures qui n’avaient pas encore été officiellement confirmées. L’ampleur des « reprises » de ce mardi pousse à une explication plus simple : l’utilisation de la version écrite de l’intervention par les journalistes auxquels elle avait été envoyée afin qu’ils puissent préparer leurs « debriefs ».
On est au-delà de l’embargo non respecté puisque l’évènement déclencheur à la publication (la diffusion du discours) n’était finalement pas intervenu.
On est au-delà du « off brisé » puisque, là encore, les propos prêtés à Emmanuel Macron n’avaient pas été prononcés.
Qui a eu entre les mains un projet de discours de grand patron ou de responsable public sait que la mention « seule la version prononcée fait foi » y figure systématiquement. Alors, à défaut de « version prononcé »…
Quoiqu’il en soit, l’épisode place le Président de la République devant une alternative délicate : répéter dans quelques jours les termes qui lui sont prêtés, en étant privé de l’effet de surprise et en ayant donné le temps à ses opposants d’élaborer leurs critiques en retour ; ou aller sur des pistes différentes, et s’exposer à un procès en versatilité.
Mettre sur la place publique les termes d’une intervention décalée en raison d’un fait majeur, revient, au final, à peser sur les choix de celui qui devait les prononcer. On n’est pas si loin de la manipulation du cours de l’histoire, voire des fake news.
Quant aux relations déjà difficiles du Président de la République avec les médias, elles n’en sortiront certainement pas améliorées.