Beaucoup de bruit pour rien… ou en tout cas rien de très tangible. Le « show time » promis par Apple pour son dernier keynote laisse une impression d’inachevé et ne dissipe pas les doutes sur la stratégie du groupe : l’ambition affirmée dans le déploiement d’une offre agrégeant presse, vidéo, jeu vidéo et musique, ne suffit pas à masquer une longue liste de zones de flou.
Des différents services évoqués, d’abord, la presse est la seule pour laquelle une date de mise à feu précise a été communiquée : le 1er avril… mais aux Etats-Unis seulement, et avec de sérieux trous dans la raquette (le New York Times et le Washington Post, pour ne citer qu’eux, ne figurent pas dans la liste des partenaires annoncés). S’agissant de la vidéo et du jeu vidéo, le lancement devrait intervenir « à l’automne ». Rien de comparable avec la mécanique impeccablement huilée qui préside d’habitude aux prises de parole d’Apple, avec des dates de commercialisation précises rendues publiques pour les nouveaux produits.
Flou sur le contenu même des nouvelles offres : une trentaine de productions originales pour Apple TV+ (vidéo) d’après les analystes, une centaine de jeux vidéo pour Arcade… mais rien de plus précis.
Flou encore (surtout ?) sur la tarification envisagée pour ces nouveaux services. Pour Apple Music, le premier palier (abonnement individuel) est aujourd’hui de $9,99 aux Etats-Unis ; un tarif identique s’appliquera au kiosque numérique. En supposant que l’abonnement à Arcade et que celui appliqué à la vidéo soient légèrement plus onéreux, l’addition se situerait aux alentours entre $45 et $50. Apple n’a fourni aucune indication sur les remises éventuelles accordées à ceux qui souscriraient à l’ensemble.
Alors du flou naissent les questions. Et notamment celles du moment choisi pour des annonces dont le contenu n’apparait pas totalement « sec ». Signe avant-coureur de résultats trimestriels décevants (la prochaine publication financière est prévue le 30 avril), que le groupe chercherait à déminer ? Préparation des esprits à une baisse significative de la rentabilité d’Apple au cours des prochains exercices ? Il n’est que de voir les structures de comptes de résultats de Netflix ou Spotify pour réaliser le fossé qui existe en termes de taux de marge entre le monde du hard résolument haut de gamme dans lequel évolue traditionnellement Apple, et celui des services, même premium.
Dans tous les cas subsiste l’interrogation essentielle sur la capacité à se développer conjointement sur ce double front. A défaut d’une rentabilité unitaire importante, les services doivent rechercher une très forte diffusion. Et la réponse qu’apporte Apple à cette condition – le partage de son expérience client sur une gamme croissante de terminaux tiers – ne semble pas très loin de la fuite en avant : au-delà même d’un éventuel hiatus d’image à marier la marque Apple avec des leaders du low cost, c’est le cœur du métier – et de la profitabilité – qui pourrait se trouver en danger. Pourquoi, par exemple, accepter de mettre 150€ dans une Apple TV quand l’application devient facilement accessible dans les environnements Android ou Amazon Fire ?
Les motivations de Comcast apparaissent plus claires, avec le lancement de son offre OTT Xfinity Flex. Mais là aussi l’exécution laisse quelques interrogations. Le service vise à éviter la fuite des cord cutters en leur proposant, à condition qu’ils gardent une offre 2P chez l’opérateur, une streaming box, la possibilité d’accéder à certains services phares de l’univers OTT (Netflix, Amazon…), la possibilité d’y ajourer des services tiers auxquels ils sont abonnés, et finalement des contenus additionnels gratuits.
Mais la nature et la profondeur de ces derniers restent, à ce stade, inconnus. Et le prix de location annoncé pour la box – $5 par mois – laisse interrogatif, quand on le compare au prix des terminaux disponibles à l’achat (Roku, Chromecast, Amazon Fire…).
Au final, en tout cas, et quelle que soit la mise en scène dont elles sont accompagnées, ces deux annonces apparaissent plus défensives que portées par une conviction forte. Recherche d’une alternative à ses ventes de terminaux pour l’un, ralliement – tardif – à l’environnement nouveau du « monde OTT » pour l’autre…
Avec, à la clé, deux questions majeures que les dirigeants d’Apple comme ceux de Comcast ont très certainement en tête :
- La hauteur du « ticket » à mettre sur la table pour développer une offre de contenus crédible, face aux montagnes d’investissements de Netflix, Disney ou, dans une moindre mesure, Amazon.
- Le risque que la multiplication des services D2C, la complexité qu’elle génère (où être sûr de trouver le programme qu’on recherche ?) et l’inflation qui en découle pour le consommateur, aboutissent à une lassitude de l’abonnement. Dans la dernière édition de son étude Digital Media Trends, Deloitte relève que près d’un américain sur deux (47%) se disant déjà frustrés par le nombre croissant de services qu’ils doivent combiner pour accéder au contenu qu’ils veulent regarder.
Google a trouvé sa réponse à ces interrogations : le jet de l’éponge ! D’après l’agence Bloomberg, YouTube aurait décidé de mettre fin à son programme de productions de fictions. Le groupe a démenti, bien que concédant l’arrêt de deux séries. Bloomberg est généralement une source crédible…