La difficulté de la télévision linéaire à attirer les 15/24 ans était déjà considérée acquise ; voir les jeunes adultes se détourner – déjà – de la SVoD est plus inattendu. En France, le nombre quotidien de jeunes streamers a enregistré au troisième trimestre 2022 un sixième trimestre consécutif dans le rouge, jusqu’à diminuer de 44 % par rapport au plus haut de 2021. Au Royaume-Uni, le temps qu’ils passent sur les plateformes a reculé l’an dernier de 20 minutes pour retrouver, peu ou prou, son niveau de 2019… Et, partout en Europe, YouTube et les réseaux sociaux prennent, à l’inverse, une place croissante, voire dominante, dans les usages de la jeune génération.
Outre-Manche, YouTube, d’une part, l’ensemble des chaînes de TV réunies, de l’autre, se tiennent dans un mouchoir dans leurs usages, et la SVoD est reléguée à la troisième place. En Allemagne, il faut atteindre la tranche 40/49 ans pour que la télévision redevienne le mode de consommation privilégié, par rapport aux contenus disponibles sur Internet, alors que 91 % des 14-29 ans utilisent les sites de partage vidéo comme YouTube au moins une fois par mois. En Espagne, YouTube est le média le plus consommé, par 38,8% des 18/24 ans, et il est encore la première destination des 25/44 ans…
La vitesse du basculement que décrit cette semaine l’INSIGHT NPA est vertigineuse. La BBC fêtera le 18 octobre ses 100 ans, YouTube a été créé en 2005 et la plupart des pays européens n’avaient pas accès à Netflix avant 2014/2015…
Comprendre le mouvement supposerait d’abord de le mesurer. A observer les études multiples pour reconstituer ce « temps vidéo », conduites avec des méthodologies disparates et rarement complètement homogènes, on applaudit plus que jamais le projet de mesure tous lieux, tous écrans, tous médias qu’a lancé le président de Mediamétrie Yannick Carriou. Comme un clin d’œil, on a d’ailleurs appris le 4 octobre que Nielsen intégrait YouTube à sa mesure quatre écrans…
Un thermomètre commun permettra aux créateurs de mieux cerner les goûts et les attentes des plus jeunes d’aujourd’hui, donc moins jeunes de demain. Avec le risque, à défaut, de voir la fissure grandir entre production « institutionnelle », commandée et financée par les chaînes et les services de SVoD mais ne touchant plus qu’un public vieillissant, et créations pro ou semi-pros massivement consommée sur les plateformes par les post-adolescents.
Une mesure unifiée permettra aux marques de rationaliser leurs choix, sans être obligées de placer des tickets à l’aveugle sur les chaînes YouTube les plus fréquentées ou la hype supposée des « influenceurs », tout en maintenant l’essentiel de leurs investissements dans des environnements déclinants mais mieux balisés.
Prendre pleinement en compte le poids des nouveaux réseaux permettra aux responsables publics, espérons-le, de sortir de la tactique des « coups » – une chanson avec Mc Fly et Carlito par ci, une apparition sur Twitch par là… – pour mener une vraie réflexion de fonds sur les nouveaux paradigmes d’élaboration de la pensée collective.
A défaut de disposer encore de cet outil unifié, cet INSIGHT NPA #1057 s’est attaché à rapprocher les sources disponibles et à en dégager les dynamiques communes.
L’exercice, à lui seul, est déjà édifiant.