Mise en circulation d’un dossier de travail supposé rester à diffusion interne au gouvernement via un article du Monde d’abord, puis dans son intégralité sur le site d’un syndicat professionnel ; publication d’une tribune de la présidente de France Télévisions appelant à des « Etats généraux de l’audiovisuel » et, comme une étincelle sur les braises, auto-questionnement rhétorique de l’universitaire Olivier Babeau – « Faut-il vraiment une télévision publique » – dont le titre même semble valoir réponse. Les ingrédients d’une (nouvelle) crise existentielle de l’audiovisuelle public paraissent réunis. A l’heure où il est encore permis de se référer au bilan des quinquennats précédents, force est de constater que les bilans laissés par François Hollande comme par Nicolas Sarkozy n’auront pas contribué à la traiter de manière apaisée.
Du premier, on pourra par exemple pointer sa déclaration de l’automne 2014, selon laquelle « France Ô (devait) redevenir véritablement une chaîne ultramarine ». Au moment même où la chaîne commençait à s’extirper de l’héritage RFO Sat, et pour des motifs tenant davantage de la gestion de ses soutiens politiques que de l’équilibre du paysage audiovisuel, François Hollande a tué dans l’œuf le positionnement, axé sur les cultures urbaines, que France Ô commençait à faire prospérer. Il y a moins de 400 000 français originaires des DOM TOM en métropole… et, qu’ils soient originaires des Antilles, de la Réunion ou de Polynésie, ils sont certainement une infinie minorité à se retrouver sous ce terme générique. Comment s’étonner alors que France Ô ait été renvoyé à un statut de semi-clandestinité (0,6% de part d’audience en octobre) ? Et comment, dans ces conditions, s’étonner que le gouvernement inscrive sa suppression parmi ses scénarios de travail ? Economie possible (sous réserve de suppression des emplois affectés à la chaîne) : 30 à 40 M€ par an.
Au débit des majorités successives, on mettra aussi la difficulté à assigner à France 4 une mission claire et durable : simple « canal de rediffusion » à son lancement en 2005, « chaîne laboratoire » plus tard… C’est au moment où son équilibre semble trouvé, autour de la jeunesse et de l’écoute conjointe, que la chaîne risque de payer les frais de cette histoire compliquée. L’idée de son « basculement en diffusion numérique » sera donc plus discutée. Certains pédiatres mettront certainement en cause l’incitation donnée aux plus jeunes de se tourner vers les écrans les plus addictifs et les plus nocifs (en terme de facilité d’accès à des contenus inappropriés) ; les producteurs ne manqueront pas de s’inquiéter du devenir de sa contribution à la production d’animation (4,5 M€ en 2016 d’après le CNC) ; et le précédent BBC 3 sera difficile à invoquer pour la soutenir, la chaîne britannique s’adressant, elle, aux jeunes adultes (15/34 ans). Economie possible (sous réserve de suppression des emplois affectés à la chaîne) : 40 à 50 M€ par an.
Plus encore, on pourra reprocher à Nicolas Sarkozy et à François Hollande leur incapacité à assurer au service public de l’audiovisuel un financement stable et cohérent. L’Etat s’est progressivement réapproprié les recettes de la « Taxe Copé », prélevée sur les opérateurs télécoms en vue de compenser la suppression partielle de la publicité décidée par le premier ; dès le printemps 2013 et la mission confiée par Aurélie Filippetti à un « groupe de parlementaires », dont les conclusions n’auront jamais été publiées, les ministres de la Culture du second auront évoqué, année après année, une « refonte » de la redevance… sans jamais la mener à bien.
Au final, c’est dans les allers-et-retours sur les modes de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public que l’Etat se sera le plus mobilisé au cours de la dernière décennie… Que la majorité nouvelle souhaite ouvrir largement le champ de sa réflexion apparaît donc souhaitable, au-delà même d’être légitime.
Restent, à ce stade, un regret, une interrogation, et une recommandation.
Regret, d’abord, que la prise en compte du nouvel environnement digital ne soit évoqué qu’en 3 mots (« adaptation au numérique ») dans le document – certes synthétique – du ministère de la Culture. Pas un mot, par exemple, sur le service de SVoD dont France Télévisions prépare le lancement.
Interrogation, ensuite, sur l’idée de réunir les sociétés de l’audiovisuel dans une holding commune, avec le risque d’un alourdissement des structures managériales et d’une augmentation des coûts salariaux par alignement sur les régimes les plus favorables. Le précédent de l’AEF montre que celui-ci n’est pas simplement théorique.
Recommandation, enfin, sur l’état d’esprit qui prévaudra dans les débats préparatoires à la future réforme. Au début des années 2000, j’étais directeur général adjoint de l’INA lors du lancement du plan de numérisation de ses archives. Pour les directions dont j’avais la charge, et qui représentaient environ la moitié des effectifs, sa mise en œuvre était synonyme de moindre priorité dans l’allocation de moyens et des personnels. Je l’ai accepté sans sourciller et j’ai travaillé à un schéma de réduction de 15% des postes qui leur étaient alloués. Mais j’avais également attiré l’attention du président sur la nécessité de maintenir un état d’esprit positif parmi les équipes, pour le mettre en œuvre de façon satisfaisante. Au risque, à défaut, de tensions et de départ des collaborateurs les plus affutés (bénéficiant d’une meilleure employabilité et profitant donc de l’effet d’aubaine au travers des mesures d’accompagnement aux départs volontaires). Faute d’être entendu, j’ai finalement quitté mes fonctions. Je suis toujours convaincu que les sacrifices demandés pour la réforme qui s’esquisse seront d’autant mieux acceptés que les acteurs concernés seront convaincus, pour reprendre un terme cher au président de la République, de la bienveillance de ceux qui les leur demandent.