Si l’on estime que les meilleurs négociations se bouclent à la toute dernière minute, le cru 2025 de la chronologie des médias pourrait rester dans les annales : le 22 janvier, le directeur général délégué du CNC Olivier Henrard a adressé aux signataires de l’accord du 24 janvier 2022 un message proposant d’en reprendre les termes à l’identique – ou presque – pour les trois prochaines années ; mais on peine à imaginer qu’un texte puisse être signé avant la date anniversaire, dans les 48 heures. Il faudra donc attendre les arrêts de jeu pour connaître les bases sur lesquelles les protagonistes auront pu s’accorder. Et l’examen des positions en présence, à défaut de préjuger du point d’équilibre qui sera trouvé, ne plaide pas forcément pour le statu quo.
Premiers, après la salle, à pouvoir exploiter les films, les professionnels de la vidéo à la demande transactionnelle (TVoD) devraient réitérer leur proposition de création d’une fenêtre « premium » positionnée trois mois après la sortie (contre quatre pour la VoD « standard »). La demande avait été débattue lors des points de suivi de l’accord de janvier 2022. Canal+ avait été alors le seul à s’y opposer. Le groupe pourrait au cours des semaines à venir concentrer son énergie et son pouvoir de négociation sur l’articulation des fenêtres suivantes.
Et tout d’abord sur la partir de poker menteur qui semble s’engager autour de la première fenêtre payante, à six mois.
La possibilité pour une plateforme de SVoD de s’y positionner était bien formellement ouverte par la chronologie de 2022, sous réserve de souscrire à des engagements comparables à ceux pris par Canal+ ; mais les termes de l’accord passé entre Canal+ et les organisations professionnelles du cinéma a de facto exclu, un tel scénario.
Cet accord est venu à expiration fin décembre 2024 et, jusqu’à avoir conclu un nouveau deal, Canal+ se trouve donc renvoyé à neuf mois, avant d’accéder aux films.
Avec la rupture qui a pris effet au 1er janvier entre Canal+ et le groupe Disney, le second a repris la maîtrise de la première fenêtre de ses productions, mais pouvoir l’exploiter à six mois sur Disney+ suppose, cumulativement, que la plateforme change de régime au sens du décret SMAD (contribution à la production à hauteur de 25% de son chiffre d’affaires, au lieu de 20%), que l’Arcom modifie sa convention (pour revaloriser la part du cinéma dans sa contribution à la production), et qu’un accord prévoyant minimum garanti, clause de diversité ou encore engagement de préfinancement soit signé avec le cinéma français.
Si les organisations qui représentent ce dernier apparaissent donc au centre du jeu, elles n’en ont pas pour autant la totale maîtrise.
Avec la sortie de la TNT annoncée le 5 décembre, le basculement probable de ses chaînes vers le statut cabsat, et la possibilité d’individualiser Canal+ Sport, Canal+ dispose du levier lui permettant de réduire ses obligations d’investissements dans le cinéma. Comme son président Maxime Saada l’a indiqué dans plusieurs interventions récentes, la décision d’activer ce levier dépendra de l’issue des négociations en cours entre les organisations du cinéma et Disney.
A cette guerre des nerfs autour de la première fenêtre, s’ajoutent les réticences d’autres acteurs à poursuivre sur les mêmes bases que depuis 2022. Netflix, seule plateforme de SVoD à avoir signé il y a trois ans, ne semble pas disposé à se réengager pour un nouveau cycle s’il ne peut pas accéder aux films 12 mois après leur sortie (contre 15 aujourd’hui) ; Certains acteurs de la télévision gratuite font observer qu’ils n’ont obtenu aucune avancée, dans l’accord de 2022… et entendent bien cette fois profiter d’un éventuel changement des équilibres.
Deux éléments pèseront finalement sur les négociations.
L’annonce intervenue le 3 octobre 2024, d’abord, que l’Autorité de la concurrence « s’autosaisissait d’éventuelles pratiques dans le secteur de la télévision payante et de l’acquisition et de la diffusion d’œuvres cinématographiques ». La procédure est en cours. Elle devrait rendre les acteurs particulièrement vigilants au fait que les accords particuliers conclus en complément de celui fixant la Chronologie des médias – entre éditeurs et associations du cinéma notamment – ne puissent être considérés comme porteurs d’atteinte à la concurrence.
La capacité pour la ministre de la Culture à étendre l’application de la chronologie à l’ensemble des acteurs de la filière, comme ça a été l’objet en 2022 de l’Arrêté du 4 février, représente le deuxième point d’attention. Le Code du cinéma prévoit que cette extension puisse intervenir si l’accord a été signé par « une ou plusieurs organisations professionnelles représentatives du ou des secteurs concernés et un ensemble d’éditeurs de services représentatifs d’une ou plusieurs catégories de services ». Compte tenu de son poids dans la SVoD, la seule signature de Netflix avait pu être considérée en 2022 comme engageant l’ensemble de ce segment de marché.
Dans son message du 22 janvier, Olivier Henrard invite les professionnels à lui « faire part rapidement de (leur) position sur ce projet (de reconduction), afin que les pouvoirs publics soient en mesure de statuer sur le principe et les modalités de sa mise en signature, puis de son éventuelle extension ».
On ne pariera pas que cette invitation à maintenir pour trois ans les termes de 2022 soit entendue.