La conclusion des accords portant sur la chronologie des médias tient généralement davantage de l’accouchement dans la douleur que du parcours de santé. On avait toute raison de penser que la négociation en cours ne dérogerait pas à la règle. En plus des chicayas traditionnelles (entre exploitants de salles et éditeurs vidéo, autour de la date d’ouverture de la fenêtre dédiée à la VoD, par exemple), on savait devoir compter avec une nouveauté structurante – l’arrivée autour de la table les plateformes de SVoD – sur fond de cadre réglementaire encore mouvant – aucun des trois décrets (SMAD, TNT, Cabsat) n’est finalisé, et personne ne sait donc de manière certaine ce qu’il devra demain consacrer au financement du cinéma. A quelques jours de l’échéance symbolique – à défaut de date butoir – du 31 mars, le millésime 2021 tient donc toutes ses promesses, et les dernières propositions avancées par le « BBA » (Blic, Bloc et ARP) ne sont pas faites pour ramener le calme dans les esprits.
Lors de la réunion de l’ensemble des professionnels concernés, qui s’est tenue le 16 mars à l’initiative du CNC, les représentants des producteurs se targuaient pourtant d’avoir élaboré « un schéma qui laisse la porte ouverte aux négociations d’accords professionnels » et pouvait donc aider à dégager un consensus, ainsi que le rappelle cette semaine la note INSIGHT NPA, qui reproduit ce « schéma ».
On peine à imaginer que ce dernier puisse atteindre son objectif.
Quand les éditeurs de VoD revendiquent une ouverture avancée de leur fenêtre (pour faire de l’actuelle dérogation à trois mois la règle générale), le BBA ne leur donne pas satisfaction… et il prévoit de réduire à deux mois leur période d’exploitation exclusive, en avançant à six mois (au lieu de huit) la première fenêtre de pay TV sur laquelle sont positionnés Canal+ et OCS.
Les filiales de Vivendi et d’Orange n’y trouveront pas pour autant motif à satisfaction : alors que les représentants de Canal+ n’ont de cesse de revendiquer une exclusivité de neuf mois pour cette première fenêtre, les producteurs ouvrent aux services de SVoD « ultra premium » (ayant signé un accord professionnel comportant minimum garanti et clause de diversité) la possibilité de se caler sur la même échéance (6 mois).
Pire encore, le BBA envisage que la deuxième fenêtre s’ouvre à 12 mois pour les services de SVoD « premium »… soit trois mois plus tôt que pour les chaînes payantes.
Les chaînes hertziennes gratuites, publiques et privées réunies, ont fait du maintien d’une période « étanche » (exclusive) de quatorze mois, 22 mois après la sortie en salle une condition non négociable de leur ralliement à un accord de la profession ? BBA leur superpose une exploitation en pay TV (en début de période) et en SVoD (à 34 mois), et la réunion entre ces chaînes et les producteurs s’est conclue, le 19 mars, par un constat de désaccord.
Il n’est pas plus acquis qu’Amazon ou Netflix trouvent leur compte dans ces propositions, puisque leur revendication, exprimée le 16 mars, est de pouvoir mettre en ligne les films en première fenêtre douze mois après la sortie en salles, et en exclusivité pour douze mois, là où les producteurs promeuvent des exploitations parallèles avec la pay TV.
Au final, les producteurs pourraient donc perdre sur les deux tableaux : abîmer le lien avec leurs partenaires historiques sans que leurs efforts pour séduire les nouveaux intervenants soient couronnés de succès. Le rappel des masses en présence n’est pas inutile pour mesurer le risque encouru : d’après le CNC, les apports au cinéma de Canal+ (106 M€), Cine+ (19 M€), OCS (26 M€), TF1 (23 M€), France 2 (33 M€), France 3 (22 M€) et M6 (26 M€) ont totalisé plus de 250 M€ en 2019. Le consensus prévoit que Netflix devrait apporter au cinéma 40 M€ en 2022, environ, et sans doute un total compris entre 50 et 60 M€ si l’on y ajoute les financements d’Amazon et de Disney+.
Il est décidément dangereux de lâcher la proie pour l’ombre.