On savait déjà que le Rassemblement National avait inscrit dans son programme privatisation de l’audiovisuel public, particulièrement France 2 et suppression de l’Arcom.
Le débat sur le projet de loi de Finances a permis de mettre bas les masques sur une troisième offensive, par le biais d’un amendement repéré par l’indispensable Docteur Marc le Roy : son premier signataire est Matthias Renault, élu en juillet 2024 dans la 3e circonscription de la Somme, et Membre de la commission des finances, mais son texte est bien repris et endossé par l’ensemble des membres de son groupe.

Une fois passée la rapide mention de l’« exception culturelle » – quand même relativisée entre guillemets, l’amendement préconise de transférer l’ensemble du produit des taxes qui financent le CNC et les aides qu’il distribue au budget de l’Etat, au motif que ces dernières « viennent automatiquement financer des projets souvent idéologiquement orientés et uniformes pour une rentabilité nulle [et que] l’argent des Français ne saurait durablement être ainsi gaspillé dans une vaste entreprise de propagande ».
Mais Matthias Renault – qui ne siège pas à la Commission des Affaires Culturelles, indique qu’il exerçait jusqu’à son élection comme « Cadre administratif et commercial d’entreprise » et il n’a peut-être pas un goût immodéré pour l’audiovisuel, le cinéma, et la culture en général. Il se montre toutefois bon prince : « nous souhaitons que 50 % de cette somme, dorénavant réaffectée au budget général, puisse continuer à financer des projets intéressants et rentables ».
Sans même entrer dans définition des critères définissant un projet « intéressant », l’’adjectif « rentable » est intéressant pour une filière qui se définit avant tout comme une industrie du prototype, dans laquelle le succès – miraculeux mais spectaculaire – vient compenser d’inévitables échecs. Et dans lequel, surtout, les uns et les autres ne peuvent être anticipés avec certitude.
Avec les quelques 400 M€ que le parlementaire propose de sauvegarder – si l’on comprend bien le sens de son amendement – Matthias Renault démontre surtout une totale méconnaissance du fonctionnement financier de la production.
Si la production française devait se contenter de 400 M€, elle aurait le choix entre une grosse vingtaine de films de longs métrages – au lieu des quelques 300 qui sont produits chaque année – et une petite trentaine de séries de prime time – à condition de ne pas dépasser 8 épisodes par saison et de ne vraiment pas faire de folie en effets spéciaux ou en lieux exotiques de tournage.
Le CNC est à la fois un catalyseur et un levier financier, qui permet de mobiliser les chaines – françaises et étrangères, les éditeurs de vidéo à la demande, les plateformes de streaming, les distributeurs vers l’étranger… Pour m’autoriser une métaphore culinaire, le CNC et – et les fonds qu’il gère grâce aux taxes qui lui sont affectées, joue le rôle du jaune d’œuf qui sert de base à la mayonnaise, bien davantage que de l’huile, du filet de vinaigre, et de la moutarde… que le producteur sait aller rechercher et surtout assembler.
Mais cet amendement revêt au moins un mérite.
Celui d’un avertissement aux filières du cinéma et de l’audiovisuel sur le fait que tous les responsables publics n’ont pas intégré les vertus du système qui existe en France. Pas plus d’ailleurs que tous n’ont en tête l’utilité, pour ne pas dire la nécessité, d’un audiovisuel public indépendant – la gouvernance qui a été mise en place il y a bientôt 40 ans le garantit – suffisamment financé pour offrir aux Français l’information et les programmes de qualité qu’ils sont en droit d’attendre, et suffisamment bien financé pour pouvoir porter ces programmes vers chacun, dans des environnements numériques de plus en plus nombreux mais aussi techniquement de plus en plus coûteux.
Il est dit que la pédagogie est faite de répétition. Je n’ai aucun doute sur la disponibilité des dirigeants de France Télévisions, de Radio France, de France Médias Monde ou de l’INA à ouvrir grandes leurs portes à Matthias Renault comme à ses collègues.
Je n’en ai pas davantage sur celles de Gaëtan Bruel ou d’Olivier Henrard à vous faire entrer dans les arcanes de mécanismes du financement du cinéma qui ne sont pas toujours d’une pleine simplicité.
Que cet amendement, enfin, ait été d’abord un amendement d’appel dont son auteur n’espérait pas vraiment l’adoption ne suffit pas en revanche à se rassurer. Côté finances, la tentation de « faire les poches » du CNC commence à tenir du running gag. Coté politique, on choisit le sens des appels qu’on lance. On choisit le sens des mots qu’on emploie. Et les « cartes postales » ne sont jamais postées par hasard.
