On doute que le Conseil d’Etat ait réellement fait progresser la liberté d’expression et le pluralisme de l’information, mais il parait acquis en tout cas que l’arrêt rendu le 13 février à l’encontre de l’Arcom sera source d’interminables migraines. Pour le régulateur d’abord. Mais également pour les patrons de l’information des médias audiovisuels (télévision et radio) et leurs équipes. Et il n’est pas exclu que ceux qui ont revendiqué ce mardi une victoire contre Cnews aient bientôt le sentiment d’une défaite de l’ensemble du secteur. Et plus encore des médias qui travaillent le mieux la couleur de leur antenne. Qu’ils soient soupçonnés de pencher à droite (Cnews), de balancer à gauche (tels que France Inter) ou encore d’être « populistes » (comme BFM TV).
D’après la présentation de la décision publiée sur son site internet, « le Conseil d’Etat juge que [pour apprécier le respect du pluralisme de l’information], l’Arcom ne doit pas se limiter au décompte des temps de parole des personnalités politiques [mais que], suivant des modalités qu’il lui appartient de définir, elle doit veiller à ce que les chaînes assurent (…) l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions en tenant compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités (…) ».
La décision elle-même n’est pas plus précise, et c’est à partir d’une feuille blanche que l’Arcom va devoir écrire les règles évitant à l’ensemble des médias audiovisuels – puisque tous, radios, comme télévisions, sont concernés – de balancer entre autocensure et police de la pensée.
En évoquant les « interventions de l’ensemble des participants », le Conseil d’Etat ne dit pas, d’abord, si le régulateur doit prendre en compte les premières ou les seconds.
Dans le premier cas, un même intervenant pourra se trouver alternativement classé à droite, à gauche ou au centre en fonction des développements vers lesquels sa pensée l’aura conduit. Et au-delà. Dans quel camp comptabiliser une intervention favorable au récent projet de loi sur l’immigration ? Extrême droite ? Droite ? Ou majorité présidentielle, puisque c’est la réunion des votes LR, RN et Renaissance qui a permis au texte d’être adopté.
Si ce sont les intervenants eux-mêmes qui sont « affectés » à une sensibilité donnée, le Conseil d’Etat ne dit rien des éléments permettant de les y associer. Le fait d’avoir été un jour membre de cabinet ministériel ou collaborateur parlementaire vaudra-t-il par exemple, et une fois pour toute, rattachement à la formation politique de l’élu ?
La décision du 13 février ne dit rien, encore, du champ des émissions sur lesquelles l’Arcom devra étendre les modalités nouvelles de contrôle du pluralisme. On peut donc imaginer que celui-ci aille jusqu’aux magazines sportifs, et on imagine – avec sourire ou désolation ? – le rédacteur en chef de Stade 2 ou celui de Téléfoot devoir s’enquérir de la couleur politique de tel ou tel athlète avant de composer son plateau. Mais, plus sérieusement, peut-on imaginer que les clivages sur l’euthanasie, la crise agricole ou l’éducation nationale coïncident exactement avec les frontières des groupes politiques qui siègent dans nos assemblées parlementaires ? Et qu’ils s’appliquent, de la même manière, à l’ensemble des sujets ?
Dans la nouvelle donne que propose le Conseil d’Etat, il faut encore ajouter le sujet de la consolidation des temps de parole au niveau du trimestre glissant, puisque c’est à cette aune que l’Arcom organise aujourd’hui le contrôle des temps de parole. Doit-on alors imaginer des bookers de magazines d’actualité rechercher dans l’urgence des intervenants d’extrême droites hostiles à la peine de mort ou des partisans de la fermeture des frontières classés à gauche pour équilibrer leurs décomptes ?
Avant de définir ses nouvelles « modalités »de suivi, il ne fait pas de doute que l’Arcom va s’attacher à rationaliser les termes du débat, et qu’elle consultera largement les éditeurs avant d’arrêter sa position.
Il n’empêche. En contraignant le régulateur à travailler sans aucun filet, le Conseil d’Etat l’expose à un lourd risque juridique : censurer à l’occasion de nouveaux recours, les décisions qu’aura prises le régulateur, sur la base de critères qu’il jugera trop lâches ou à l’inverse insuffisamment contraignants, et en tout cas inadaptés.
Peut-être n’y aura-t-il pas, au final, d’alternative à ce que les principaux critères à prendre en compte soient confortés juridiquement en trouvant leur place dans la loi.
Dans l’intervalle, les éditeurs pourraient être tentés de transformer leurs antennes en robinets d’eau tiède, en évitant les options divergentes et les intervenants aux convictions trop tranchées. De gauches comme de droites.