L'édito de Philippe Bailly

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De Max à HBO : bien plus qu’une question de logo

Le groupe Warner Bros Discovery a créé la surprise à l’occasion des Upfronts destinés aux publicitaires américains en annonçant que sa plateforme phare allait retrouver son nom initial, HBO Max, après que son rebranding en Max a été lancé il y a tout juste deux ans (23 mai 2023), et alors que de longs mois avaient été nécessaires depuis pour aligner les plus de 70 implantations locales de la plateforme sur la nouvelle signature.

Les résultats solides que le groupe a publiés le 8 mai ne laissaient pas augurer d’un tel retournement. Entre la fin mars 2024 et la même période de 2025, le nombre des abonnés D2C de WBD (essentiellement Max) a augmenté de 23 %, à 122,3 millions, le chiffre d’affaires trimestriel a progressé de 8 %, à 2,6 Mds$, le résultat opérationnel (EBITDA) a été multiplié par quatre, à 339 M$. Et la surprise peut être plus grande encore si l’on élargit la perspective comme le propose Gilles Pezet dans l’insight NPA du 15 mai (Désormais rentable, le streaming a fait perdre près de 24 Md$ aux studios américains en 4 ans) : Warner Bros. Discovery a été en début de décennie le studio qui a le mieux réussi à maitriser les pertes de son activité D2C, il a été le premier à enregistrer un trimestre positif pour son activité dans le streaming, dès le T1 2023, et il a dégagé plus d’un milliard de dollars de bénéfice (1,037 Md$) sur les 9 derniers mois glissants.

Mais on est tenté de voir dans le retour vers HBO Max le signal d’un mouvement d’ampleur, touchant au positionnement du service, à sa politique d’investissement dans les contenus ou encore à sa stratégie de distribution.

Lors de la présentation au marché de Max, au printemps 2023, les dirigeants de WBD avaient mis en avant l’importance du volume de programmes que la combinaison des catalogues de HBO Max et de Discovery+ mettrait à disposition des abonnés. Ils avaient également esquissé une sorte de partage des rôles dans lequel le prestige des marques programmes d’HBO permettrait de conquérir les abonnés, et les émissions de Discovery génèreraient de l’engagement.

En même temps que la marque Max, le groupe enterre aujourd’hui la promesse de volume : « personne ne dit qu’il veut plus de contenu, mais la plupart des consommateurs disent qu’ils veulent un meilleur contenu » (« no consumer today is saying they want more content, but most consumers are saying they want better content ») et l’ambition pour le groupe de « satisfaire chacun, à tout moment au foyer », en se concentrant sur« ce qui le rend unique » (« We will continue to focus on what makes us unique – not everything for everyone in a household, but something distinct and great for adults and families »).

Conséquence de ce repositionnement, WBD va focaliser ses investissements dans les contenus « sur les programmes qui fonctionnent le mieux, comme HBO, les films récents, les docuséries, certaines séries de télé-réalité, et les programmes originaux locaux et Max ». Et les « autres genres qui génèrent moins d’engagement ou d’acquisition seront dépriorisés ».

Sans que cela soit ainsi exposé, le retour vers HBO Max semble également confirmer un virage dans la distribution du service, avec un accent encore plus grand sur les partenariats avec des distributeurs ou, comme dans le cas du bundle Disney+ / Max / Hulu, d’autres éditeurs. Les 3,63$ d’ARPU mensuel affichés par le groupe à l’international (vs 11,15$ aux Etats-Unis) témoignent que cela représente déjà la réalité largement dominante. Le sujet est alors moins l’importance du fond de catalogue (capable d’offrir une sorte de « one stop shopping » et de satisfaire à l’ensemble des attentes de l’abonné) que la capacité à offrir régulièrement des programmes phares capables de créer l’évènement.

L’annonce de ces dernières heures suscite encore, au moins, deux questions.

La première concerne l’ambition de WBD en matière publicitaire. Si l’ambition n’est plus que chaque abonné, quel que soit son âge ou son sexe, trouve en permanence quelques chose à regarder sur HBO Max, le volume global d’engagement ne constitue plus forcément une priorité, limitant alors le potentiel de développement du chiffre d’affaires publicitaire. Nombre d’abonnés (l’objectif des 150 millions d’ici à la fin 2026 est confirmé) mais aussi nombre d’heures vues par chacun déterminent l’importance de l’inventaire monétisable.

La seconde concerne le positionnement des chaînes et plateformes dédiées au sport dans l’écosystème du groupe. La tendance de l’année écoulée a été de les ramener dans l’orbite de Max, en les commercialisant comme options de l’abonnement à cette dernière. Il ne paraît pas acquis qu’un HBO Max recentré, et privilégiant les accords de distribution par des tiers, conservent cette configuration.

S’agissant finalement du positionnement par rapport aux autres services de streaming internationaux, le rebranding peut aussi apparaître comme un mouvement défensif, face à la reconnaissance croissante d’AppleTV+ en tant que label de fiction de qualité, et l’ombre qui pourrait en résulter pour HBO. How Apple TV+ is building a brand to rival HBO, analysait d’ailleurs précisément le cabinet Ampere Analysis ces derniers jours.

Plus largement, le mouvement de WBD semble renforcer la division en deux pôles de l’univers de la SVoD : D’un côté Netflix, Prime Video et, dans une moindre mesure, Disney+, plus volumiques, plus « autoportantes » et ayant leur centre de gravité dans l’autodistribution ; de l’autre Apple TV+, Paramount+ et HBO Max, aux line-up plus concentrés et aux bases d’abonnés provenant majoritairement du Wholesale.