L’heure est loin où certains analystes présentaient Salto comme le « Netflix à la française ». L’arrêt de la plateforme a pu donner le sentiment que chacun regagnait son couloir. A Netflix, Prime Video ou Disney+ le développement des offres sur abonnement ; à TF1, M6 ou, plus subsidiairement, France Télévisions, celui de la monétisation par l’audience. C’était il y a quelques mois à peine, mais l’année 2023 aura suffi à rebattre les cartes, et 2024 démarre, avec le lancement de TF1+, sous le signe de la confrontation annoncée entre plateformes de SVoD et acteurs du streaming gratuit.
Les premières auront été les premiers à remettre en cause les frontières traditionnelles. Netflix, dès la fin 2022 et Disney+ un an plus tard (en France) se sont ouverts à la publicité, et Prime Video s’apprête à leur emboiter le pas. L’espoir est double : pousser toujours plus loin la pénétration des plateformes, grâce à des forfaits avec publicité plus accessibles, et accroître les revenus générés grâce aux investissements des annonceurs.
A cette première transgression, les streamers ajoutent, chaque jour un peu plus, la remise en cause du modèle D2C qu’avait initié Netflix au milieu des années 2010, et le « partage des territoires » Box vs OTT qui en était résulté. L’espoir d’une maximisation des marges grâce à un schéma de totale intégration production / édition / distribution et à la « pleine possession » de l’abonné a fondu face à la masse des investissements nécessaires pour bâtir de gigantesques catalogues, construire les infrastructures de streaming capables de servir les millions de streams demandés, soutenir les campagnes de marketing capables de compenser un churn endémique… au « tout OTT » s’est progressivement substitué le retour vers l’agrégation, et il n’est plus une conférence d’investisseurs sans que les patrons des studios vantent les mérites des « partenariats » avec leurs distributeurs historiques. Avec, pour corolaire, l’ouverture de la bataille de l’attention dans les environnements opérateurs – dès lors qu’acteurs de télévision et plateformes de SVoD se retrouvent côte à côte dans les box des derniers.
Restait le sujet des contenus. Non contents, au plus fort de la guerre du streaming, de pousser à des niveaux records les volumes de nouvelles productions, et de s’en assurer tous les droits et pour tous les territoires, les acteurs du streaming ont limité à son minimum la circulation de leur stock de programmes anciens pour en réserver le bénéfice à leurs abonnés. Tandis que ces derniers se voyaient offrir l’accès à des dizaines de milliers de films et de séries, les plateformes des diffuseurs historiques se trouvaient cantonnés à leur stricte fonction de rattrapage. La nécessité de résorber les milliards de dollars de déficits accumulés par les branches D2C des studios aura eu raison de ce troisième couloir, et les guichets de licensing droits se sont progressivement réouverts.
L’arrivée de TF1+ marque le lancement d’une contre-offensive qui se déploie sur le terrain de l’adversaire – le déploiement dans l’univers OTT (smart TV, streaming box, streaming sticks…), avec la négociation d’une forte mise en avant – et qui s’en réapproprie la promesse – l’abondance – avec les 15 000 heures déjà disponibles sur la plateforme.
Comme un clin d’oeil, TF1+ propose à ses utilisateurs le film Gladiator… également présent sur Netflix, Paramount+ et Prime Vidéo. Pour autant, la confrontation ne fait que commencer, et les développements menés sur leurs marchés respectifs par ITV avec ITVX, ProSiebenSat1 avec Joyn, RTL Deutschland avec RTL+, Atresmedia avec l’Atresplayer… en sont autant de déclinaisons locales, et les cartes pourraient se rebattre aussi de l’autre côté de l’Atlantique dans l’hypothèse, notamment, où le rapprochement de Warner Bros Discovery et de Paramount serait confirmé.
Le mouvement de balancier qui s’est amorcé promet en tout cas une partie passionnante.