Il y a quelques semaines, un entrepreneur de la nouvelle économie évoquait dans un billet l’idée qu’Uber soit « la prochaine faillite du siècle ». Plus récemment, Les Echos pointaient « la qualité de service en baisse chez les VTC » et, début octobre, le site Agora Vox intégrait Rocket et Tesla au « cercle » de ces licornes dont « on peut se demander si leurs modèles d’affaires extravagants ne vont pas les amener dans le mur ». Coté médias, on est tenté d’évoquer un double pas de côté dans la « guerre » qu’HBO a déclarée au printemps à Netflix : le premier fermera en fin d’année le service OTT qu’il avait ouvert aux Pays-Bas ; comme on le lira dans le Flash NPA de ce mercredi, l’accord signé par le second avec Comcast poursuit son intégration aux schémas traditionnels de distribution audiovisuelle. Moins spectaculaire, mais pas forcément moins significatif, 59% des Français… et même 74% des 15-24 ans, interrogés par NPA Conseil et par l’institut CSA estiment que « la télévision permet de passer de bons moments en famille ou entre amis ».
Faut-il en déduire, à la façon du héros du Guépard, que « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change » ? Evidemment pas. Mais cette conjonction a le mérite de suggérer quelques rappels de bon sens.
Le fait, d’abord, que les modèles disruptifs, s’ils se veulent pérennes, ne peuvent pas sans autre forme de procès être stretchés à l’infini. « A l’origine, les VTC avaient un positionnement élitiste et ciblaient une population CSP +. Aujourd’hui, c’est devenu un marché de masse, on ne tombe donc plus systématiquement sur une Mercedes », se défend à propos de la dégradation du service offert par les VTC Yves Weisselberger, patron de Snapcar et président de la fédération qui regroupe la majorité de plates-formes françaises. La remarque est fondamentale : passer d’un positionnement de niche à une activité industrielle, sans dégradation de la structure de coût et en maintenant la qualité de la prestation offerte exige, tout à la fois, maîtrise du rythme de la croissance, capacité à dépasser spontanéisme et test and learn pour « processiser » et adapter l’organisation, et plus globalement capacité à assortir « vision » et qualité d’exécution.
Le tout sans préjuger de la faculté des acteurs traditionnels à s’adapter et à se transformer. Le cas G7 apparaît de ce point de vue particulièrement éclairant. En décembre, Uber fêtera les 5 ans de son lancement à Paris. Le service y a bénéficié d’un terrain d’autant plus favorable que l’image des taxis, elle, était peu favorable. Montant exorbitant des frais d’approche en cas de réservation d’une voiture ? Ils ont depuis été forfaitisés. Impossibilité d’utiliser sa carte bancaire pour régler sa course ? L’appli G7 a intégré le paiement in-app. Qualité insuffisante de la prestation ? Intégration du WI-Fi dans les voitures, création d’une offre dédiée à l’accompagnement des enfants, lancement de G7 Access dédié au transport des personnes handicapées, possibilité de choisir le green (véhicule électrique ou hybride) et/ou de commander un taxi dont le chauffeur parle anglais, réduction de 20% pour les 12-15 ans… La société aligne aujourd’hui une impressionnante variété de services et, cerise sur le gâteau de cette transformation, l’identité visuelle a été retravaillée et une politique de partenariats avec les organisateurs d’évènements parisiens (le PSG par exemple), initiée.
Dans la transformation qui leur est également demandée, les médias, et singulièrement la télévision, peuvent, par rapport aux taxis, compter sur au moins deux atouts.
Ils n’ont pas, d’abord, à surmonter le déficit d’image auquel ces derniers ont du se confronter.
Ils bénéficient ensuite de quelques fondamentaux de bon sens :
- Une position assumée de 3e activité quotidienne – et de loin de premier loisir – qu’occupe la télévision : les Français interrogés dans le cadre de l’étude NPA / CSA, estiment le temps qu’ils allouent à la consommation de TV à 3 h 31 par jour, contre 3 h 51 enregistrés par Médiamétrie. On est loin d’une volonté de sous déclarer.
- Le rappel de la dimension par essence sociale des médias, que cette étude remet opportunément à l’esprit,
- Le statut privilégié que conserve le téléviseur, dès lors qu’il s’agit, en soirée particulièrement, d’une consommation partagée. Ceci réduit à l’inverse la capacité de pénétration des purs acteurs OTT (Molotov TV par exemple), uniquement disponibles sur les écrans de complément (smartphones, tablettes ou ordinateurs),
- La plus grande facilité, dès lors qu’il s’agit d’un usage collectif, à s’accorder sur le choix d’un programme parmi une offre limitée qu’en plongeant dans les profondeurs des grandes vidéothèques numériques. Ceci contribue probablement à expliquer le statut privilégié que conserve la diffusion linéaire.
Pas question pour autant de conclure à la façon des veilleurs du Moyen-Âge : « rendormez-vous braves gens ! ».
Le public, s’il reste attaché à la télévision « classique », s’est maintenant approprié le confort des nouveaux modes d’accès aux programmes (replay, accessibilité multi-écran…). Et, comme dans le cas des taxis, il attend des chaînes comme des distributeurs qu’elles continuent à améliorer la qualité de leur prestation. L’intégration du start over apparaît déjà comme un souhait ; on a évoqué dans un précédent billet le défi que représentera la montée en puissance des assistants vocaux.
Et si les difficultés des grands ubérisateurs ont-elles-aussi valeur de rappel (s’agissant de l’audiovisuel, par exemple, sur le coût du marketing des offres, de l’acheminement du signal, de facturation, de recouvrement, de traitement des réclamations clients… et sur la rationalité qu’il y a à les voir mutualisés via un distributeur), l’audiovisuel n’a pas échappé à l’une des constantes des tentatives de disruption : l’abaissement des prix. Les nouvelles offres de Canal+ s’attachent à y répondre.
La révolution numérique continue et Le petit livre rouge que publiera ce 15 novembre NPA conseil, aux éditions Télémaque, contribuera, je l’espère, à vous en apporter quelques clés.